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LA VÉRIF - Retraites: ces arguments discutables des partisans et opposants à la réforme

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Dans un camp comme dans l'autre, certains arguments avancés pour justifier le bien-fondé ou non de la réforme des retraites sont au mieux incomplets ou exagérés, au pire fallacieux. Passage en revue.

Difficile de s’y retrouver. Depuis la présentation de la réforme des retraites par Elisabeth Borne il y a une semaine, partisans et opposants au report de l’âge légal à 64 ans se répondent sur les plateaux de télévision à coups d’arguments percutants pour convaincre l’opinion de se rallier à leur position. Certains raisonnements qui reviennent régulièrement dans les débats sur les retraites sont désormais bien connus, même s’ils méritent parfois d’être nuancés, voire démentis. Tour d’horizon.

• "Il y a urgence à sauver notre système de retraites"

(Gabriel Attal, ministre délégué en charge des Comptes publics, le 12 janvier 2023).

C’est l’un des principaux arguments du gouvernement pour justifier son projet: travailler plus longtemps serait une nécessité pour sauver un système en péril, car structurellement déficitaire.

Dans son dernier rapport, le Conseil d’orientation des retraites (COR) confirme qu’il existe un réel besoin de financement: après un excédent de 3,2 milliards d’euros en 2022, le déficit devrait s’établir entre 0,5 et 0,8 point de PIB entre 2022 et 2032. Au final, le système de retraites serait "en moyenne déficitaire" sur les 25 prochaines années, selon le COR. Avec des comptes dans le rouge jusque dans les années 2070 dans le pire des scénarios.

Mais s’il y bel et bien un besoin de financement pour assurer l’équilibre du système, il est exagéré d'évoquer une quelconque urgence. D’après les projections du COR, les déficits attendus seront loin d’être explosifs (10 à 12 milliards par an sur environ 340 milliards de dépenses annuelles). En l’absence de réforme, la dynamique des dépenses consacrées aux retraites resterait même "contenue" sur la période étudiée, selon le COR. Soit au moins jusqu’à horizon 2070.

Au final, l’instance rattachée à Matignon affirme que les résultats de ses projections "ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l'idée d'une dynamique non contrôlée des dépenses de retraites".

• "Il y a un quart des 5% les plus pauvres qui meurent avant 62 ans"

(Manuel Bompard, coordinateur de la France insoumise, le 25 septembre 2022).

Ce chiffre issu de travaux de l’Insee publiés en 2018 est souvent repris à gauche pour dénoncer le report de l’âge légal de départ à 64 ans. Mais son interprétation est incorrecte.

D’abord parce qu’il ne concerne pas les "5% les plus pauvres" mais les "5% des hommes les plus pauvres" (chez les femmes, cette proportion ne serait pas d’un quart mais de 13%). Ensuite parce qu’il est difficile à mettre en lien avec le phénomène d’usure au travail: les 5% d’hommes les plus pauvres évoqués ayant un niveau de vie moyen de 466 euros. Autrement dit, ce sont des personnes qui ont peu ou pas travaillé au cours de leur vie et qui n’ont donc pas ou très peu de droits à la retraite.

Surtout, il faut noter qu’il s’agit d’un indicateur d’espérance de vie qui considère que les conditions de mortalité par niveau de vie, âge ou sexe restent identiques tout au long d’une vie.

"Le chiffre dit littéralement que si une personne passe chaque année de sa vie parmi les 5% les plus modestes de sa classe d’âge, sa mortalité à chaque âge est beaucoup plus élevée que la moyenne, et son risque de décès avant 62 ans est de 25%", précise l’économiste Michaël Zemmour dans une note de blog publiée sur le site d’Alternatives économiques.

Or, "une des difficultés c’est qu’on ne sait pas bien (en tout cas l’étude ne le dit pas), combien de personnes vivent toute leur vie parmi les 5% les plus modestes (en revenu). Une part conséquente des personne connaît dans sa vie des phases de grande pauvreté et des phases plus favorables, de telle sorte qu’on ne sait pas si 1%, 2% ou 5% des personnes restent toute leur vie parmi les 5% les plus modestes", ajoute-t-il.

• "Nous vivons plus longtemps et donc (…) nous devons travailler plus longtemps"

(Olivier Dussopt, ministre du Travail, le 15 décembre 2022).

L’argument est repris par les membres du gouvernement depuis des années: les Français vivant de plus en plus vieux, il est logique d'accroître la durée du travail. "C’est du bon sens", expliquait Emmanuel Macron il y a quatre ans déjà. S’il est indéniable que l’espérance de vie a nettement progressé au cours des dernières décennies, l’affirmation d’Olivier Dussopt mérite d’être nuancée elle aussi.

D’abord parce qu’en consultant les chiffres dans le détail, on remarquera que l’augmentation de l’espérance de vie des Français a ralenti ces dernières années pour s’établir en 2022 à 85,2 ans pour les femmes et 79,3 ans pour les hommes. Soit globalement le même niveau qu’en 2014, année de la dernière réforme des retraites, même s'il faut noter que cette stagnation traduit avant tout l’impact du Covid-19 qui a fait baisser l’espérance de vie entre 2019 et 2020.

