Sous-traiter en Afrique, inonder l'Europe avec ses produits... Ce que l'Inde peut faire pour contrer les 50% de droits de douane américains

Faut-il s'attendre à ce que le marché européen soit inondé de produits venus d'Inde? Alors que le pays est sous le coup de droits de douane de 50% depuis le 27 août, le marché américain va mécaniquement se rétrécir pour les entreprises indiennes – qui vont donc devoir trouver de nouveaux débouchés commerciaux.
"La perte pour l'Inde est très difficile à qualifier pour l'instant, il n'y a pas encore d'évaluation quantitative de l'impact des droits de douane, car cela va également dépendre des mesures appliquées aux autres partenaires commerciaux", énonce Vincent Vicard, directeur adjoint du CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales).
Selon le centre de réflexion The Global Trade Research Initiative basé à New Delhi et cité par l'AFP, le maintien des droits de douane pourrait faire baisser les exportations indiennes jusqu'à 49,6 milliards de dollars pour l'année en cours (avril 2025-avril 2026). L'AFP indique par ailleurs que les exportations indiennes vers les États-Unis se sont maintenues entre avril et juillet, entre autres grâce à l'anticipation des entreprises qui ont avancé les expéditions de marchandises.
Catherine Bros, professeure d'économie à l'université de Tours et spécialiste de l'Inde, précise à BFM Business que les droits de douane imposés par les États-Unis à l'Inde sont "à relativiser", car 45% des exportations indiennes ne sont pas taxées à 50% et les importations indiennes aux États-Unis ne comptent que pour 2% des importations totales américaines.
"L'Inde est surtout exportatrice de services et ceux-ci ne font pas l'objet de taxe douanières. Des réductions ont par ailleurs été négociées pour un certain nombre de secteurs, dont l'industrie pharmaceutique", explique-t-elle.
Les iPhone produits en Inde ne sont pas touchés non plus par ces mesures, ce qui contribue à alléger l'impact de ces droits de douanes, abonde Vincent Vicard, même s'il est "encore trop tôt pour faire des projections".
Cependant, d'un point de vue symbolique, cette mesure est "un camouflet terrible pour Narendra Modi et la politique étrangère", selon Catherine Bros, le Premier ministre indien ayant, jusqu'à récemment fait étalage de sa – supposée – bonne entente avec le président américain.
Bloomberg révèle que des entreprises indiennes seraient par ailleurs en train de développer des stratégies pour contourner les droits de douane imposés par Washington, et notamment développer la production sur le continent africain, pour ensuite exporter vers les États-Unis.
Bloomberg indique que certains pays, à l'instar de l'Éthiopie, le Nigeria ou encore le Botswana et le Maroc proposent des conditions avantageuses pour attirer les investissements étrangers.
Les demandes impossibles des États-Unis
Si Donald Trump a décidé d'appliquer cette tarification douanière à l'Inde, c'est notamment en raison de l'approvisionnement de l'Inde en pétrole russe. Ainsi, New Delhi l'achète en masse et à moindre coût et une fois raffiné, le pétrole russe devient le premier produit exporté par l'Inde, qui en fait un enjeu de souveraineté énergétique, détaille Catherine Bros.
Autre enjeu de taille: le marché agricole. La volonté américaine d'ouvrir le marché indien, notamment agricole, alors que secteur compte pour 40% des emplois directs et indirects en Inde, apparaît comme une condition inenvisageable pour le gouvernement Modi.
Le protectionnisme indien
Plutôt que d'inonder d'autres marchés, l'Inde cherche surtout à se renforcer sur son marché intérieur, explique Catherine Bros. "L'Inde est protectionniste depuis longtemps, elle cherche à plutôt protéger son marché intérieur. Sa croissance est davantage portée sur son marché intérieur plutôt que les exportations, dans une logique de moindre dépendance au marché mondial."
Ainsi, il y aurait "très peu de risques que les exportations indiennes se déversent sur le marché européen", l'Inde visant plutôt l'auto-suffisance et cherchant à développer son industrie nationale.
C'est dans ce cadre que le gouvernement mise sur le développement du "Make in India", en favorisant les investissements étrangers qui privilégient les transferts de technologie, la production sous licence et l'implantation d'usines sur place. C'est l'approche suivie par exemple par l'avionneur français Dassault Aviation, dans une logique de partenariats avec des industriels indiens, pour co-gérer des sites de production pour ses avions civils et militaires.
Des négociations au long cours entre l'Inde et l'Union européenne
Relancées au printemps dernier, avec la visite de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, les discussions commerciales entre l'Inde et l'Union européenne sont "un long et complexe processus", expose Vincent Vicard.
"Les convergences entre les deux parties sont difficiles à trouver. Les négociations se sont un peu accélérées depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, mais il ne faut pas s'attendre à un accord commercial au sens 'trumpien' du terme", explique l'économiste.
Selon une analyse de l'Institut Montaigne, l'Union européenne chercherait davantage "un accord global, tandis que l'Inde a besoin d'investissements directs étrangers", toujours dans la logique de développer son marché propre marché intérieur plutôt que d'augmenter massivement son volume d'exportations pour compenser les barrières américaines.