Alstom-Siemens: attaquée par Bruno Le Maire, Margrethe Vestager défend sa décision

La commissaire européenne à la Concurrence Margrethe Vestager. - John Thys - AFP
Érigée en quasi super-héroïne lorsqu'elle inflige des amendes de plusieurs milliards d'euros aux géants Google et Apple, Margrethe Vestager, la gendarme de la concurrence en Europe, fait l'objet de tirs croisés des deux côtés du Rhin depuis deux mois. En refusant la fusion entre Alstom et Siemens, elle s'est attiré les foudres de Paris et Berlin. Les deux premières puissances du continent accusent à l'unisson Bruxelles de bloquer l'émergence de champions européens, à l'heure où il faut affronter les mastodontes chinois et américains.
Dans ce contexte, la Danoise était en visite à Paris ce lundi pour s'entretenir avec Bruno Le Maire et intervenir lors d'une conférence à la Banque de France. Dès le matin, le ministre de l'Économie a donné le ton. Délivrant le discours d'ouverture de cette même conférence, Bruno Le Maire n'a pas mâché ses mots envers la commissaire européenne:
"Comme je dois rencontrer Madame Vestager dans quelques instants, je vais lui rappeler que pour la France et l'Allemagne, cela a été une erreur politique et économique de ne pas avoir donné le feu vert [à la fusion]", a-t-il lancé, avant d'enchaîner: "Nous devons ouvrir les yeux et regarder la réalité économique. Très peu de champions ont émergé en Europe. C'est un échec européen de ne pas avoir été capable de créer des champions dans le secteur industriel et plus particulièrement dans le numérique."
Faire en sorte que les consommateurs aient toujours le choix
"Ce n'est pas extraordinaire qu'il y ait des débats sur les décisions que nous avons prises. Évidemment parfois elles font polémique", a tempéré Margrethe Vestager lors d'une conférence de presse, juste avant sa réunion avec le ministre français. La Commissaire européenne a toutefois défendu, droit dans ses bottes, sa décision. Selon elle, son rôle est d'assurer que les consommateurs aient toujours le choix d'aller voir ailleurs si, à l'issue de la fusion, l'entreprise affiche des prix plus élevés et cesse d'innover. Pour le cas Alstom-Siemens, cette condition était en grande partie remplie, à l'exception de deux secteurs: le TGV et les systèmes de signalisation.
"Les entreprises n'ont pas trouvé la solution à ces problèmes. Et si je disais 'je m'en fiche, on continue comme ça', ce serait ma responsabilité si les consommateurs se retrouvaient avec le plus mauvais choix."
Déjà connue, cette justification n'avait pas convaincu Bruno Le Maire. Dans la foulée, le ministre a proposé notamment de modifier le droit européen pour donner la possibilité aux ministres des Finances de bloquer une décision de la Commission. Si cela venait à arriver "la première question qui me vient à l'esprit est: qui va payer la facture?", a répondu Margrethe Vestager, tout en pointant qu'une telle éventualité serait rare puisque sur 3000 cas de fusion examinés par Bruxelles en 10 ans, seuls neuf ont été interdits.
"Se battre pour la concurrence au niveau mondial"
Plus largement, il est nécessaire pour l'Europe de "se battre pour la concurrence au niveau mondial", a estimé Margrethe Vestager. Bruxelles a commencé le travail en lançant la réforme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) avec le Japon et les États-Unis et sur les questions de concurrence, la Commissaire échange avec son homologue chinois. L'un des objectifs est d'inciter Pékin à ouvrir ses marchés et à stopper les transferts forcés de technologie. "Ces processus ne donneront pas de résultats dans les six mois, ils prennent du temps", a reconnu la Danoise.
En attendant, "il est important de faire des choses nous-mêmes" et de citer: la réforme sur le filtrage des investissements directs étrangers et tout le travail en cours pour obtenir une meilleure réciprocité dans les échanges, notamment avec la Chine. La finalité est d'obtenir que les entreprises européennes se battent sur un pied d'égalité avec leurs concurrentes étrangères. Des objectifs partagés avec Bruno Le Maire durant leur entretien de ce lundi.
Quant aux moyens de bâtir des champions, cela se ferait en particulier par un financement renforcé de l'innovation. Margrethe Vestager a notamment cité le plan de 1,75 milliard d'euros de soutien public à l'innovation dans la microélectronique financé par quatre pays dont la France, ou encore l'alliance franco-allemande de 1,7 milliard d'euros pour la production des batteries pour l'automobile.