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Le commerce entre la Russie et la Chine a bondi de 126% depuis les sanctions: Moscou multiplie les chantiers sur le rail, les navires et les routes pour alimenter Pékin

Vladimir Poutine et Xi Jinping assistent à un gala à Moscou.

Vladimir Poutine et Xi Jinping assistent à un gala à Moscou. - SERGEY BOBYLEV / RIA NOVOSTI / ANADOLU

Face aux sanctions occidentales, la Russie se tourne désormais vers la Chine. Un changement de partenaire qui se traduit aussi par un changement de paradigme économique.

Cela fait désormais trois ans et demi que la Russie a envahi l’Ukraine, trois années au cours desquelles les pays européens ont répliqué sur le plan économique aux coups qu’a portés Moscou sur Kiev. En retour, la Russie s’est vue infliger par les pays européens une série de sanctions économiques et politiques.

Depuis 2022, 90% des importations européennes de pétrole russe sont couvertes par des interdictions. Pour les autres biens et services, la plupart des secteurs économiques voient leurs accès au marché européen refusés. Une politique qui n'est pas sans retombées sur l’économie russe: selon l’Union Européenne, il s’agit d’un manque à gagner de 91,2 milliards d’euros pour Moscou.

Il faut rajouter à cela deux autres points: le gel des avoirs de la banque centrale de Russie décidé par Bruxelles et qui constitue 210 milliards d’euros, ainsi que l’exclusion des banques russes du système Swift, ce qui les pénalise considérablement en cas d’échanges internationaux.

Les sanctions marchent sur deux jambes, ce qui vaut pour les devises européennes vaut aussi pour les marchandises: l’invasion de l’Ukraine a eu comme conséquence de couper la fédération de Russie de l'accès à des biens manufacturés et composants industriels qui sont essentiels dans des domaines comme la navigation maritime, l’aérospatial, la défense ou l’énergie. Pour pallier ce manque, Moscou s’est donc tourné vers l’Est, et plus particulièrement vers la Chine.

La Russie se tourne désormais vers l’Asie

Entre 2018 et 2024, les échanges commerciaux entre la Russie et la Chine sont passés de 108 milliards de dollars à 244 milliards de dollars, un montant qui a bondi de 126% sur la période. Pour soutenir ce volume d’échange, la Russie peut compter sur son réseau ferroviaire, qui constitue la colonne vertébrale du transport de marchandise, mais qui reste encore largement inégal: en dehors des grandes villes connectées par l’axe Transsibérien, les parties asiatiques de la fédération sont celles qui possèdent le moins de lignes de train.

Pire, certaines régions en sont même dépourvues. Leur point commun? Elles se situent toutes en Extrême Orient. Une épine dans le pied du commerce sino-russe, que Moscou compte régler en construisant 2.000 kilomètres de lignes ferroviaires pour relier Urumqi dans le Xinjiang à Sabetta, une ville portuaire du cercle arctique russe. Un chantier qui s’ajoute à d'autres projets dans la région.

Par rails, par routes et par fleuves

Pour fluidifier son trafic interne, dynamiser ses échanges avec la Chine et ouvrir de nouvelles routes commerciales, la Russie mise aussi sur le transport fluvial. En mai dernier, le Premier ministre russe Mikhaïl Michoustine a rappelé les intentions de son pays d’investir plus de 6 milliards de dollars dans la construction de 1.600 navires commerciaux d’ici 2036.

La fédération de Russie est le pays le plus vaste du monde et peut profiter d’un réseau fluvial immense. Le pays des tsars s’illustre déjà par ses voies navigables avec le système des cinq mers, un réseau logistique utilisant la Volga pour acheminer des millions de passagers et de tonnes de fret sur toute la Russie européenne. Cet axe va du cercle polaire au Caucase. Il relie entre elles la mer Baltique, la mer Blanche, la mer Caspienne, la mer d'Azov et la mer Noire.

Réseau unifié de voies navigables en Russie européenne, reliant (grâce au fleuve Volga et un réseau de canaux) la mer Blanche, la mer Noire, la mer d'Azov, la mer Baltique et la mer Caspienne
Réseau unifié de voies navigables en Russie européenne, reliant (grâce au fleuve Volga et un réseau de canaux) la mer Blanche, la mer Noire, la mer d'Azov, la mer Baltique et la mer Caspienne © libre de droit

En se tournant vers l'Asie, Moscou cherche à utiliser d'autres fleuves pour appliquer les mêmes stratégies. Elle se penche désormais vers l’Ob ou l'Irtych, qui traversent Novosibirsk et Omsk. Ces deux villes, qui se trouvent déjà sur le tracé du Transsibérien, sont destinées à combiner le fret ferroviaire et fluvial pour devenir des plateformes multimodales: un investissement de 340 millions de dollars a été réalisé pour des entrepôts logistiques, qui doivent ouvrir à Omsk en 2028.

Pour Novossibirsk, l’initiative gouvernementale Industrial Logistics Park regroupe plus de 750 millions de dollars pour développer le secteur du transport. D’autres villes sont concernées par des projets similaires: Andrei Tarasenko, chef de l'Agence fédérale russe pour les transports maritimes, a déclaré que Perm, Saratov, Samara et Dmitrov auront d’ici 2027 des centres logistiques multimodaux.

L’Arctique, un terrain pour les routes de la soie polaires

La Russie fait ainsi d’une pierre deux coups. En plus de contourner les sanctions occidentales, elle étend son influence sur les espaces maritimes qui l'entourent: ces fleuves débouchent sur des zones arctiques que Moscou souhaite développer, car le réchauffement climatique ouvre de nouvelles opportunités.

La fonte des glaces ouvrirait de nouvelles routes commerciales plus courtes et moins risquées. Le dégel de ces territoires pourrait également donner accès à des ressources inexploitées: environ 160 milliards de barils de pétrole seraient désormais accessibles.

Lucien D'Armagnac de Castanet