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Loro Piana

Loro Piana

Clientèle très fortunée et pièces discrètes: comment Loro Piana développe une stratégie à part au sein du groupe LVMH

À l'heure où l'industrie du luxe s'essouffle, Loro Piana, griffe de mode italienne passée sous pavillon LVMH en 2013, trace son sillon avec une rigueur et une constance presque déroutante. Discrète, ultra-qualitative, portée par des consommateurs (très) fortunés, elle défie les lois de la croissance traditionnelle en capitalisant sur la rareté, la pureté et un certain silence.

Une griffe qui s'affiche sans ostentation, mais identifie les plus fins connaisseurs du luxe. Spécialiste mondial du cachemire et des matières les plus rares, la griffe de mode Loro Piana performe en toute discrétion depuis plusieurs années.

Cette maison italienne, rachetée par LVMH en 2013, bouscule les codes classiques du secteur. Loin des publicités tapageuses et de la course au volume, elle mise sur le quiet luxury, transformant la rareté en moteur de croissance.

Loro Piana: entre cachemire, fibres rares et luxe discret

Ici, pas de logos voyants, ni de couleurs criardes, mais des pièces qui incarnent une forme de perfection tranquille, où la coupe accompagne le mouvement sans jamais le contraindre. Le vestiaire masculin (comme féminin) repose chez Loro Piana sur des essentiels sublimés, à contre-courant du tape-à-l’œil. Une approche qui fait écho à l'histoire de la maison.

Lora Piana
Lora Piana © Loro Piana

Tout commence au début du XIXe siècle, lorsque la famille Loro Piana se lance dans le commerce de laine. En 1924, Pietro Loro Piana fonde la société actuelle, Ing. Loro Piana & C., qui devient rapidement un acteur clé du textile haut de gamme. Après la Seconde Guerre mondiale, Franco Loro Piana, neveu de Pietro, donne un nouvel élan à l'entreprise, avant que ses fils, Sergio et Pier Luigi, ne la propulsent dans le cercle fermé du très grand luxe.

À la base de son offre: des fibres d’une rareté extrême — baby cashmere de Mongolie, vigogne des Andes, fleur de lotus birmane — transformées grâce à une combinaison unique de technologies de pointe et de savoir-faire artisanal. Le résultat? L’évidence des coupes, la noblesse des tissus et la perfection du tombé.

Loro Piana
Loro Piana © Loro Piana

Aujourd’hui, Loro Piana est reconnu comme le premier producteur mondial de cachemire, avec un modèle entièrement intégré, de la matière première aux boutiques. L’entreprise possède neuf sites de production en Italie, contrôle toute la chaîne d’approvisionnement et produit chaque année cinq millions de mètres de tissu.

Loro Piana
Loro Piana © Loro Piana

Les pièces phares? Des manteaux en baby cashmere, des pantalons en lin, des pulls en vigogne, des écharpes ultra-douces, des mocassins en suède léger — et, surtout, une obsession du détail. Finitions invisibles, coutures parfaites, et palette naturelle: beige sablé, gris orage, bleu glacier, vert sauge.

Ce style à la fois ultra-luxueux et discret fait de Loro Piana le symbole du quiet luxury, prisé des clients qui n’ont rien à prouver — mais tout à ressentir. Plus encore, à l’image d’Hermès, la griffe est devenue un marqueur de distinction pour une clientèle ultra-exigeante.

Selon les estimations des experts du luxe de la banque Royal Bank of Canada, seules deux marques bénéficient d'un positionnement plus proche du "luxe absolu" (par opposition au "luxe accessible") dans le "soft luxury", c'est-à-dire la mode et maroquinerie. Il s'agit d'Hermès et Chanel. Loro Piana arrive juste derrière, au même rang que l'italien Brunello Cucinelli, et devant Dior, Louis Vuitton ou encore Gucci.

Une stratégie centrée sur la clientèle "affluent" et sur une très grande qualité

Côté stratégie, la griffe se concentre presque exclusivement sur une clientèle dite "affluent". Il s’agit de consommateurs déjà riches — souvent très riches — habitués à consommer du luxe régulièrement.

