Le "mélange letton": l'astuce de Shell pour acheminer discrètement du gazole russe en Europe

Du pétrole russe? Quel pétrole russe? La major pétrolière Shell s'était engagée le 8 mars dernier à arrêter "immédiatement d'acheter du pétrole brut russe sur le marché au comptant". En réalité, le groupe continue d'importer des hydrocarbures russes, d'abord parce qu'il est tenu par ses contrats, mais aussi parce qu'il n'existe aucune interdiction formelle de l'Europe.
En revanche, la supermajor a une astuce pour soigner sa communication: officiellement, le pétrole n'est pas russe. En tout cas, pas majoritairement. Comme l'explique Bloomberg, Shell vend un "mélange letton", composé à 49,99% de pétrole russe et à 50,01% d'un autre brut. Techniquement, ou plutôt légalement, le mélange n'est donc pas russe.
Cette astuce porte le nom de mélange letton car c'est en Lettonie que l'entreprise le réalise, plus précisément dans le port de Ventspils. En réalité, les mélanges peuvent aussi se faire aux Pays-Bas, voire en haute mer. L'idée est toujours la même: éviter d'estampiller l'origine russe sur ce pétrole.
La technique est d'ailleurs clairement indiquée dans les nouvelles conditions générales des contrats de Shell:
"Les marchandises sont réputées 'd'origine FR [Fédération de Russie, ndlr]' si elles sont produites en FR ou si 50% ou plus de leur contenu (en volume) consiste en un matériau qui a été produit en FR."
Contourner un futur embargo?
Le mélange letton s'avère surtout une bonne solution face aux pressions de l'opinion publique alors que Shell avait décidé de s'excuser après avoir acheté une nouvelle cargaison de pétrole russe, juste après l'invasion.
L'idée n'est pas neuve. Le pétrole vénézuélien, normalement sous embargo américain, se retrouve en Chine depuis des années sous le nom de "mélange malaisien" ou "mélange singapourien". Une manière pour Caracas d'exporter ses hydrocarbures et pour la Chine de l'acheter à prix cassé.
Toujours selon Bloomberg, TotalEnergies n'utilise pas cette méthode détournée pour le pétrole russe. Le groupe français s'est engagé à ne plus acheter de pétrole russe d'ici la fin de l'année.
Si le mélange letton est utile pour sa communication, il pourrait aussi être une méthode pour contourner un éventuel embargo sur le pétrole russe. Pour le moment, les Européens n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur cette décision.