Electricité: pourquoi la France s'en est bien mieux sortie que prévu en 2022

L'année 2022 restera un épisode à part dans l'histoire récente de l'électricité française. Dans son bilan électrique de l'année précédente, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE) est revenu en détail ce matin sur les différents facteurs qui ont fait de 2022 une année particulière. Tout d'abord il est nécessaire de planter le décor. La France a été confrontée à "une crise inédite depuis les chocs pétroliers des années 1970" selon le président du directoire de RTE Xavier Piechaczyk qui évoque une "triple crise".
Tout d'abord, la crise du gaz a commencé en 2021, fait augmenter les prix mais n'a pas généré de pénurie. Puis, la crise sur la production hydraulique l'a plongée à son niveau le plus bas depuis 1976 en raison de conditions météorologiques extrêmement sèches. Enfin, la crise du parc nucléaire s'est manifestée par la disponibilité la plus faible depuis 1984, en particulier à l'été 2022, en raison notamment du phénomène de corrosion sous contrainte (CSC).
La consommation d'électricité a baissé de 1,7% par rapport à 2021
BFM Business l'a régulièrement évoqué au cours des dernières semaines et derniers mois et le phénomène s'observe également à l'échelle annuelle: la consommation d'électricité a baissé de 1,7% entre 2021 et 2022 en passant de 467 TWh à 459 TWh. Mais le directeur exécutif en charge du pôle Stratégie, prospective et évaluation de RTE insiste sur la nécessité de regarder l'évolution à plus long terme. En 2014 et 2019, la consommation annuelle était supérieure de 20 TWh par rapport à 2022. Même en 2020, année pourtant marquée par de nombreuses restrictions liées à la pandémie, les Français avaient davantage consommé d'électricité que l'an passé.
"La baisse est d’autant plus significative qu’elle a été obtenue sur une durée relativement courte", insiste Thomas Veyrenc.
Sur le seul dernier trimestre, la France a ainsi atteint une baisse de la consommation de l'ordre de 9% par rapport à la période 2014-2019. Cette baisse a concerné tous les secteurs même si elle a d'abord été observée dans l'industrie, le secteur le plus exposé aux variations de prix avec en tête la chimie, la métallurgie ou encore la sidérurgie. Cependant, les ménages, qui sont les premiers consommateurs en France ont rapidement contribué à cette diminution de la consommation motivée par des facteurs économiques mais aussi par les effets des campagnes de sensibilisation du gouvernement.
Retour 30 ans en arrière pour le nucléaire
Du côté de la production électrique, elle a drastiquement baissé, d'environ 15%, en passant de 522 TWh en 2021 à 445 TWh en 2022 en raison du manque de disponibilité des centrales nucléaires mais aussi hydrauliques. Il faut remonter à 1992 pour retrouver un niveau de production aussi bas en France. Et pour cause, la proportion des réacteurs nucléaires en service a chuté de 73% à 54% entre la période 2015-2019 et 2022 avec un minimum historique de 21,7 GW le 28 août, date à laquelle deux tiers du parc étaient à l'arrêt.
"Structurellement, beaucoup d'arrêts de réacteurs étaient prévus au cours de l'année entre les travaux de maintenance, les visites décennales puis la CSC est venue s'ajouter, explique Thomas Veyrenc. A partir de l'été, la stratégie de redémarrage a été définie et la remise en service des réacteurs a eu lieu à partir de l'automne."
Une baisse de 20% pour l'hydraulique
Cette moindre disponibilité du parc nucléaire a entraîné une production nucléaire en berne qui a dégringolé de 361 TWh à 279 TWh entre 2021 et 2022, enregistrant son plus bas niveau depuis 1988. Par rapport à la production nucléaire annuelle se situait autour de 402 TWh en moyenne sur les 20 dernières années, le recul est de 30%. De même, la production nucléaire a représenté moins de 63% du mix français contre 69% en 2021.
Le volet nucléaire n'a pas été le seul en berne en 2022 puisque la production hydraulique a également atteint son plus bas niveau 1976 en raison de conditions climatiques exceptionnelles. "Les mois de mai et d'octobre ont été les plus chauds depuis 1900 tandis que l'été 2022 a été le plus chaud depuis 2003", indique Maïté Jaureguy-Naudin, directrice Statistiques et valorisation des données chez RTE.
La production hydraulique est passée d'une moyenne annuelle de 61,6 TWh entre 2014 et 2019 à 49,6 TWh en 2022, soit une baisse de l'ordre de 20%. "Les centrales de haute montagne sont celles qui ont affichées les baisses les plus significatives", précise Maïté Jaureguy-Naudin.
"La gestion responsable des stocks d'eau a permis à la production hydraulique de contribuer à la production d'électricité durant l'hiver."
Progression sur le renouvelable
L'année 2022 a aussi établi un record quant au volume de mise en service d'installations renouvelables puisque 5 GW supplémentaires ont été raccordés l'année dernière. Dans le détail, le parc éolien terrestre a crû de 1,9 GW tandis que l'augmentation du parc solaire se maintient à un rythme élevé avec une hausse de 2,6 GW. A cet égard, la mise en service du premier parc éolien en mer français à Saint-Nazaire, pour une puissance de 480 MW, a constitué l'un des temps forts.
