LA VÉRIF - Prix des carburants: la baisse des taxes profiterait-elle aux plus riches?
"Quand on baisse la fiscalité pour tout le monde, ça ne s’appelle pas une mesure sociale", déclarait Yannick Jadot, la semaine dernière sur Franceinfo.
Le candidat écologiste à la présidentielle répondait à la proposition de plusieurs personnalités politiques comme Marine Le Pen, Anne Hidalgo et Ségolène Royal, qui suggèrent au gouvernement de baisser les taxes pour limiter la flambée du prix du carburant.
Car les prix à la pompe ont encore augmenté de 2 centimes la semaine dernière, atteignant des niveaux historiquement hauts à 1,56 euro le litre pour le gazole en moyenne, et 1,62 euro pour l'essence sans-plomb contenant jusqu'à 10% d'éthanol (SP95-E10). Le prix a dépassé le niveau de l'automne 2018, au moment où la crise des gilets jaunes a éclaté.
Baisser les taxes permettrait d'agir rapidement sur le prix du carburant puisqu'elles représentent environ 60% des prix à la pompe. Mais une telle mesure entraînerait un gros manque à gagner pour l'Etat. Par ailleurs, en s'appliquant à tous les ménages de manière unilatérale, elle pourrait donner l'impression de donner un coup de pouce aux foyers les plus favorisés.
Les riches utilisent plus leur voiture
"Le propriétaire d'un gros 4x4 qui utilise beaucoup de carburant va beaucoup gagner avec ce type de mesure, alors que la personne qui a un petit véhicule gagnera peu", estime Yannick Jadot.
En France, les riches sont les plus gros consommateurs de carburant. Selon l'Insee, les ménages les plus aisés ont d’abord plus de voitures, parfois deux ou trois véhicules, dont de gros modèles qui consomment beaucoup.
Par ailleurs, ils utilisent plus leur voiture pour aller au travail et pour partir en week-end alors que les ménages plus modestes privilégient la marche, le vélo ou les transports en commun quand ils le peuvent.
Concrètement, les ménages les plus modestes dépensent 628 euros par an pour payer leur carburant, contre 1375 euros pour les plus riches, soit deux fois plus.
Le carburant pèse trois fois plus lourd dans le budget des plus pauvres
Les plus riches payent donc plus pour leur carburant mais ils ont aussi les moyens de le faire et à budget égal, le carburant pèse plus lourd pour les ménages modestes.
"Si on ramène au revenu des ménages, ce sont les pauvres qui payent le plus. Leurs dépenses en carburant représentent des dépenses incompressibles avec des déplacements pour aller au travail par exemple. Ils ne peuvent pas ajuster cette consommation. Donc si les prix augmentent, leurs dépenses augmentent fortement", explique sur notre antenne Marc Baudry, économiste à la Chaire Economie du Climat.
Il affirme que le budget carburant pèse environ "5 à 6% pour les 10% des ménages les plus pauvres en termes de revenus", alors qu'il pèse dans les "1,7% pour les 10% des plus riches", selon une enquête de l'Insee de 2017. Soit trois fois plus.
La hausse des prix du carburant a également de lourdes conséquences pour les professionnels qui passent beaucoup de temps sur la route à l'image des chauffeurs de taxis.
"Une baisse des taxes profiterait à tous les consommateurs, pauvres ou riches, mais en termes relatif, elle bénéficierait davantage aux riches qu'aux pauvres car ils consomment plus", confirme Marc Baudry.
Un "chèque carburant" pour les plus pauvres
Yannick Jadot a donc raison et suggère plutôt l'instauration d'un chèque carburant sur le modèle du chèque énergie, une aide ciblée sous forme de bon d’achat pour permettre aux automobilistes les plus précaires de payer leur plein.
Ce système existe déjà depuis 2016 dans les Hauts de France, qui attribue un chèque carburant de 20 euros par mois à certains habitants. Pour y avoir droit, il faut gagner moins de deux fois le smic et travailler à moins de 20 kilomètres sans accès aux transports en commun. Cette aide profite à 2% des habitants de la région, soit 48.000 bénéficiaires.
Mais il serait difficile d'étendre cette mesure à tout le territoire français.
"On n'a pas aujourd'hui, comme pour le chèque énergie, une base de données de toutes les personnes qui pourraient en avoir besoin. On n'a pas une base de données des gens qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler par exemple", affirmait sur France 2 Barbara Pompili.
Le sujet est hautement inflammable puisque la crise des gilets jaunes qui a trouvé son origine dans le prix de l'essence pourrait reprendre. Par ailleurs, les élections présidentielles approchent à grands pas et le gouvernement ne veut pas faire de faux pas. Mais si les prix continuent de flamber, l'exécutif devra trancher.