Entre luxe discret et luxe ostentatoire, l'industrie de la mode cherche encore sa voie en 2025

Le quiet luxury, cette élégance discrète sans logos tapageurs, semble régner sans partage depuis plusieurs années. Pourtant, les podiums, les chiffres et les experts se contredisent : certains affirment qu’il domine encore, d’autres annoncent son déclin face au retour flamboyant du loud luxury. Analyse d’un duel esthétique et économique.
"Le luxe discret reste l’esthétique dominante"
Cette année, les signaux se brouillent. Alors que certains observateurs jurent que le quiet luxury est toujours roi, d’autres annoncent sa mort et prophétisent le retour du loud luxury, flamboyant et logotypé.

Du côté des analyses du bureau d'études de Bernstein et de Bank of America, le verdict est sans équivoque : le luxe discret conserve la pole position. Preuve en est, au deuxième trimestre 2025, les griffes Loro Piana, Chloé et Ermenegildo Zegna se sont hissées en tête des marques de luxe les plus performantes sur Instagram, TikTok, YouTube et Google Trends. Une domination numérique, souvent corrélée aux ventes, qui illustre la bonne santé du quiet luxury dans les marchés occidentaux.
Même constat du côté de Bank of America : Alaïa, Loro Piana et Brunello Cucinelli trônent en haut du classement des marques les plus en vue. Célèbres pour leur esthétisme low key et leur qualité artisanale irréprochable, elles incarnent parfaitement la tendance quiet luxury, entre teintes naturelles et coupes intemporelles.

On notera également le défilé Dior Homme printemps-été 2026 de Jonathan Anderson, présenté le 27 juin 2025, qui a fait la part belle à des looks élégants et romantiques, où les seules impertinences résident dans des écharpes trop longues, des vestes déstructurées et des volumes exagérés. Chez Celine, Michael Rider continue de privilégier des coupes épurées et une absence de logos, et la griffe The Row, figure de proue du quiet luxury, impose ses pièces minimalistes (comme les tongues en cuir à 850 euros) sur les silhouettes les plus en vues de la saison.
Autre exemple notable, la griffe britannique Burberry qui affiche une progression de 17,4 % depuis le début de l’année, faisant figure d’exception dans le secteur du luxe. En effet, le groupe a amorcé un redressement grâce à son plan stratégique "Burberry Forward", qui vise à raviver l’attrait de la marque, améliorer ses performances et créer de la valeur sur le long terme. Cette feuille de route s’appuie sur un retour à l’ADN de la maison : valoriser ses pièces emblématiques comme le trench-coat, mettre en avant son savoir-faire artisanal et réaffirmer son identité. Un vrai retour au sources, très quiet luxury, pour l’enseigne britannique qui sort d’une période difficile où son action avait perdu plus de la moitié de sa valeur entre fin 2022 et fin 2024.

"Le luxe discret reste l’esthétique dominante", résume un analyste de Bank of America, tout en reconnaissant que la montée de marques comme Pucci ou Missoni, célèbres pour leur utilisation des motifs et de la couleur, pourrait signaler une envie de nouveauté. Autrement dit : la sobriété règne encore mais la mode pourrait bientôt tourner la page.
Vers un retour assumé du luxe voyant ?
En effet, pour de nombreuses griffes, l'élégance feutrée qui s’est imposée dès 2022, portée notamment par la popularité de séries comme Succession ou Dynastie, ne suffit plus à séduire. On voit poindre une nouvelle ère où logos imposants et designs affirmés pourraient s’imposer sur les podiums. Certains spécialistes y perçoivent déjà l’acte final du quiet luxury. Le média américain CNBC évoque un "glissement vers un luxe plus visible", alimenté par l’arrivée d’une nouvelle génération de directeurs artistiques chez Gucci, Chanel, Versace, ou encore Bottega Veneta.

Du côté de la nouvelle garde de créateurs, le message semble être passé. La designer Turco-britannique Dilara Findikoğlu, le styliste américain d'origine mexicaine Willy Chavarria, ou encore le couturier Français Benjamin Benmoyal, incarnent notamment cette énergie nouvelle à grands renforts de silhouettes sculpturales et de couleurs saturées. Pour eux, la mode doit se voir… et de loin.
Des ventes en berne qui poussent au changement
Mais, au delà de la notion purement esthétique, cette dualité entre "quiet" et "loud luxury" se confronte surtout à une réalité économique. En 2025, LVMH perdait 27,5% sur le CAC 40 (depuis le 1er janvier), Hermès 10,3% et Kering 9,9%.
"La mode est cyclique. Après plusieurs années de luxe discret, on aspire à autre chose" affirme Carole Madjo, analyste chez Barclays.
En cause ? Une macroéconomie pèsante, une "greedflation" (hausse de prix exagérée du luxe durant la reprise postpandémie) qui n’a pas toujours été accompagnée d’innovations produits et une jeune génération pour laquelle le vestiaire lowkey frôle l’ennui. La génération Z veut de la couleur, de l’originalité et des pièces immédiatement reconnaissables. La montée en puissance des Labubu à 900 dollars accrochés à des sacs minimalistes en est un bon exemple.

"Le niveau d'intérêt pour de nombreux produits sur le marché n'est plus le même, ce qui pousse toutes les grandes marques à changer d'orientation créative pour rester pertinentes", insiste Yanmei Tang, analyste chez Third Bridge. Les marques espèrent donc que le loud luxury créera un choc visuel et marketing pour relancer les ventes.
Chez Gucci, qui avait brillé sous la houlette créative d’Alessandro Michele (désormais à la tête de Valentino) avant de voir ses ventes chuter, notamment en Chine, le défi est clair : "L'essentiel est de redonner de l'attrait à la marque. Apporter de la nouveauté, quelque chose de frais qui n’a jamais été vu auparavant, pourrait redonner toute sa splendeur à la maison", détaille Carole Madjo. L'arrivée du designer géorgien Demna Gvasalia est donc très attendu, surtout quand on connait le style très provocateur du couturier.
Pour le bureau d'études Bernstein, il est question d'une vision "optimiste" pour la seconde moitié de l’année. Selon le cabinet, les marques ne restent pas inactives et multiplient les initiatives pour renforcer l’attrait de leurs collections. Parmi ces actions, un afflux inédit de nouveautés prévu pour septembre 2025 devrait simultanément répondre aux enjeux de l’offre et relancer la désirabilité des produits.
En effet, la saison de défilés printemps-été 2026, avec son lot de nouveaux directeurs artistiques, offrira une vision plus précise de l’avenir. En 2025, le quiet luxury n’est pas mort, mais il a cessé d’être seul sur le trône.