Nouvelles destinations, voyages plus courts, baisse du shopping… Comment les riches chinois redessinent la carte du luxe mondial

Une mutation discrète mais profonde est en marche. Selon le cabinet Oliver Wyman, en 2025, les riches Chinois restent, certes, animés par une forte envie d’évasion, mais adoptent des comportements plus sélectifs et mesurés. Moins dépensiers, plus sensibles aux expériences qu’aux produits, ils redéfinissent les règles du jeu, aussi bien pour les marques de luxe que pour les acteurs du tourisme international. Une recomposition silencieuse mais stratégique, que les maisons européennes ne peuvent plus ignorer.
Voyager, oui — mais autrement
Alors que, cet été, les touristes chinois font leur retour sur la scène européenne et que leur envie de voyager reste forte, même dans un contexte économique incertain, cette dynamique est à relativiser: en Chine, le nombre moyen de voyages internationaux, par personne, est passé de 2,5 en 2024 à 2,3 en 2025, soit une baisse de 7 %, signe d’une rationalisation croissante.

Une nouvelle prudence qui s’exprime notamment dans les destinations choisies par les Chinois: le Japon enregistre une progression notamment grâce à l’instauration de visas longue durée (jusqu’à 10 ans) pour les voyageurs aisés. D’après le baromètre Oliver Wyman, la proportion de voyageurs à hauts revenus ayant déjà visité ou planifié un séjour au Japon est passée de 21 % en 2024 à 27 % en 2025. À l’inverse, Hong Kong et Macao perdent du terrain, notamment auprès des voyageurs expérimentés.
Les destinations traditionnelles comme l’Europe et les États-Unis restent populaires, mais sont désormais perçues comme lourdes en démarches administratives, fluctuations de devises et risques géopolitiques. Ce contexte conduit à une préférence pour des voyages plus courts, plus proches et axés sur l’expérience locale. 43% des personnes interrogées ont déclaré préférer effectuer un voyage local plutôt qu'international en 2025. En effet, face à ces obstacles de nombreux Chinois optent pour des road-trips domestiques dans des provinces comme Hainan ou le Sichuan, souvent à travers des séjours express, axés sur l’expérience plutôt que sur l’ostentation.
La fin de l'âge d’or insouciant du luxe
Un recentrage également encouragé par le climat politique interne: depuis 2021, les autorités chinoises ont relancé la campagne de "prospérité commune", visant à réduire les inégalités. Le Président Xi Jinping a notamment appeler ses compatriotes les plus fortunés à faire profil bas et à partager une partie de leurs avoirs. Résultat? Une forme de luxe "honteux", où la sobriété devient un marqueur de respectabilité.
En effet, l'étude 2025 d'Oliver Wyman met en lumière un basculement net dans le rapport au luxe. Loin de l’euphorie d’avant-pandémie, les consommateurs sont aujourd’hui plus exigeants, plus sélectifs, moins impulsifs. En 2024, la faiblesse du yen avait stimulé la consommation. En 2025, la remontée de la devise a neutralisé cet avantage prix. "Nous observons un renversement de ce qui s'était produit l'an dernier, ce qui est particulièrement vrai pour la clientèle chinoise", a expliqué Cécile Cabanis, directrice financière adjointe de LVMH.

Autrement dit, les touristes sont là, mais ils dépensent moins –et surtout, autrement. L’achat de luxe devient un acte réfléchi, et non plus un réflexe. Sur les 2.000 personnes interrogées par Oliver Wyman, 1. 262 prévoient de réaliser des dépenses de luxe en 2025. Mais les achats évoluent: les dépenses en accessoires et maroquinerie chutent de 6%, les vêtements de 9%, la haute joaillerie de 15%.
Deux tendances à retenir: tout d'abord, une polarisation des profils. Les VIC ("Very Important Clients"), recherchent l’exclusivité, la rareté, la personnalisation. Ils achètent moins, mais mieux, en misant particulièrement sur des pièces patrimoniales comme les sacs Hermès ou Chanel, sur l’or plutôt que le diamant, et sont prêts à investir mais dans des expériences premium: dîners privés, événements et capsules exclusives…
Quant aux acheteurs de luxe occasionnels, ils réduisent fortement leurs dépenses (-15% tous achats confondus, en voyage comme en ville) et se tournent vers des expériences comme des week-ends bien-être, des hôtels design ou des découvertes gastronomiques.

