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"Ce n’est pas de l’artisanat, c’est de la fast déco": c'est quoi RH, cet "Ikea des millionnaires" avec ses canapés à 14.500 euros qui arrive à Paris?

RH Paris

RH Paris - RH Paris

Avec son ouverture spectaculaire sur les Champs-Élysées, RH (Restoration Hardware), le géant californien du design haut de gamme, ne se contente pas de vendre des canapés à cinq chiffres: il propose une immersion totale dans un art de vivre des plus luxueux. Hôtel particulier, galerie d’art et restaurant exclusif... Derrière cette arrivée fracassante, le modèle économique et créatif de l’enseigne interroge.

Avec sa toute nouvelle galerie de sept étages sur les Champs-Élysées, la marque d'ameublement RH (Restoration Hardware) redéfinit la frontière entre boutique, galerie et lieu de vie. La marque californienne, pionnière d’un modèle d’adhésion premium, mise à Paris sur un cocktail unique. Une implantation et un positionnement qui suscitent autant d’enthousiasme que de réserves dans le milieu du design.

Une implantation spectaculaire sur les Champs-Élysées

Si le nom de RH ne vous dit rien, sachez que cette marque de design, très appréciée des stars comme Ellen Degeneres ou encore Catherine Deneuve, vient pourtant de poser ses (très grandes) valises au 23, avenue des Champs-Élysées, dans l’ancien site d’Abercrombie & Fitch. Fondée en 1979 par Stephen Gordon en Californie, RH était à l’origine une boutique d’accessoires et de décoration intérieure. Aujourd’hui, elle est devenue la première chaîne américaine de mobilier haut de gamme.

RH Paris
RH Paris © RH Paris

Sa toute nouvelle galerie de sept étages, redéfinit la frontière entre boutique, galerie et lieu de vie. Le concept: une succession d’espaces théâtralisés où se mêlent mobilier, objets d’art, antiquités et restauration. Dès l’entrée, les portes monumentales aux feuilles d’or, le médaillon de six mètres et l’esthétique où le rustique chic californien côtoie un raffinement très parisien, donnent le ton.

On y trouve des canapés à 14.500 euros, des lits en pierre ou en métal à 13.800 euros, des luminaires sculpturaux, des photographies d’artistes et même des fontaines extérieures. Au deuxième étage, le "Jardin RH" propose une terrasse de verre et d’acier inspirée du Grand Palais. Au troisième, un bar-lounge. Et, pièce maîtresse, le restaurant "Le Petit RH", avec son plafond de 7.000 polyèdres en verre soufflé, sert caviar et salades signatures face à des vues panoramiques sur Paris.

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RH Paris © RH Paris

Derrière ce faste, RH incarne un modèle économique singulier. Depuis 2016, sous l’impulsion de son directeur général Gary Friedman, la marque a abandonné les promotions traditionnelles pour un programme d’abonnement premium, la RH Grey Card. Dès la première année, 95% du chiffre d’affaires provenait de ces membres. En 2024, le programme compte près de 400.000 adhérents, générant des revenus récurrents estimés entre 90 et 175 millions de dollars annuels.

Un modèle qui fidélise la clientèle, génère des revenus prévisibles et renforce l’image premium de la marque. De quoi séduire, surtout dans un marché français de l’ameublement en recul (–5,1 % en 2024), où le haut de gamme résiste mieux.

Derrière les dorures, des critiques

Pourtant, derrière le discours marketing parfaitement huilé, des voix s’élèvent. Isabelle Dubern-Mallevays, cofondatrice de The Invisible Collection — la première marketplace dédiée aux pièces de design créées par des artisans et des designers contemporains de renom — est catégorique: "RH, ce n’est pas de l’artisanat, c’est de la fast déco".

Ancienne conseillère artistique chez Diptyque et directrice artistique chez Dior Maison, Isabelle Dubern-Mallevays connaît intimement les rouages du secteur. À ses yeux, la comparaison est claire: "Comme Shein dans la mode, RH fonctionne sur la logique de la copie et de la production de masse. Derrière l’image premium, on est très loin du savoir-faire français ou européen"

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RH Paris © RH Paris

La marque n’hésite pas en revanche à convoquer un imaginaire culturel fort: références à l’art italien, à Léonard de Vinci et à son Homme de Vitruve, vocabulaire emprunté au registre artistique et au luxe… un storytelling léché qui peut entretenir une certaine confusion entre artisanat, patrimoine et stratégie marketing.

Interrogée par BFM Business, RH tient pourtant à préciser quels artistes étaient mis en avant dans sa nouvelle galerie parisienne. Aux côtés de créateurs argentins ou yougoslaves, figure par exemple Jean-Marc Louis, artiste français connu pour ses œuvres mixtes mêlant matériaux recyclés et tons ocres inspirés de ses séjours en Afrique.

Chez RH Paris, sont présentées certaines de ses études faciales abstraites ainsi que des peintures d’inspiration brutaliste. Une manière pour l’enseigne de se positionner en "garant" et promoteur d’artistes contemporains. Mais pour Isabel Dubern, ce discours reste ambigu: "Mélanger mobilier en série et œuvres d’artistes reconnus, c’est brouiller volontairement les frontières. "

Un acteur à observer de près

Au-delà du cas RH, l'ancienne directrice artistique défend un enjeu plus large: la survie des ateliers européens face à la production mondialisée. Sur ses réseaux, elle alerte:

"Non à la fast déco. Sauvegarder les ateliers français et européens, les soutenir et les aider à faire face à la production de masse qui va à l’encontre des efforts pour la planète et n’apporte rien en termes de culture, est le challenge que nous devrions tous assumer."

Pour elle, il ne s’agit pas seulement de protéger un modèle ou un dessin original, mais de préserver "la qualité, le génie du geste et des savoir-faire, sans jamais sacrifier les valeurs de la création et de la collaboration".

Avec cette nouvelle galerie, RH fait donc une entrée remarquée en France et s’impose déjà comme un acteur du design à observer de près, tant pour ses ambitions esthétiques que pour sa stratégie.

Juliette Weiss