JULIEN DE ROSA
Rose fushia et couture radicale: qui est Pierpaolo Piccioli, nouveau directeur artistique de Balenciaga?
Pierpaolo Piccioli, l’homme derrière le “pink PP” et les défilés poétiques de Valentino, prend les rênes de Balenciaga. Au-delà de l’annonce, qui est réellement ce créateur à contre-courant, que l’on dit aussi humble que talentueux? Retour sur sa carrière, ses choix artistiques et sur le tournant esthétique et stratégique de la maison parisienne.
Ascension, règne du "Pink PP" et luxe inclusif
Longtemps identifié comme l’âme romantique de Valentino, Pierpaolo Piccioli a bâti, patiemment, une carrière à contre-courant des tendances passagères et des effets de mode. Né en 1967 dans la petite ville côtière de Nettuno, près de Rome, il entre dans le monde de la création à travers la maison Fendi, avant de rejoindre Valentino en 1999. Là, il y forme un duo créatif avec Maria Grazia Chiuri, avec laquelle il est à la tête de la division accessoires de la maison.
En 2008, lorsque la directrice artistique Alessandra Facchinetti quitte son poste, le tandem hérite de la création. En 2016, Maria Grazia Chiuri s’envole vers Dior, laissant Pierpaolo Piccioli seul à la tête de Valentino. C’est dans cette solitude (toute relative) que le créateur révèle alors toute l’ampleur de sa vision. Il transforme Valentino en une maison tournée vers la jeune génération, plus inclusive et audacieuse. Couleur unique, silhouette minimaliste, expression maximale: c'est ici tout le style de Piccioli.
Parmi ses signatures les plus fortes: les couleurs. Des teintes intenses qui deviennent peu à peu sa carte de visite. Illustration avec le "Pink PP": un rose fuchsia inédit, créé en collaboration avec le Pantone Color Institute. Déclinée en monochrome lors de la collection automne-hiver 2022-2023, cette couleur devient en quelques mois un phénomène visuel planétaire et un véritable credo mode.
Le créateur italien excelle également dans le maniement des volumes, les drapés majestueux ainsi que les capes spectaculaires. Une vision romantique certes, mais jamais mièvre. À noter aussi que, sous sa direction, la griffe Valentino prone alors une mode plus inclusive avec notamment des castings diversifiés et des vêtements pensés pour différents corps, genres et cultures.
En mars 2024, après 25 ans de bons et loyaux services, le couturier annonce qu'il quitte la maison Valentino. Aucune raison n'est donnée et il y sera remplacé par le célèbre couturier Alessandro Michele, anciennement chez Gucci.
Nomination stratégique: le debut d'une nouvelle ére pour Balenciaga
En le nommant aujourd'hui à la tête de Balenciaga, le groupe Kering, propriétaire de la marque, tourne donc la page d’une décénnie marquée par le règne du styliste géorgien Demna Gvasalia, figure du post-ironie, et maître du détournement.
De la tenue noire intégrale portée par Kim Kardashian et Kanye West au Met Gala en 2021, aux sacs à main chips, en passant par les baskets usées vendus à prix d’or, Demna Gvasalia a cultivé un langage visuel choc. S’il a su rendre Balenciaga omniprésente dans la pop culture, il a aussi mis en péril l’image de la maison, notamment avec la campagne controversée de 2022, jugée inappropriée et condamnée publiquement.
L’annonce de son départ en mars, suivie de sa nomination chez Gucci (également propriété de Kering), a provoqué des remous jusque dans les marchés financiers, faisant chuter le cours de l’action de Kering de près de 11%.
Le groupe, échaudé, semble aujourd’hui chercher le retour à une forme de stabilité, de cohérence et de désirabilité plus consensuelle. Le choix de Pierpaolo Piccioli s’inscrit donc dans une volonté claire de repositionnement: revenir à une certaine idée de l’excellence, du savoir-faire et de l’élégance sans renier l’esprit contemporain.
"Je suis très heureuse d'accueillir Pierpaolo au sein du groupe. Il est l'un des créateurs les plus talentueux et les plus célèbres d'aujourd'hui", a salué Francesca Bellettini, directrice générale adjointe de Kering.
"Sa maîtrise de la couture, sa voix créative et sa passion pour le savoir-faire font de lui le choix idéal."
"Je tiens également à remercier sincèrement Demna pour la vision audacieuse et distinctive qu'il a apportée à Balenciaga au cours des 10 dernières années, façonnant l'identité de la maison à l'ère contemporaine."
Le défi est donc immense pour le couturier de 57 ans qui doit conquérir un public global, souvent jeune, sensible aux messages sociétaux, tout en fidélisant une clientèle de luxe exigeante. Il devra séduire autant les fidèles du tailoring Balenciaga que les nouvelles générations, à la recherche d’une mode qui a du cœur autant que du style. Nul doute que sa première collection pour la griffe, attendue à Paris en octobre, sera scrutée avec attention.