Dans le détail, la production éolienne a progressé de 0,7 TWh à 37,5 TWh malgré une année peu venteuse. De son côté, la production solaire est en nette hausse et contribue désormais significativement au bilan électrique de la France avec une augmentation de 30% entre 2021 et 2022 pour atteindre 18,6 TWh. "Elle a été favorisée par de bonnes conditions d'ensoleillement ainsi que par l'augmentation de la taille du parc", note RTE.
"Nous devons poursuivre notre accélération des rythmes pour atteindre les objectifs nationaux et européens", insiste Xavier Piechaczyk.
Maïté Jaureguy-Naudin fixe le cap: développer 4,4 GW de production solaire et 3,5 GW de production éolienne en 2023.
Retour du gaz sur le podium des sources de production
En somme, l'électricité produite est restée à 87% d'origine décarbonée contre environ 91% sur la période 2014-2021. Mais dans le même temps, le gaz est redevenu la troisième source de production d'électricité, devant l'éolien. "Le fonctionnement des centrales à gaz a connu une forte hausse (plus de 44 TWh en 2022 contre moins de 33 TWh en 2021) car l'hydraulique et le nucléaire étaient à un point bas", justifie Xavier Piechaczyk.
Quant au charbon, il est devenu marginal en matière de volume de production d'électricité en France puisque sa part dans le mix n'était que de 0,6%. Des dispositions spécifiques avaient pourtant été prises par les pouvoirs publics en prévision de l'hiver annoncé sous vigilance particulière. Parmi ces mesures, la prolongation de l'activité de la centrale de Saint-Avold et le rehaussement des seuils de durée autorisées de fonctionnement.
"La sortie du charbon est quasi effective en France", résume Maïté Jaureguy-Naudin.
En conséquent, les émissions de gaz à effet de serre issues de la production d'électricité ont augmenté mais de manière contenue. "L'électricité produite en France reste parmi les plus décarbonée d'Europe (3ème derrière la Suède et la Finlande, signale RTE qui ajoute que ce constat demeure en tenant compte des imports. Ce volume d'émissions reste bien inférieur à celui d'autres pays comparables (de l'ordre de 10 fois plus en Allemagne par exemple en 2022)."
Une électricité nettement plus coûteuse qu'à l'ordinaire
Dans un contexte de production d'électricité plus faible, la France a été en 2022 importatrice nette d'électricité pour la première fois depuis 1980, son solde exportateur passant d'un excédent de 43,3 TWh à un déficit de 16,5 TWh. L'Hexagone a été importateur tout au long de l'année à l'exception des mois de février et mai. "L'essentiel des imports a eu lieu pendant l'été alors que la France y est traditionnellement fortement exportatrice: les mois de juillet, août et septembre représentent à eux seuls 60% du solde négatif, soit 10 TWh d'imports", précise le gestionnaire du réseau de transport d'électricité.
"Ce n'est pas une année classique mais ce n'est pas une année dans laquelle nous avons utilisé des moyens exceptionnels, tempère Thomas Veyrenc. Sans les interconnexions, cela aurait été une autre affaire cependant."
Ces importations ont participé à la dégradation de la facture énergétique français qui a atteint 115 milliards d'euros dont 7% attribuables à l'électricité importée alors que l'électricité générale allège traditionnellement cette même facture. Toutefois, RTE souligne que la hausse de la facture énergétique est avant tout portée par les importations de combustibles fossiles du fait de la hausse des prix et du recours accru au gaz naturel liquéfié importé en remplacement du gaz russe.
Des résidus de la flambée des prix de l'été dernier?
L'un des grands enseignements de l'année 2022 est aussi que la crise énergétique s'est traduite par une flambée des prix. La moyenne des prix spots est passée de 109 euros le MWh en 2021 à 276 euros le MWh en 2022. "Ils ont atteint des niveaux record en France au cours de l'été (612 euros/MWh en moyenne sur la semaine du 22 août) du fait d'une faible production nucléaire et hydraulique, évoque RTE. Les prix ont retrouvé des niveaux plus faibles à partir de septembre tout en restant à des niveaux élevés par rapport à ceux des années précédentes."
Du côté des marchés à terme, les prix enregistrés à l'été 2022 pour une livraison à l'hiver 2022-2023 ont été supérieurs à ceux des pays voisins: ils s'affichaient à une moyenne de 90 euros le MWh en août 2021 contre 1.200 euros le MWh un an plus tard. "Cela traduit une prime de risque particulièrement démesurée par rapport aux risques effectifs de tension sur l’équilibre offre-demande, même dans des scénarios très pessimistes, indique Thomas Veyrenc. Ce phénomène de sur-couverture a progressivement disparu au cours de l’hiver." Si la situation s'est partiellement résorbée, Xavier Piechaczyk prévoit qu'elle aura encore des répercussions.