
Burberry
Virages fashion manqués, 75 millions de pertes, suppressions de postes… Burberry peut-il renaître après sa crise identitaire?
L’icône du luxe britannique vacille. Burberry, synonyme depuis plus d’un siècle d’élégance intemporelle et de raffinement à l’anglaise, est aujourd’hui au cœur d’une tourmente financière, créative et identitaire. Une perte nette de 75 millions de livres au terme de son dernier exercice annuel, un plan de réduction de 1.700 postes, des ventes en berne… Et derrière ces chiffres, un constat sans appel: Burberry s’est égaré, pris dans des virages stylistiques mal négociés et des tentatives de modernisation qui l’ont éloigné de son ADN.
Alors que son nouveau plan stratégique "Burberry Forward" tente de ramener l’enseigne vers ses fondamentaux, la marque se doit, plus que jamais, de reconquérir le cœur de sa clientèle.
L’ADN oublié: le prix d’un luxe trop caméléon
Depuis sa fondation en 1856 par Thomas Burberry, la maison de mode s’était imposée comme un bastion du vêtement fonctionnel et sophistiqué, inventant la gabardine, puis le trench-coat et imposant son imprimé à carreaux Nova Check comme un emblème de reconnaissance immédiate. Pendant plus d’un siècle, Burberry a cultivé l’image d’un luxe discret, ancré dans une tradition britannique d’exploration, de savoir-faire et de sobriété. Pourtant, ces dernières années, cet équilibre subtil s’est effondré.

Les bouleversements créatifs y sont pour beaucoup. Le long règne de Christopher Bailey, figure emblématique de la maison, a marqué un tournant stratégique. En tant que directeur de la création à partir de 2001, puis PDG de 2014 à 2018, il a incarné une forme de renouveau. Sous sa houlette, les campagnes publicitaires s’attachent des figures iconiques telles que Kate Moss ou Emma Watson et Burberry devient pionnière du numérique dans l’univers du luxe, diffusant ses défilés en streaming bien avant que cela ne devienne la norme. Bailey a voulu moderniser l’image, la rendre accessible, jeune, digitale.

Mais à trop vouloir réconcilier tradition et démocratisation, le créateur visionnaire a fini par brouiller les codes. La maison perd peu à peu sa distinction, se rapprochant dangereusement d’une mode premium mais sans l’aura du vrai luxe.
Tentatives sportswear et confusion stylistique
En 2018, Riccardo Tisci arrive, précédé de son aura sulfureuse issue de son travail chez Givenchy. Il propose alors une vision plus street, plus internationale et davantage ancrée dans les tendances urbaines.

Nouveau logo, silhouettes inspirées du sportswear, imprimés massifs: la maison opère un virage radical. Mais cette orientation heurte de plein fouet une clientèle fidèle, attachée à une certaine élégance sobre et intemporelle. Le trench iconique cède la place à des parkas techniques, le motif Nova Check se dilue dans une série d’imprimés graphiques sans lien clair avec l’histoire de la marque. Burberry devient tendance, mais à quel prix? Celui d’un positionnement flou, trop hybride pour convaincre.

L’arrivée de Daniel Lee, en 2022, après un passage remarqué chez Bottega Veneta, suscite de nouveaux espoirs. Connu pour son approche du luxe épurée et son sens du détail, il affiche dès ses débuts une volonté de retour aux fondamentaux.

Sa campagne "It’s Always Burberry Weather" replace les pièces essentielles du vestiaire de la maison: le trench, la veste harrington, la veste matelassée "The Quilt", la doudoune, la parka, l'aviateur et le duffle-coat. Le positionnement se veut plus clair, plus cohérent, mais il reste encore fragile. Car, entre les attentes d’un marché mondialisé friand de streetwear, une hausse des prix et le désir de retrouver une légitimité patrimoniale, le créneau disponible pour se replacer est serré.
Excès de diversification
Ce tiraillement entre innovation et tradition n’est pas nouveau. Au début des années 2000, Burberry avait déjà connu une crise identitaire majeure lorsque son motif Nova Check a été adopté — et caricaturé — par les "chavs", ces jeunes issus des classes populaires britanniques, dont l'allure est souvent perçue comme vulgaire ou ostentatoire. Loin de s’adapter, la marque avait choisi de faire disparaître temporairement l’imprimé de ses collections, se coupant ainsi d’une part de sa clientèle et créant un précédent: face au risque d’appropriation populaire, Burberry semble avoir préféré l’effacement plutôt que la réinvention.

