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Electricité: pourquoi certains fournisseurs encouragent leurs clients à rejoindre EDF

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Ces derniers jours, plusieurs fournisseurs alternatifs d'électricité ont annoncé de nouvelles hausses de prix à leurs clients. Tout en les incitant à résilier leur contrat...

Les temps sont durs pour les fournisseurs d’électricité alternatifs. Confrontés à la flambée des prix, plusieurs acteurs du secteur se sont retirés du marché ces derniers mois. Parmi eux, Oui Energy, Bulb ou encore Leclerc Energies. De son côté, Cdiscount n’accepte plus de nouveaux clients, tandis qu’Hydroption a été placé en liquidation judiciaire fin 2021.

Plus récemment, Mint Energie a envoyé un mail à ses clients bénéficiant d’un contrat à prix fixe pour leur annoncer que le prix de leur abonnement serait bientôt plus cher en raison "de l’augmentation constante des prix d’achat d’électricité sur le marché de gros depuis plus d’un an".

Mais le fournisseur n’en reste pas là. Dans la suite du mail, il incite ouvertement ses clients concernés à "passer chez EDF" pour bénéficier du tarif réglementé de vente (TRV). De quoi faire de sacrées économies: 218 euros précisément dans le cas d'un membre d'un collectif de clients mécontents de Mint, selon une estimation réalisée par le fournisseur lui-même.

10.000 contrats résiliés chez Iberdrola

Même mauvaise surprise pour les clients d’Ohm Energies, alertés il y a quelques jours d’une hausse de tarifs imminente. Le fournisseur, "en train de lâcher", selon la présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) Emmanuelle Wargon, ne retient pas plus ses abonnés et leur rappelle qu’ils peuvent "résilier sans pénalités leur contrat à tout moment dans un délai de trois mois".

Quant à Iberdrola, il conseille lui aussi à ses 2% de clients en fin de contrat (soit 10.000 particuliers) de chercher un autre opérateur, assurant ne pouvoir empêcher une flambée du tarif. "Ce sont des clients qui ont des contrats avec un tarif garanti et qui arrivent à échéance à fin octobre 2022", a expliqué sur BFM Business Emmanuel Rollin, directeur d'Iberdrola France. Si le fournisseur espagnol avait décidé de reconduire ces contrats, "nous aurions été obligés de répercuter la hausse qui est astronomique du coût de l’électricité, donc il y a un fort risque pour nos clients. Il existe sur le marché des contrats avec tarif réglementé, et c’est l’option que nous proposons".

Les clients en souffrance sont désormais invités à se tourner vers le comparateur d'offres mis en place sur internet par le Médiateur de l'énergie. Mais EDF a aussi obligation de reprendre ceux qui souhaiteraient revenir à son tarif réglementé que le groupe public est le seul à proposer. Fixé trois fois par an par la CRE et approuvé par le gouvernement, ce TRV vise à garantir aux consommateurs un prix de l’électricité plus stable que sur les prix du marché. Pour 2022, sa hausse a ainsi été limité à 4%.

Plafond de l'Arenh relevé

Si la situation actuelle a permis à EDF de ne plus perdre de clients, les fournisseurs alternatifs qui proposent des offres à des prix fixés librement ont au contraire été affaiblis. Au premier trimestre 2022, les offres à tarifs libres n'ont gagné "que" 163.000 clients, soit -137% par rapport à 3e trimestre 2021, selon le dernier bilan de la CRE.

Pour soutenir ces acteurs exposés à la volatilité des marchés -la plupart ne produisant pas suffisamment d'électricité- le gouvernement a pris la décision en février de relever le plafond du mécanisme nommé Arenh de 20%, le faisant passer de 100 TWh à 120 TWh. Concrètement, cela correspond au volume d’électricité nucléaire bon marché (42€/MWh) qu’EDF, en tant que producteur disposant d’un avantage compétitif grâce à son parc, est obligé de revendre à ses concurrents.

Une fois ce volume réparti entre les différents acteurs, les fournisseurs alternatifs doivent s’approvisionner sur les marchés de gros pour compléter leurs besoins. A des prix qui n’ont cette fois plus rien à voir. Pour la France, le MWh touchait ces derniers jours les 700 euros. Une flambée impossible à assumer pour les fournisseurs, à moins de la répercuter sur leurs clients ou de résilier le contrat de certains abonnés comme l'a fait Iberdrola en les invitant à rejoindre EDF.

Une revente sur les marchés?

Mais pourquoi des fournisseurs poussent-ils délibérément une partie de leurs abonnés vers la sortie, parfois sans même attendre de savoir s'ils accepteraient une hausse de leur facture? Pour certains, cette incitation à partir chez la concurrence aurait pour but de profiter du mécanisme de l'Arenh. D'ailleurs, le moment choisi par Mint ou Iberdrola pour encourager leurs clients à résilier interroge. En effet, les quotas d’Arenh dont dispose chaque acteur alternatif sont calculés sur les périodes à faible demande. Soit le week-end, les jours fériés et surtout… en juillet et août, comme le rappelle L'Humanité.

Pour obtenir le maximum d’électricité bon marché, les acteurs alternatifs ont donc "intérêt à avoir le maximum de clients l’été", estime sur Twitter Fabien Gay, sénateur PCF de Seine-Saint-Denis. Avant de chercher à réduire leur portefeuille d'abonnés à la fin août. De sorte qu'ils puissent non seulement disposer d'un volume d'Arenh suffisant pour les besoins de leurs clients, sans avoir à s'approvisionner sur les marchés de gros, mais aussi d'un éventuel surplus qu'ils pourraient revendre à prix forts sur les marchés.

Client de Mint, Romain n'est pas "contre l'idée" de s'abonner chez EDF. "Mais cela interroge sur l'allocation de droits Arenh à ce fournisseur et leur possible revente à prix d'or sur les marchés, au lieu de les fournir à leurs clients à prix décent. Cela paraît en tout cas suspect qu'une société privée invite ainsi ses propres clients à aller voir chez la concurrence", explique-t-il. Contacté, Mint Energie n'a pas répondu à nos sollicitations.

De son côté, Emmanuelle Wargon qui a reçu les dirigeants d'Iberdrola France mardi, a mis en garde: "On a abordé deux sujets avec eux, souligne-t-elle. D’abord, le respect de la réglementation et le fait qu’ils n’en profitent pas pour faire des surprofits. On sera intransigeant là-dessus", a déclaré la présidente de la CRE. L'autorité chargée de veiller au bon fonctionnement du marché de l'énergie avait par ailleurs promis fin 2021 de procéder "à des contrôles ex post renforcés de l’utilisation qui sera faite des volumes (Arenh) attribués".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco