La France en possède 31, la Belgique rêve d'en avoir: comment on transforme un hôtel 5 étoiles à 700 euros la nuit en palace à 1.500 euros

De l’Hôtel de Crillon au Plaza Athénée, la France a bâti une aura unique autour de la prestigieuse appellation "Palace". Inspiré par le modèle français, le Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels rêve d’exporter le concept en Belgique et d’en faire un levier pour repositionner la ville dans le cercle très fermé des destinations luxe.
"2,5 employés par chambres"
Si vous vous êtes déjà demandé ce qu’il se cache derrière les étoiles qui ornent la façade des plus beaux hôtels du monde, la réponse est bien plus complexe qu’un simple classement touristique. Au delà de l’éclat des lustres en cristal et du raffinement des suites, se joue une véritable bataille économique et symbolique: celle de l’appellation "Palace". Un graal que seuls quelques établissements obtiennent, et qui transforme un hôtel 5 étoiles, aussi luxueux soit-il, en icône internationale.

En France, en 2025, ils sont 31 établissements à avoir décroché ce titre, délivré depuis 2010 par Atout France, l’agence publique de développement touristique. De l’Hôtel de Crillon à Paris, au Meurice en passant par l’Hôtel du Cap-Eden-Roc à Antibes ou encore l'Hôtel Les Airelles à Courchevel, les critères d'obtention français sont drastiques: localisation exceptionnelle, architecture et design uniques, histoire particulière, restauration d’exception, service d’une rare précision, spa de haute volée et surtout, un certain ratio de personnel par chambre. À Paris, on parle de 2,5 employés par clé (contre 1,8 en province), un chiffre qui garantit une attention constante mais qui implique aussi des coûts colossaux.
Concernant le processus d'obtention, il se déroule en trois temps: une première sélection technique, fondée sur des critères stricts, puis un passage devant un jury indépendant et une visite de contrôle. Il s'agit ici d'évaluer l’âme du lieu, son histoire et la singularité de l’expérience proposée. Le titre est accordé pour cinq ans et doit être renouvelé afin de garantir une excellence constante.
La tentation du modèle français
Certains de nos voisins qui n'ont pas de palace veulent s'inspirer des critères français pour attirer une riche clientèle internationale.
"En Belgique, nous n’avons pas l’appellation Palace", rappelle Nicolas Kipper, directeur général du Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels, qui souhaite instaurer ce label dans le plat pays. Pour ce natif d’Alsace, qui a fait carrière dans l’hôtellerie de prestige, la démarche va bien au-delà de son établissement cinq étoiles. Derrière l’ambition de voir l’Astoria accéder au rang de "Palace", c’est toute une ville qui est en jeu.
"Bruxelles n’a aucun palace. Cette appellation, calqué sur le modèle français, permettrait de faire rayonner notre capitale et de la positionner sur la carte du luxe européen, aux côtés de Paris, Londres ou Milan. Aujourd’hui, nous sommes en retard. Et c’est aussi à nous de changer ça", confie-t-il.
Difficile de trouver un candidat plus légitime que le Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels. Commandé en 1910 par décret royal du roi Léopold II de Belgique, l’Astoria fut longtemps un symbole de la haute société belge avant de tomber dans une longue léthargie.

Classé monument historique, il a été entièrement rénové sous la houlette de l’architecte Francis Metzger. Détail charmant, quelques années plus tôt, en 1908, le roi Léopold II de Belgique avait déjà contribué à façonner l’hôtellerie de prestige en Europe. Séduit par la Côte d’Azur, il avait notamment choisi Saint-Jean-Cap-Ferrat pour y faire bâtir le Grand Hôtel du Cap-Ferrat, rapidement devenu une référence du luxe. Comme un écho, c’est ce même souverain qui fit naître à Bruxelles l’Astoria, aujourd’hui transformé en Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels et candidat, un siècle plus tard, à l’appellation Palace.

Ici, les murs du hall d'entrée sont ceux de l’époque, restaurés avec le concours des autorités de protection du patrimoine et on est sous le charme des délicats vitraux Belle Époque. Les 126 chambres et 36 suites - dont la Belle Vue Penthouse, perchée au sommet avec une vue imprenable sur Bruxelles – déclinent une élégance sobre où chaque détails est pensé avec goût. Dans les assiettes, deux signatures étoilées, Christophe Hardiquest et David Martin, orchestrent respectivement la brasserie "Le Petit Bon " et le restaurant gastronomique "Palais Royal". Sans oublier le très grand Spa griffé Sisley, la piscine et le "spa café" où l'on déguste des salades healthy et des jus vitaminés.
"Un palace n’a pas vocation à être figé dans le passé ou condamné à une authenticité brute”. Il doit mettre en lumière le patrimoine, tout en proposant une expérience contemporaine. On doit savoir rester concurrentiel." insiste Nicolas Kipper. "C’est exactement ce que nous avons voulu faire ici. Restaurer la gloire de l’Astoria, mais aussi le faire vivre dans le XXIe siècle. "
"Rester au sommet, en permanence"
Derrière les marbres et les dorures, la stratégie est claire: investir massivement pour se hisser au sommet du marché hôtelier. Car le "Palace" n’est pas qu’une étiquette prestigieuse: c’est un outil business puissant. Il attire une clientèle ultra-premium, souvent internationale, qui ne regarde pas les prix mais exige le meilleur. À Paris, les chiffres parlent d'eux-même. Alors qu’une nuit dans un 5 étoiles se réserve en moyenne autour de 700 euros, il faut souvent débourser deux à trois fois plus pour franchir les portes d’un palace. Dans certains cas, la chambre standard dépasse allègrement les 1.500 euros, tandis que les suites peuvent s’afficher à plus de 20.000 euros. Pour Bruxelles, où l'offre hôtelière premium est rare, l’apparition d’un palace bouleverserait la donne.
"C’est un gros challenge, surtout en phase d’ouverture", reconnaît Kipper. "Mais nous savons que ce label, s’il est reconnu par le gouvernement, devra être renouvelé. Cela impose de rester au sommet, en permanence."
Vers une redéfinition du luxe hôtelier européen?
Le cas du Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels illustre bien une tendance de fond , l’émergence de nouveaux candidats au titre de palace, dans des villes où cette notion n’existait pas.
Le marché de l’ultra-luxe hôtelier, dopé par une clientèle internationale en quête d’expériences uniques, pousse les acteurs à se différencier. À Paris, actuellement douze palaces cultivent leur histoire, à Londres, certains comme le Claridge’s réinventent l’héritage victorien. À Bruxelles, c’est une page neuve qui s’écrit, celle d’un monument Belle Époque qui cherche à devenir la vitrine d’une capitale encore en quête de reconnaissance sur la scène du luxe.