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Du sperme de saumon dans les routines beauté: la dernière folie cosmétique venue de Corée du Sud cartonne aux États-Unis

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De Séoul à Los Angeles, un soin de visage venu des laboratoires coréens intrigue autant qu’il fascine. Derrière son nom volontairement provocateur, se cache une innovation qui illustre la puissance grandissante de la K-Beauty sur le marché mondial des cosmétiques.

Rougeurs, centaines de micro-injections et un ingrédient pour le moins déroutant: le sperme de saumon. Ce soin du visage venu de Corée du Sud, devenu viral sur TikTok, promet une peau éclatante au prix de quelques douleurs et d’un bon budget. Entre fascination, controverse et explosion commerciale, il illustre bien la puissance d’attraction de la K-Beauty.

Jusqu'à 1.000 dollars par séance aux États-Unis

Tout a commencé dans les cliniques esthétiques de Séoul, berceau de tendances beauté parfois jugées extravagantes mais souvent visionnaires. Là-bas, les patientes s’injectent depuis plusieurs années un sérum mis au point par la marque Rejuran, fabriqué à partir de polynucléotides extraits des testicules et du sperme de saumon. L’idée? Stimuler la régénération cellulaire, apaiser les inflammations et offrir un teint plus lumineux. La procédure, qui implique entre 500 et 700 micro-injections sur le visage, n’a rien d’une partie de plaisir. Le prix non plus: de 300 à 600 dollars par séance en Corée du Sud, et jusqu’à 1.000 dollars aux États-Unis.

Rejuran
Rejuran © Rejuran

Mais sur TikTok, où les vidéos de visages rougis et constellés de petites bosses virales se comptent par milliers, le sacrifice est mis en scène comme un rite de passage vers la peau “parfaite”. C’est le cas de Sally Kim, une Californienne, interrogée par Bloomberg, qui a tenté l’expérience l’automne dernier pour traiter son acné hormonale. Filmée par son mari, inquiet de la voir rentrer le visage en sang, elle répond avec aplomb: "C'est pour avoir une belle peau". Une réplique devenue emblématique d’un phénomène où la douleur, l’étrangeté et la promesse de transformation se mêlent et ne cessent de séduire les réseaux sociaux.

Résultat? Selon Bloomberg, les recherches Google sur le terme “sperme de saumon” ont bondi de 5.000 % en un an. Dans le même temps, l’action de PharmaResearch Co., société mère de Rejuran, a triplé sur le marché coréen. Le nom du soin y est pour beaucoup. En effet, derrière l’image choc du “sperme de saumon” se cache un storytelling puissant: l’exotisme d’un ingrédient inattendu, associé au fantasme d’une science cosmétique futuriste. Le tout incarné par des images virales de patientes qui sortent des cliniques “comme des princesses extraterrestres”, avant de dévoiler quelques semaines plus tard une peau lisse et éclatante.

Entre fascination et controverse

Aux États-Unis, un obstacle majeur demeure : la FDA (Food and Drug Administration) veille au grain et cette dernière n’a pas autorisé l’injection de ce produit, limitant son usage à une application topique (en surface). Pourtant, nombre de spas médicaux outrepassent discrètement la réglementation, profitant de la demande grandissante. A noter que des alternatives existent, comme les micro-aiguilles associées à l’application du sérum, qui permettent une meilleure pénétration sans passer par l’injection directe. Certains chirurgiens esthétiques, comme Gabriel Chiu à Beverly Hills, préfèrent rester à l’écart:

"C’est plus une tendance virale qu’un véritable traitement médical à long terme", affirme-t-il, rappelant l’existence de solutions éprouvées comme le PRP (plasma riche en plaquettes), aussi surnommé le “soin vampire”.

Mais, si la frontière entre médecine et cosmétique s’efface de plus en plus, la demande, elle, ne faiblit pas.

La K-Beauty, machine à séduire

Le succès du sperme de saumon facial n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans la stratégie d’innovation agressive de la K-Beauty. En effet, depuis une décennie, la Corée du Sud a imposé ses codes dans la beauté mondiale. Masques en tissu, routines en dix étapes, packagings ludiques, marques hyperactives sur les réseaux sociaux... un dynamisme qui séduit d’abord la génération Z, avide de nouveautés spectaculaires à prix (relativement) abordables. L’attrait repose aussi sur un contraste culturel: là où l’Occident a longtemps sacralisé le minimalisme et la discrétion, la K-Beauty revendique l’abondance et l’expérimentation.

Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2024, les exportations de cosmétiques coréens ont bondi de 20 %, tandis qu’en Europe, les enseignes traditionnelles ont dû s’adapter en urgence. À Paris, ce sont les Galeries Lafayette, le Printemps, le BHV ou encore Monoprix qui ont ouvert des corners permanents dédiés à la beauté coréenne.  Face à ce raz-de-marée, même L’Oréal, numéro un mondial, vacille. Si le groupe reste solide sur le luxe et le maquillage, il constate un désamour inquiétant des jeunes consommateurs. Le PDG Nicolas Hieronimus a dû annoncer de nouvelles stratégies: davantage d’innovation produit, des packagings revisités et des investissements ciblés dans des marques émergentes… dont certaines sont coréennes.

Born To Stand Out
Born To Stand Out © Born To Stand Out

En février dernier, L’Oréal a pris une participation dans Born to Stand Out, une maison de parfums de niche coréenne en pleine expansion. Bien que les soins au sperme de saumon resteront peut-être une curiosité éphémère, balayée par la prochaine innovation choc, la Corée du Sud s’impose tout de même comme l’épicentre de la beauté mondiale, dictant ses tendances et ses récits.

Et si les aiguilles de Rejuran font grimacer, elles plantent surtout un jalon symbolique: celui d’une nouvelle géopolitique de la beauté, où Séoul rivalise désormais avec Paris pour définir ce que sera la "perfect skin” de demain.

Juliette Weiss