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Guerre commerciale, déficit… Ce que révèlent les programmes économiques de Donald Trump et Kamala Harris

Donald Trump en Pennsylvanie le 29 octobre et Kamala Harris le 29 octobre à Washington DC

Donald Trump en Pennsylvanie le 29 octobre et Kamala Harris le 29 octobre à Washington DC - CHIP SOMODEVILLA / SAUL LOEB / AFP

Les programmes économiques des deux candidats soulignent l'importance de la question chinoise et du pouvoir d'achat dans la campagne. Deux thèmes où Trump et Harris ne s'opposent pas entièrement.

Les sondages le démontrent jour après jour, heure après heure: Kamala Harris et Donald Trump sont au coude-à-coude pour l'élection présidentielle américaine. Selon ABC, la démocrate devance le républicain d'un point et demi à peine, avec des écarts très fins dans les États-clés (les "swing states") et des écarts importants entre les différents sondages.

Kamala Harris peut compter sur un programme économique hérité de celui de Joe Biden, malgré de vraies inflexions, notamment sociales; Donald Trump, lui, a fait plus de propositions successives au fil de la campagne. Son programme économique est soutenu par une partie du monde des affaires: Elon Musk et les défenseurs des cryptos se sont massivement joints à lui, tout comme le secteur aérien qui compte parmi ses principaux soutiens financiers. Pour Harris, les soutiens se sont aussi multipliés, Google, Microsoft et des cabinets d'avocats étant parmi les plus larges soutiens.

Le monde universitaire prend lui très amplement position pour le camp démocrate : 23 Prix Nobel en économie ont ainsi écrit publiquement leur rejet du programme trumpiste. La santé économique du pays est dans tous les cas au centre des préoccupations populaires: Ipsos relevait en août que les Américains sont 63% à considérer que les conditions se dégradent -contre 58% en 2019.

Une "vibecession" -ou attente d'une récession qui arrive- renforcée par le pic inflationniste de ces deux dernières années. Tant pis si les résultats économiques du mandat Biden sont au rendez-vous, avec 2,2% de croissance annuelle moyenne, au même rythme depuis 2017: les Américains sont inquiets, et les programmes des deux candidats cherchent à y répondre.

Guerre commerciale contre mesures ciblées

Point saillant des programmes: la fermeture au libre-échange érigé comme nouveau standard. Donald Trump propose de taxer 10 à 20% en plus l'importation de produits étrangers, avec une surtaxe de 60% sur les produits chinois.

"Les droits de douane, c'est la solution à tout chez Trump: cela remplace les impôts et cela réduit le déficit commercial", analyse Florence Pisani, économiste spécialiste des États-Unis à Candriam.

Le candidat républicain a promis de "voler" des emplois industriels à l'étranger grâce à ces droits de douane supplémentaires, promettant même de financer par ce biais une baisse durable des impôts sur le revenu. Le Peterson Institute on International Economics, un think-tank apartisan, a taclé cette promesse, rappelant que les biens importés valaient 3.000 milliards de dollars, et que les impôts sur le revenu et les sociétés pesaient 2.000 milliards: les remplacer serait impossible, à moins d'un taux singulièrement élevé, qui réduirait la quantité de biens importés en décourageant leur achat, amincissant donc la base taxable.

Une telle mesure produirait en outre une guerre commerciale ouverte avec la Chine, alors que les droits de douane sont déjà réhaussés de 100% sur les véhicules électriques, par exemple. Mais la proposition est politique: à moins qu'il ne déclare un embargo total, Trump pourrait se passer du Congrès pour imposer des taxes douanières supplémentaires.

"C'est un instrument simple, dans les mains du président", rappelle ainsi Florence Pisani.

Plus simple que de renégocier des baisses d'impôt dans un Congrès possiblement hostile.

Kamala Harris compte, elle, poursuivre la politique de protection ciblée, sur des secteurs où les États-Unis essayent de faire émerger ou de maintenir des champions nationaux, comme dans l'énergie renouvelable, l'automobile ou la métallurgie. Il faut d'ailleurs rappeler que Joe Biden et sa vice-présidente ont conservé la majorité des droits de douanes mis en place par Trump durant son premier mandat.

La Tax Foundation, think-tank libéral, souligne qu'ils ont coûté 0,2 point de PIB à long-terme, et 142.000 emplois américains, tout en rapportant 79 milliards de dollars aux finances publiques. Trump, s'il appliquait son programme, changerait de dimension, en coûtant jusqu'à 0,8 point de PIB annuel, et 684.000 emplois à long-terme.