Depuis, la maison de mode a multiplié les tentatives de repositionnement. Des lignes entières —sneakers, parfums, pièces techniques— ont vu le jour sans cohérence stylistique. Le résultat? Une perte de lisibilité, et donc de désirabilité. Dans un univers du luxe où chaque marque se doit d’incarner une vision singulière, Burberry donne l’impression d’un acteur hésitant, incapable de choisir entre classicisme et avant-garde.
La comparaison avec d’autres maisons de luxe contemporaines est alors cruelle. Burberry n’a ni la radicalité créative d’un Demna Gvasalia chez Balenciaga, ni l’exubérance baroque d’un Alessandro Michele chez Gucci, ni même la constance d’un Hermès dans le maintien de son ADN.

Son manque de clarté stratégique s’est doublé de maladresses éthiques. Le scandale de la destruction des invendus, révélé en 2018, a mis en lumière une déconnexion avec les attentes contemporaines en matière de durabilité. De même, l’usage prolongé de la fourrure, avant un abandon tardif, ou encore la rupture abrupte avec Kate Moss en 2005, à la suite d’un scandale lié à la consommation de drogue, ont contribué à écorner l’image de la marque.
"Burberry Forward": tentative de reconquête et retour aux sources
Face à cette spirale, l’actuel directeur général, Joshua Schulman, a décidé de reprendre les choses en main. Nommé à la tête de l’entreprise en 2023, il lance un vaste plan de redressement intitulé "Burberry Forward". Ici, le mot d’ordre est clair: un retour aux sources. En détail, la stratégie vise à réduire la surproduction, à limiter la prolifération de lignes secondaires, à recentrer l’offre sur les pièces emblématiques, à rationaliser les opérations internes et, bien sûr, à renforcer le storytelling autour de l’héritage britannique. Le plan "Burberry Forward" semble donc prometteur, puisqu'il s’attaque à la racine du problème: la cohérence de marque.

Cette volonté s’est d'ailleurs traduite dans la campagne #ItsAlwaysBurberryWeather, dans laquelle trench-coats et foulards emblématiques reprennent le devant de la scène. À noter également que la présentation de la collection automne-hiver 2025 de Daniel Lee à la Tate Britain n’était pas anodine. Il s’agissait d’un geste politique autant qu’artistique, une réaffirmation de l’ancrage culturel britannique de la maison, dans un temple de l’art national.
Ce renouveau s’est aussi exprimé lors du Met Gala 2025, événement phare de la mode mondiale, où Burberry a fait une apparition remarquée en collaborant avec le styliste américain Law Roach. Connu pour ses looks audacieux et ses relectures queer du glamour hollywoodien, Law Roach a conçu pour l’occasion une série de silhouettes déjouant les archétypes. Des capes trench revisitées, des jeux de drapés évoquant les sculptures classiques, une palette sobre rehaussée de détails audacieux: Burberry y retrouvait une forme de pertinence contemporaine, sans renier son héritage.
"Les meilleurs jours de Burberry sont à venir"
Bien que le chiffre d'affaires de la maison ait reculé de 17% sur l'exercice 2024, le groupe assure voir les premiers effets positifs de son plan de redressement et dit avoir vu "une amélioration significative de (ses) ventes au détail". "Bien que nous évoluions dans un contexte macroéconomique difficile et que nous en soyons encore aux premiers stades de notre redressement, je suis convaincu que nous avons les moyens d'améliorer notre image de marque", a assuré Joshua Schulman.
"Je suis plus optimiste que jamais sur le fait que les meilleurs jours de Burberry sont à venir et que nous allons générer une croissance durable et rentable au fil du temps."
Les investisseurs ont d'ailleurs applaudi mercredi une amélioration des ventes meilleure qu'espéré: le titre de Burberry s'envolait de près de 18% à la Bourse de Londres vers 17h. "Il ne fait aucun doute que (l'entreprise) prend de l'élan", pour Richard Hunter, analyste chez interactive investor. Mais les résultats du groupe restent bien loin du faste des années précédentes, ce qui "montre l'ampleur des réparations nécessaires", selon lui."Le redressement progresse", abondent les analystes de Deutsche Bank.
Burberry n’est donc pas mort. Mais la marque paie aujourd’hui le prix de deux décennies de navigation à vue, d’opportunisme stylistique et de manque de fidélité à son ADN La suite? Une question de fidélité, d’élégance… et de patience.