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Des prix qui flambent bien plus que chez Chanel et Hermès, un style qui lasse les clients et des ventes en baisse de 10%: comment Dior est devenu le talon d'Achille de LVMH

Galerie Dior, Paris

Galerie Dior, Paris - RICCARDO MILANI

Malgré un ralentissement généralisé du luxe en 2025, LVMH a mieux résisté que la plupart de ses concurrents. Mais derrière la solidité du géant se cache un maillon faible: Dior. Jadis moteur de croissance, la maison fondée en 1946 connaît une chute brutale de ses ventes, conséquence d’une stratégie tarifaire agressive, d’un essoufflement créatif et d’un rapport qualité-prix désormais questionné par ses propres clients.

De Jisoo à Anya Taylor-Joy, de défilés spectaculaires en hausses de prix vertigineuses, Dior semblait intouchable. Mais, la maison star de LVMH traverse une zone de turbulences. Les ventes reculent, l’élan créatif s’essouffle et l’aura s’émousse face à des consommateurs plus exigeants. Pour sauver Dior, Bernard Arnault mise désormais sur un homme, Jonathan Anderson, le créateur britannique censé redonner du désir à une étoile vacillante.

Une chute brutale après une ascension fulgurante

En 2025, le luxe connaît une phase de turbulences. La baisse de la consommation en Chine, qui avait soutenu l’industrie pendant deux décennies, combinée à un ralentissement en Europe et aux États-Unis, a freiné l’élan d’un secteur habitué à une croissance presque ininterrompue. Le géant français LVMH, numéro un mondial, n’y échappe pas. Mais si le groupe résiste mieux que prévu, une marque en particulier plombe ses performances: la maison Dior, acquise en 1984 par Bernard Arnault lors du rachat du groupe Boussac.

Dior Gold House, Bangkok
Dior Gold House, Bangkok © Goose Studio

Selon une étude publiée en septembre 2025 par le bureau d'études Bernstein, les ventes de Dior devraient chuter d’environ 10% cette année, tombant à 7,1 milliards d’euros après avoir culminé à 7,8 milliards en 2023. Si la maison a connu une ascension fulgurante après le Covid-19 — ses ventes ayant doublé en quatre ans —, depuis 2023, Dior continue de perdre du terrain. En effet, l'attrait s’est érodé en Chine comme en occident, transformant la success story en source d’inquiétude. Un retournement de tendance qui fragilise la division mode et maroquinerie de LVMH, habituellement son moteur principal.

"Une envolée des tarifs"

Au cœur du problème Dior? La stratégie de montée en gamme. Depuis 2020, la maison de luxe a fortement accéléré ses hausses de prix pour se rapprocher toujours plus de son éternel concurrent, Chanel.

Sauf que la maison française a peut-être eu la main lourde. Bernstein estime que la hausse moyenne des prix sur un échantillon représentatif de produits a atteint 66% chez Dior contre 59% pour Chanel, 43% pour Prada, 31% pour Louis Vuitton et "seulement" 25% chez Saint Laurent et 20% chez Hermès.

Illustration avec un sac Lady Dior, en cuir noir de taille moyenne, vendu 3.200 euros en 2016, 3.900 euros en 2020, il était affiché à 5.900 euros en 2024. Une envolée des tarifs qui n’est pas uniquement le cas de Dior, puisque l’ensemble du secteur a relevé ses prix bien au-delà des rythmes dits "classiques" de 5 à 7% par an.

"Le défi du rapport qualité-prix auquel Dior est confronté est particulièrement aigu, si l’on considère à la fois la hausse rapide des prix et le marasme créatif prolongé", observe Luca Solca, analyste spécialiste du luxe chez Bernstein.

En effet, le rapport qualité-prix est devenu une question centrale dans le luxe. "On parle beaucoup des compétences artisanales, de la haute qualité et du savoir-faire dans notre secteur. Ceux qui sortiront vainqueurs de la question du rapport qualité-prix seront ceux en mesure de joindre le geste à la parole", poursuit le cabinet Bernstein.

Confection de la collection Dior haute couture à Paris, le 4 juillet 2020
Confection de la collection Dior haute couture à Paris, le 4 juillet 2020 © FRANCOIS GUILLOT © 2019 AFP

Cela suppose d’aller bien au-delà du storytelling et demande d'acquérir des fournisseurs rares, d’investir dans les meilleurs cuirs et soieries... Bref de garantir que le prix élevé se reflète réellement dans le produit. Hermès a déjà pris une longueur d’avance dans ce domaine, en sécurisant des ateliers et des tanneries d’exception. Richemont a fait de même avec la haute horlogerie. LVMH, lui aussi, a commencé à muscler ses investissements industriels. Mais Dior, dans ce contexte, donne le sentiment d’avoir privilégié la hausse tarifaire sans enrichir suffisamment la substance de son offre.

L’usure créative des directeurs artistiques

La maison Dior souffre également d’un certain essoufflement artistique. Maria Grazia Chiuri, directrice artistique des collections femmes de Dior de 2016 à 2025, a marqué la griffe à travers sa vision romantique et féministe. Mais depuis quelques années, les collections peinent à se renouveler. Entre les lignes printemps-été 2023, 2024 et 2025, les mêmes silhouettes se dévoilent, à grand renfort de jeux de transparence, de robes longues et de tons monochromes.