Sur la fiscalité, l'impossible fin des réductions d'impôt

Les deux candidats s'écharpent ensuite sur la fiscalité, l'autre grand dossier économique de cette élection. Kamala Harris souhaite augmenter l'impôt sur les sociétés, de 21 à 28%, et le taux exceptionnel accordé dans le cadre de l'Inflation Reduction Act, de 15 à 21%. Elle souhaite aussi taxer les rachats d'actions, déjà dans le viseur sous Biden. Sur le volet personnel, elle plaide pour un taux à 39,6% pour les individus gagnant plus de 400.000 dollars -le top 5% des ménages.

Trump, lui, veut rendre libres d'impôts les revenus issus de la sécurité sociale (retraites notamment), et abaisser l'impôt sur les sociétés de 21 à 15%. Il veut surtout étendre le Tax Cuts and Jobs Act (TCJA), une loi passée sous son premier mandat, qui abaissait de façon temporaire les impôts: elle va expirer en 2025 et les deux candidats se trouvent désormais face à la difficulté de devoir revenir sur des coupes bien implantées désormais. Cette donnée conditionne leurs deux programmes: le plan permettait de réduire de 35 à 21% l'impôt sur les sociétés, et réorganisait à la baisse les différents taux d'impôt sur le revenu.

"Le Congrès peut tout à fait s'entendre sur une reconduction du TCJA, appuie Florence Pisani. Mais on ne peut pas rendre un budget déséquilibré: il faut donc soit considérer la baisse comme temporaire, comme Trump l'avait fait en 2017, soit trouver des compensations".

"Harris propose donc des impôts pour les plus aisés, Trump des droits de douane."

La contrainte budgétaire posée par la reconduction du TCJA est très importante: elle représenterait 4.800 milliards de dollars sur dix ans en cas de maintien tel quel (option Trump) et 2.000 à 3.000 milliards de dollars avec une compensation par les plus riches (option Harris).

Un déficit destiné à exploser

Les deux programmes présentent donc un risque de dérapage des finances publiques, alors que le déficit américain atteint déjà 8% du PIB en 2023, doublé par rapport à 2022. Et les promesses faites de part et d'autre risquent de ne pas arranger la situation. Kamala Harris a ainsi expliqué vouloir offrir 25.000 dollars aux primo-accédants (ménages achetant leur premier logement) mais la mesure, avec les faibles niveaux de la construction dans le pays, a tout pour faire augmenter artificiellement les prix.

"La candidate démocrate a aussi proposé un budget basé sur le programme de Joe Biden de février 2022, qui n'expliquait pas comment il trouvait l'équilibre budgétaire, tout en soutenant pouvoir l'atteindre", assène Florence Pisani.

La candidate démocrate a développé plusieurs propositions sociales, après avoir poussé en tant que sénatrice puis vice-présidente pour l'adoption de congés parentaux plus étendus, par exemple. Elle a aussi proposé de renforcer les dépenses à destination de la petite enfance, ou en faveur des congés payés. Mais sans majorité au Congrès, ces propositions relèvent de la promesse électorale.

On trouve le même type de fantaisie côté Trump, avec la promesse dans l'énergie de diviser les prix par deux, en augmentant la production locale de gaz et de pétrole. "Drill, baby, drill", répète le candidat à l'envi -oubliant que les États-Unis extraient déjà plus que n'importe quel pays, et que le président n'a pas la capacité d'influer sur la production d'énergie.

Ces positionnements très expansionnistes sur le plan budgétaire témoignent de la crédibilité des États-Unis sur les marchés la dette américaine reste un actif très sûr, qui trouvera preneur à des taux raisonnables. Peu importe, alors, ou presque, que les déficits s'accumulent.

D'autant que, comme le pointe encore Florence Pisani, "les marges du Congrès sont élevées côté recettes."

Les États-Unis pourraient donc facilement trouver les moyens de réduire leur déficit en levant quelques impôts, à l'inverse de la France par exemple, qui souffre en outre d'une croissance bien plus faible que celle de Washington.

Les deux programmes économiques témoignent donc paradoxalement de points d'accord entre Trump et Harris, sur la gestion du commerce ou des finances publiques. Restent des marqueurs très forts comme l'immigration, où Trump veut expulser 10,5 millions d'immigrés pour résoudre la crise du logement. Une mesure à laquelle s'oppose Kamala Harris, et qui pourrait tendre un marché du travail qui souffre déjà de pénuries de main d'oeuvre. Enfin, Trump se distingue très largement des démocrates dans son approche du pouvoir: il revendique un contrôle plus fort sur la politique monétaire, notamment, après avoir passé son premier mandat à insulter le patron de la Fed Jerôme Powell.

Valentin Grille