Du côté de la génération Z, les jeunes consommateurs préfèrent vivre plutôt que posséder. Ils ne recherchent pas seulement une marque, ils veulent une expérience immersive, personnelle et mémorable. Les accessoires griffés ou la joaillerie ne font plus rêver seuls. C’est le storytelling, l’esthétique, et surtout l’instant vécu qui priment.
Hospitalité: vers une hyper-segmentation des offres
Dans ce contexte, les acteurs du tourisme et de l’hôtellerie doivent réinventer leurs modèles. Comme le montre l'étude, la demande pour des séjours domestiques expérientiels explose, notamment dans les villes de second ou troisième rang. Les jeunes générations préfèrent des expériences authentiques, les voyageurs d’affaires cherchent à prolonger leurs séjours pour les transformer en "bleisure" ("business + leisure") sans changer d’hôtel, et les clients plus âgés ou les Very Important Clients (VIC) attendent un service feutré, ultra-qualitatif et discret.

Face à ces réalités, les grands groupes internationaux, eux, font face à un double défi, celui de se localiser sans perdre leur singularité. Cela suppose de proposer une offre gastronomique enracinée dans la culture locale, des expériences immersives sur mesure, un design raffiné mais discret, et un repositionnement stratégique pour séduire une clientèle plus jeune et plus volatile.
Illustration avec l'hôtel de luxe Mandarin Oriental à Hong Kong, qui s’inscrit pleinement dans cette dynamique avec l’ouverture, en janvier 2026, du Terrace Boulud, en collaboration avec le chef étoilé français Daniel Boulud.

Installé au 25e étage du Landmark Prince's (un complexe commercial haut de gamme au coeur du quartier de Central), ce restaurant a été pensé pour une clientèle locale et internationale très exigeante. Directement relié à l’hôtel Mandarin Oriental par une passerelle couverte, cette nouvelle adresse offrira une vue panoramique sur le port de Hong Kong, entre carte de cocktails signature et vins rares.
Cette ouverture s’inscrit dans le cadre du vaste projet "Tomorrow’s Central" de Landmark qui prévoit la réinvention complète du quartier avec plus de 100 établissements de restauration haut de gamme. Le succès grandissant du programme ultra-exclusif Landmark Bespoke —dont plus de 3.000 membres ont déjà fréquenté les restaurants du groupe en 2024— témoigne de l’appétit pour ce type d’expériences premium.
Quelle stratégie pour les marques de luxe?
Le baromètre Oliver Wyman est clair: l’ère du luxe "facile" est révolue. La croissance passera par la personnalisation, la relation humaine et un récit cohérent. Trois axes stratégiques se dessinent. Le premier: repenser le développement retail. En effet, inutile de multiplier les espaces de ventes, l’enjeu est de privilégier des emplacements forts, avec une expérience client enrichie, à l'image du développement gastronomique du Mandarin Oriental à Hong Kong.

Le deuxième: face à la polarisation des clients, la fidélisation devient prioritaire. Le rôle des vendeurs-conseillers est crucial pour accompagner et convertir sur les segments haut de gamme. Et enfin, créer du sens: les jeunes générations n’achètent plus un produit, mais une vision, des valeurs, un mode de vie.
Les riches touristes chinois n’épousent donc plus les codes d’avant-crise. Les comportements évoluent, les attentes se précisent, les arbitrages se raffinent. Qu’il s’agisse d’une préférence pour les destinations culturelles proches, d’un recentrage sur les expériences ou d’un luxe devenu plus émotionnel que statutaire, le consommateur chinois haut de gamme se révèle plus mature, plus stratégique et plus segmenté que jamais.