Dior, printemps-été 2025
Dior, printemps-été 2025 © Bertrand Guay

Côté homme, Kim Jones a lui aussi imposé un style sportswear et couture qui a séduit dans un premier temps, avant de lasser. La longévité de ces deux créateurs, rare dans une industrie habituée au jeu des chaises musicales, se retourne aujourd’hui contre Dior.

La fuite des clients vers les marques de niche

Par ailleurs, la maison a réduit son offre dite "accessible". Moins de sneakers, moins de t-shirts, quasiment pas de présence en magasins d’usine (les fameux "outlets"). En se concentrant sur des produits très chers, la griffe a cherché à renforcer son exclusivité. Mais le risque est clair: perdre la clientèle dite aspirationnelle -globalement les jeunes et les influenceurs- celle qui faisait autrefois la queue pour acheter une paire de baskets ou une ceinture griffée.

"Les prix d’entrée exorbitants ont exclu la classe moyenne aspirante aux produits phares des marques", note Bernstein, qui souligne qu’il est désormais pratiquement impossible d’acheter un sac d’une grande maison de luxe, de taille normale, à moins de 3.000 euros.

Ce déséquilibre se double d’une évolution du marché. Les grands clients, les fameux VIC (Very Important Clients), se tournent de plus en plus vers des marques de niche comme Loro Piana, Brunello Cucinelli ou Zegna, qui offrent un luxe discret, centré sur les matières premières et le savoir-faire artisanal.

Désormais les "mégamarques" comme Dior ne peuvent plus se reposer sur leur seule aura. À mesure que la demande se modère, il est essentiel pour les marques "d’impressionner" les consommateurs et de leur donner de nouvelles raisons de dépenser leur argent.

Le pari Jonathan Anderson

Face à cette situation, LVMH pourrait envisager des mesures radicales. Bernstein évoque la possibilité d’une réorganisation, comme une scission de la division vins et spiritueux, pour concentrer ses efforts sur le redressement de Dior. Mais l’essentiel du salut viendra de la créativité. Et c’est précisément le pari fait avec la nomination de Jonathan Anderson.

Jonathan Anderson
Jonathan Anderson © Dia Dipasupil

Le créateur britannique, précédemment aux commandes de Loewe et remplacé par le duo Jack McCollough et Lazaro Hernandez, a présenté une première collection homme cet été. L’attente est immense, car c’est peut-être là que se joue le retour en grâce de Dior. En attendant, le couturier sème ici et là des indices comme des escarpins satinés très preppy, des sacs Lady Dior à fleurs et de nombreux clins d’œil à l'héritage de Christian Dior.

Dior par Jonathan Anderson, printemps été 2026
Dior par Jonathan Anderson, printemps été 2026 © Dior

Si le style et la vision artistique de Jonathan Anderson semblent déjà bien en place, la lassitude s’installe pourtant déjà face à des castings trop prévisibles. Dior continue de miser sur les mêmes égéries, de Jisoo à Anya Taylor-Joy, sans véritablement proposer de nouvelles incarnations. Le luxe a toujours cultivé son lien avec les célébrités, mais le choix récurrent d’actrices ou de chanteuses finit par sonner creux.

Et Dior n’est pas un cas isolé. Chanel s’appuie par exemple sur la chanteuse belge Angèle ou l'actrice Kristen Stewart avec la même logique, préférant la réassurance médiatique à l’audace, au risque de multiplier des visages interchangeables qui peinent à incarner un récit fort. En effet, ces égéries semblent moins incarner une vision que cibler un segment de clientèle bien précis — comme séduire une jeunesse connectée — au risque de donner l’impression d’un marketing mécanique plutôt que d’un véritable souffle créatif.

Désormais, il est question de renouer avec ce qui a fait la force de la maison depuis sa fondation en 1946 par Christian Dior. Lors de son premier défilé, le couturier avait bouleversé la mode avec sa vision du "New Look", redonnant joie et désir à un monde encore marqué par la guerre.

Christian Dior, 1947
Christian Dior, 1947 © Dior

Près de 80 ans plus tard, c’est cette capacité à surprendre et à séduire qui manque à la maison. Dior reste une pièce maîtresse du groupe et un symbole fort de l’empire bâti par Bernard Arnault, mais sans un rééquilibrage de ses prix, une relance de la créativité et un retour d’accessibilité pour les nouvelles générations de clients, la maison pourrait rester le maillon faible de LVMH.

Comme l'est l'italien Gucci, en perte de vitesse depuis des années chez Kering et que tente de relancer le nouveau patron Luca de Meo. Dior est-il le nouveau Gucci?

"Nous maintenons notre opinion selon laquelle "Dior n'est pas le prochain Gucci", relativise HSBC dans une note de septembre. Nous sommes convaincus qu'avec Jonathan Anderson à la direction artistique de Dior, les perspectives positives et le potentiel créatif sont plus importants que les risques. Nous prévoyons un redressement significatif de la marque à partir du deuxième trimestre 2026."
Juliette Weiss