Sauver Gucci, réduire la dette et recréer le "désir" autour des marques: les grands défis que devra relever Luca de Meo chez Kering

Les actionnaires de Kering misent sur Luca de Meo, ex-directeur de Renault, pour redresser un empire du luxe en panne. Gucci s’essouffle, la dette enfle, le portefeuille de marques manquent de désir: l’Italien hérite donc d’une équation à haut risque mais qui ne semble pas lui faire peur.
Une nomination très attendue
Mardi 9 septembre 2025, les actionnaires de Kering ont validé l’arrivée de Luca de Meo à la direction générale du groupe. Lors de l’assemblée générale, Luca de Meo a promis un plan stratégique complet pour le printemps 2026:
"Nous serons rapides, efficaces et décisifs", a-t-il assuré. Mais il a prévenu: "Les décisions ne seront pas toujours faciles. Cela impliquera sans doute des efforts de la part de tous, du management des collaborateurs, de nos partenaires, de nos fournisseurs".
Sa prise de fonctions, prévue le 15 septembre, suscite un mélange d’espoir et de scepticisme. François-Henri Pinault, qui reste l’actionnaire de référence et président du conseil d’administration, le décrit comme "un stratège, un bâtisseur et un homme qui comprend les marques". Les marchés, eux, ont brièvement applaudi. Si le titre Kering s’est redressé après l’annonce, certains analystes tempèrent: "Le concept du sauveur est un mythe", avertit la banque HSBC, rappelant que "dans le luxe, la réussite ou l'échec vient de l'équipe chargée d'articuler une vision cohérente, et non pas seulement de la personne qui l'incarne."

Et si l’Italien affirme être déjà passé "par des situations de redressement beaucoup, beaucoup plus compliquées", il se retrouve tout de même face à trois chantiers prioritaires.
L'urgence Gucci
Vaisseau amiral du groupe, Gucci représente 44 % du chiffre d’affaires de Kering. Mais la maison florentine s’essouffle: au premier semestre 2025, ses ventes ont chuté de 27%, tombant à 1,46 milliard d’euros. Même les sacs iconiques, longtemps considérés comme des valeurs sûres, peinent à séduire. L’écart avec LVMH ou Hermès se creuse: quand ces géants dépassent les 230 milliards d’euros de valorisation, Kering plafonne autour de 21 milliards.
L’ère baroque d’Alessandro Michele avait dopé les ventes, mais depuis son départ en 2022, Gucci multiplie les faux départs. Sabato De Sarno, son remplaçant, n’aura tenu que deux ans et demi, et c’est désormais Demna Gvasalia, ex-directeur artistique de Balenciaga et personnalité controversée, qui doit raviver la flamme. A noter qu'entre 2022 et 2024, les ventes annuelles se sont effondrées, passant de 10,5 à 7,65 milliards d’euros.

Luca de Meo en est conscient: "Gucci, c'est clair que c'est une priorité (...) mais il y a beaucoup de choses. Il faut avoir l'habilité de faire les choses en parallèle, il y a beaucoup de choses à faire en même temps", a-t-il déclaré lors de l'assemblée générale qui s'est tenu hier à Paris.
Le fardeau de la dette
Autre talon d’Achille du groupe français de luxe: la dette. Alors qu’en 2021 Kering affichait encore un endettement proche de zéro, il se retrouve, au premier semestre 2025, lesté de 9,5 milliards d’euros. Cette dégradation provient d’acquisitions stratégiques mais très coûteuses. A l'image du rachat de la maison de parfums Creed (3,5 milliards), mais aussi de 30 % de Valentino (1,7 milliard), ainsi que des biens immobiliers de prestige comme la Via Monte Napoleone à Milan pour environ 1,3 milliard d’euros.

Le groupe a déjà entamé un désendettement, avec la cession de 837 millions d’euros d’actifs immobiliers à la société d'investissement privée Ardian. Mais la question demeure: comment financer la suite sans brader le patrimoine? "Revendre des biens immobiliers (à des prix inférieurs à ceux d'achat) est un remède amer mais nécessaire", estime la banque privée allemande Bernstein dans une note. Certains analystes envisagent même que l’achat total de Valentino puisse être réglé en actions plutôt qu’en numéraire.
"Nous devrons continuer à nous désendetter et, là où cela s'impose, rationaliser, réorganiser et repositionner certaines de nos marques" a affirmé Luca de Meo.
Des maisons en quête de désir
Si Gucci symbolise l’urgence, les autres marques ne brillent guère. Yves Saint Laurent a vu ses ventes reculer de 11 % au premier semestre, Balenciaga (piloté depuis juillet dernier par le styliste Pierpaolo Piccioli) de 15 %. Seules Bottega Veneta et Kering Eyewear affichent de très légères progressions, respectivement +1 % et +2 %.

Le contraste est saisissant pour un groupe longtemps porté par la force créative de ses maisons. Kering dispose pourtant de talents reconnus, mais la cohérence narrative s’est effilochée au fil des changements de directeurs artistiques, et le "désir" s’est érodé. Luca de Meo reste, quant à lui, optimiste face à cette situation: "Je vois beaucoup de potentiel, les marques sont incroyables", a-t-il déclaré à l'issue de l'assemblée générale.
Les recettes appliquées chez Renault (clarification du portefeuille, discipline financière, remise en avant du produit) peuvent-elles s’adapter au luxe? Le parallèle est tentant, mais trompeur. Dans l’automobile, un plan produit se déploie sur trois à cinq ans, dans le luxe, une collection ratée peut ruiner une dynamique et une décennie peut être nécessaire pour retrouver la désirabilité perdue. Pourtant, les marchés comme les actionnaires veulent y croire. Ils perçoivent cet outsider, au goût jugé sûr, comme une figure de rupture et d’énergie nouvelle — tout ce dont Kering a besoin.