Loro Piana
Loro Piana © Loro Piana

À l’inverse de la clientèle dite "aspirationnelle" — plus jeune, moins fortunée, qui consomme du luxe ponctuellement ou symboliquement (un sac, un accessoire, un parfum) — ces clients dits affluent recherchent l’excellence discrète, la durabilité, et une relation de confiance avec la marque. Bernard Arnault, PDG de LVMH, l’a résumé sans détour lors de l’assemblée générale du groupe à Paris, le 17 avril 2025:

"Je constate que lorsque les affaires sont plus petites et qu'elles s'adressent à une clientèle affluent — ce qui est le cas de Loro Piana, qui est probablement la marque au monde qui offre les meilleurs produits —, elles ont une croissance nettement supérieure à leurs concurrents. D’ailleurs, s'ils continuent comme cela, ils vont banaliser leurs produits, et c’est ça qu’il faut éviter."

Il précise: "Loro Piana, c’est 90% à 95% de clients affluents. Donc on prend des parts de marché". Loro Piana fait donc le choix assumé de la rareté et de l’excellence dans un contexte économique tendu, les clients affluents restent les plus solides.

Loro Piana
Loro Piana © Loro Piana

Loro Piana reste toutefois un petit acteur dans le secteur, comme dans la galaxie LVMH. La discrétion qui caractérise l'image de la griffe entoure aussi ses résultats financiers. "Loro Piana fait aujourd'hui – je ne vais pas donner le chiffre – mais moins de 3 milliards [d'euros, NDLR] de chiffre d’affaires", a esquissé Bernard Arnault lors de l'assemblée générale de LVMH, rappelant que sa stratégie est moins axée sur les volumes que Louis Vuitton ou Dior, les locomotives du groupe LVMH, qui montrent des signes de ralentissement.

"Les marques les plus performantes en mode et maroquinerie, Loewe et Loro Piana, continuent d'impressionner, mais leur contribution à la division est relativement modeste", résume une récente note de Jefferies.

Autrement dit, Loro Piana n’a rien d'un géant en chiffre d’affaires au sein du premier groupe mondial de luxe, même si sa trajectoire est prometteuse et sa croissance est est surtout portée par la fidélité d’un public international extrêmement sélectif.

Frédéric Arnault: de Tag Heuer à Loro Piana, un défi d'envergure

L’arrivée de Frédéric Arnault à la direction de Loro Piana, annoncée en 2024, a-t-elle vocation à changer la donne? Après quatre ans à la tête de la maison horlogère TAG Heuer au sein de LVMH, le fils cadet de Bernard Arnault hérite d’un tout autre défi: préserver l’extrême discrétion d’une marque élitiste tout en assurant sa modernité.

Pas question de campagnes tapageuses ni de croissance à marche forcée. Il s’agit plutôt de renforcer l’excellence, affiner l’expérience client, explorer des voies digitales discrètes mais efficaces, et peut-être — sans jamais trahir l’ADN — ouvrir la marque à de nouvelles générations de clients fortunés. Frédéric Arnault devra marcher sur un fil: injecter de la fraîcheur sans céder à la tentation de la massification.

Frédéric Arnault est rentré à Polytechnique alors qu'il avait été admis à l'ENS
Frédéric Arnault est rentré à Polytechnique alors qu'il avait été admis à l'ENS © AFP

Une premier virage semble avoir été amorcé dernièrement: Loro Piana a développé un lien subtil mais très efficace avec les célébrités, en cultivant un "quiet luxury" qui plaît particulièrement sur les tapis rouges et lors d’événements privés. En 2025, Loro Piana a ainsi habillé des célébrités aux Golden Globes, comme l'acteur Jeremy  Strong dans un ensemble en velours vert et cachemire ou les actrices Gwyneth Paltrow et Emma Stone.

Par ailleurs, la maison organise de plus en plus d'événements privés, comme ce dîner confidentiel à Southampton, face à la mer, avec l'actrice américaine Alexandra Daddario pour célébrer le lancement de sa collection 2024 ou encore des projections exclusives à New York avec Eddie Redmayne ou Uma Thurman autour de documentaires sur le cachemire. Des initiatives médiatiques certes, mais qui renforcent l’image d’une marque discrète et très prisée — une signature délibérée de sa communication et de son positionnement haut de gamme.

Loro Piana
Loro Piana © Loro Piana

Dans un univers longtemps dominé par le clinquant, Loro Piana réussit donc un tour de force: séduire (presque) sans bruit, sans campagnes marketing tapageuses, sans collaborations à tout-va. Alors que les classes moyennes mondiales réduisent leur consommation et que l’overdose de logos lasse, cette maison centenaire propose une alternative: celle du vrai luxe.

Juliette Weiss