TOUT COMPRENDRE - Pourquoi EDF affiche des résultats aussi mauvais?
Les mauvais résultats publiés ce matin par EDF pour 2022 ne sont pas une surprise mais les chiffres donnent quand même le vertige. Sur l'année dernière, l'énergéticien a enregistré l'une des pires pertes de l'histoire de la Bourse de Paris, à hauteur de 17,9 milliards d'euros alors qu'il avait clôturé l'année 2021 avec un bénéfice de 5,1 milliards d'euros.
Dans l'histoire française récente, il s'agit d'une des pertes les plus massives derrière les 20,7 milliards de France Telecom et les 23,3 milliards de Vivendi Universal il y a vingt ans. L'endettement du géant de l'électricité atteint ainsi le niveau record de 64,5 milliards d'euros. BFM Business revient sur les facteurs qui explique cette "année noire" pour EDF et sur les perspectives de l'énergéticien pour 2023 et au-delà.
• Dans quelle mesure la crise énergétique a porté préjudice à EDF?
Les prix de l'énergie ont connu une hausse exceptionnelle l'année dernière, notamment ceux de l'électricité qui ont atteint des niveaux records en France pendant l'été: 612 euros le MWh en moyenne sur la semaine du 22 août pour les prix spots et 1200 euros le MWh en août pour une livraison à l'hiver 2022-2023 sur les marchés à terme. EDF en a tiré profit puisque son chiffre d'affaires a augmenté de 70% à 143,5 milliards, grâce notamment au retour de nombreux clients français.
Problème: l'année 2022 a été marquée par des taux d'indisponibilité du parc nucléaire français particulièrement élevés, ce qui a obligé le groupe à acheter de l'électricité (13,8 TWh) mais aussi du gaz sur les marchés, tous deux vendus à prix d'or. Si bien que l'Hexagone a été importateur net d'électricité en 2022, ce qui n'était pas arrivé depuis 1980, avec un déficit de 16,5 TWh de son solde exportateur.
"Malgré une forte hausse du chiffre d'affaires soutenu par les prix de l'électricité et du gaz, l'Ebitda (marge brute d'exploitation) est fortement pénalisé par la baisse de production nucléaire ainsi que les mesures régulatoires exceptionnelles mises en place en France pour 2022, dans des conditions de marché difficiles", a expliqué le PDG Luc Rémont, récemment nommé.
Dans son bilan électrique de l'année 2022, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité évoquait les chiffres suivants. La proportion des réacteurs nucléaires en service a chuté de 73% à 54% entre la moyenne de la période 2015-2019 et 2022 avec un minimum historique de 21,7 GW le 28 août, date à laquelle deux tiers du parc étaient immobilisés.
Plusieurs raisons expliquent cette indisponibilité d'une grande partie des réacteurs nucléaires: les visites décénnales, des travaux de maintenance qui ont pu prendre du retard mais aussi le phénomène de corrosion sous contrainte (CSC) repéré sur plusieurs infrastructures. Toujours est-il que la production nucléaire est passé de 361 TWh à 279 TWh entre 2021 et 2022, ce qui constitue son plus bas niveau depuis 1988. Sur les 20 dernières années, la production nucléaire annuelle était en moyenne supérieure à 400 TWh.
Pour ne rien arranger à la situation financière d'EDF, l'Etat qui est l'actionnaire majoritaire et bientôt unique du groupe l'a obligé à vendre davantage d'électricité à bas prix (42 euros le MWh) à ses concurrents fournisseurs alternatifs dans le cadre du dispositif Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Une mesure qui a contribué les finances de l'énergéticien avec un coût de 8,34 milliards d'euros, ce qui a poussé Luc Rémont à déploré un système "à bout de souffle" à l'automne.
• Comment l'Etat réagit à ces résultats?
Le gouvernement, par l'intermédiaire des ministères de l'Economie et de la Transition énergétique, a réagi dès ce matin aux résultats présentés par EDF. "Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher prennent note de la dégradation de la situation financière d'EDF, conséquence de la faiblesse de production de l'année 2022", indiquent les deux ministres dans un communiqué.
"Le redressement des finances d'EDF passera en priorité par l'augmentation du volume de production", poursuivent-ils.
Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher ont donné plusieurs caps à suivre, à court comme à plus long terme. Dans l'immédiat, l'essentiel est de "rétablir dans les meilleurs délais l'intégralité de la production électrique d'EDF". Un réacteur sur cinq est encore à l'arrêt. Alors que l'Etat vient de lancer une OPA pour faciliter la construction des six nouveaux réacteurs réclamés par le président de la République Emmanuel Macron, les deux membres du gouvernement souhaitent également que le projet de nouveaux EPR soit préparé dès à présent.
Là aussi, le défi est de taille puisque le débat public obligatoire sur la construction de ces nouveaux réacteurs de nouvelle génération a récemment tourné court, estimant que les décisions politiques étaient de toute façon déjà prises. Outre l'adhésion des Français, EDF va devoir trouver des financements -le coût des six EPR2 est chiffré à 51,7 millliards- et mobiliser toute une filière qui va devoir former et recruter des milliers d'ingénieurs et de techniciens. L'Etat s'interroge sur la manière de financer le nouveau programme nucléaire, et l'épargne des livrets A pourrait apporter une partie de la solution, comme le confirmait Eric Lombard, directeur général de la Caisse des Dépôts sur BFM Business.
Au sujet des relations entre l'Etat et l'énergéticien, la renationalisation à 100% d'EDF annoncée en 2022, pour 9,7 milliards d'euros, est contrariée par l'hostilité de salariés actionnaires qui contestent les méthodes cavalières du gouvernement et un prix de rachat de 12 euros qu'ils jugent trop faible des actions. Déjà principal actionnaire à 84%, l'Etat souhaite libérer EDF de la Bourse pour relancer plus facilement le nucléaire. L'opération a partiellement réussi et l'Etat détient près de 96% du capital depuis le 8 février. Mais la clôture reste suspendue à une décision de la cour d'appel de Paris, attendue au plus tard le 2 mai.
• EDF va-t-il pouvoir tenir son plan d'investissement dans le nucléaire?
Malgré l'ampleur du marasme financier du groupe, Luc Rémont s'est voulu rassurant en déclarant qu'EDF pouvait soutenir son niveau de dette même si le groupe vise à la stabiliser et la réduire. Il a également confirmé "la fourchette de production nucléaire de 300 à 330 térawattheures (en 2023), soit une sortie progressive de la crise de la corrosion sous contrainte."
Sur un horizon plus lointain, le PDG a assuré mettre tout en oeuvre afin de tenir la date de 2035 pour le démarrage du premier réacteur nucléaire de nouveau génération.
"Il y a énormément de travail pour s'assurer que l'ensemble de la filière industrielle puisse monter en puissance pour être au rendez-vous [...], a souligné le nouveau PDG d'EDF. On a compris l'objectif, et nous travaillons pour essayer d'être dans toute la mesure possible au rendez-vous".
Pour rappel, Emmanuel Macron a fixé comme objectif la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires EPR, dans des centrales existantes, les premières paires étant prévue à Penly (Seine-Maritime) et à Gravelines (Nord). La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a avancé récemment la date de 2027 - "plutôt fin 2027" - pour "la première coulée de béton" et de "2035-2037" pour la mise en service. Mais les calendriers nucléaires, ainsi que les budgets, sont historiquement dépassés. La mise en service de l'EPR de Flamanville, en construction depuis 2007, est par exemple désormais prévue pour mi-2024, avec 12 ans de retard. Sa facture devrait coûter 13,2 milliards d'euros, soit quatre fois le budget initial de 3,3 milliards.
"Nous sommes dans une perspective de redressement des flux en 2023 très significative et donc c'est ça qui va nous permettre à la fois de financer les investissements qui sont indispensables dans ce moment de transition énergétique et de faire face aux besoins de financement du groupe", a ajouté Xavier Girre vendredi matin. Le directeur financier d'EDF a déclaré que la deuxième phase du programme d'investissements du grand carénage dans le parc nucléaire français s'élevait à 33 milliards d'euros sur la période 2022-2028.
Parmi les 56 réacteurs français, les plus vieux fonctionnent depuis la fin des années 1970. EDF doit rapidement apporter la preuve que leur durée de vie pourra être prolongée au-delà de 50 ans. Certains composants comme la cuve, élément le plus sensible du réacteur, ne sont pas remplaçables. D'autres le sont difficilement, comme les coudes moulés fixés à la cuve. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) souhaite donc "que l'hypothèse d'une poursuite de fonctionnement des réacteurs actuels jusqu'à et au-delà de 60 ans soit étudiée et justifiée par anticipation par EDF d'ici fin 2024".