Si la déclaration du ministre du Travail doit être nuancée, c’est surtout parce qu’elle cache d’importantes disparités, l’espérance de vie n’étant pas la même selon la profession, le niveau de vie, le diplôme...

L’espérance de vie à 35 ans d’un cadre homme était par exemple de 49 ans contre 42,6 ans pour les ouvriers dans les conditions de mortalité entre 2009 et 2013 (derniers chiffres disponibles), selon les données de l’Insee et de la Drees.

L’espérance de vie n’est pas une prévision

L’espérance de vie à la naissance ne fait pas référence "à l’espoir mais à sa signification statistique, l’espérance mathématique", rappelle l’Insee. Concrètement, "si l’espérance de vie à la naissance des femmes est de 85 ans en 2017, cela ne signifie pas que les filles nées en 2017 vivront en moyenne jusqu’à cette âge puisqu’elles seront très probablement soumises au cours de leur vie à des conditions de mortalité différentes de celles de 2017", détaille encore l’institut de la statistique.

En ce sens, l’espérance de vie à la naissance n’est pas une prévision, mais un indicateur synthétique de la mortalité d’une année donnée.

Plutôt que l’espérance de vie à la naissance, les syndicats opposés à la réforme des retraites se réfèrent à l’espérance de vie sans incapacité ou "en bonne santé" qui mesure le nombre d’années qu’une personne peut compter vivre en moyenne sans souffrir d’incapacité dans les gestes de la vie quotidienne.

Cet indicateur qui met davantage l’accent sur la qualité de vie a évolué légèrement à la hausse ces dernières années pour s’élever en 2020 à 64,4 ans pour les hommes et 65,9 ans pour les femmes, avec là-encore d’importantes disparités en fonction de la catégorie socioprofessionnelle, du diplôme et du niveau de vie.

Mais au même titre que l’espérance de vie à la naissance, l’espérance de vie sans incapacité à la naissance n’est pas un indicateur très pertinent pour parler des retraites car il tient compte de l’ensemble des accidents, handicaps temporaires ou autres maladies survenues avant même le début de sa carrière professionnelle. Mieux vaut se pencher sur l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans, qui était de 12,1 ans pour les femmes et 10,6 ans pour les hommes en 2020, soit une hausse depuis 2008 de 2 ans et un mois pour les femmes et de un an et 11 mois pour les hommes.

• "À 62 ans, la moitié des gens qui doivent partir à la retraite sont déjà au chômage"

(Jordan Bardella, président du Rassemblement national le 13 avril 2022).

Cette affirmation circule beaucoup parmi les opposants à la réforme des retraites qui alertent sur la situation de l’emploi des seniors. Elle découle pourtant d’une mauvaise interprétation.

Selon la Dares, service statistique du ministère du Travail, 56,1% des 55-64 ans avaient un emploi au dernier trimestre 2021. Les autres (43,9%) étaient donc en inactivité mais pas nécessairement au chômage puisque ce taux comprend aussi bien les personnes malades, en invalidité ou celles qui sont en inactivité depuis longtemps sans pour autant percevoir le chômage.

En réalité, "seuls" 13% des assurés de la génération 1950 étaient au chômage au cours de l’année précédant la liquidation des droits à la retraite, selon une étude de la Drees parue en 2022.

D’autres travaux de la caisse complémentaire des salariés du privé Agirc-arrco confirme ce constat. En effet, 63% de ses nouveaux retraités étaient en activité l’année précédant leur retraite, tandis que 11,5% étaient au chômage, 6,2% en maladie ou invalidité, et 19,3% n’avaient cotisé à aucun régime de retraite.

• "Ce choix (de reporter l’âge légal à la retraite), c’est aussi celui qu’ont réalisé tous nos voisins européens"

(Elisabeth Borne, Première ministre, le 10 janvier 2023).

Repousser l’âge légal de départ à la retraite est nécessaire. La preuve: la plupart des pays d’Europe l’ont fait, allant jusqu’à 65, 66 ans, voire au-delà. Ce raisonnement régulièrement développé par le gouvernement est discutable et mérite quelques précisions, car il compare des choses souvent difficilement comparables.

De fait, l’âge légal de départ à la retraite est un couperet en France: impossible de faire valoir ses droits avant. Or, ce n’est ce n’est pas nécessairement le cas ailleurs.

Par exemple, si l’âge présenté comme légal est de 67 ans en Grèce, il concerne les salariés qui n’ont cotisé que 15 années. Ceux qui ont cotisé au minimum 40 années de cotisation peuvent partir à 62 ans, et même avant en acceptant de toucher une pension plus faible.

Même chose en Allemagne où il est possible pour un salarié ayant cotisé 35 années de partir à la retraite avant l’âge normal qui va passer de 65 à 67 ans, à condition d’accepter que sa pension soit réduite de 3,6% par année manquante.

En Belgique, où l’âge légal va aussi passer de 65 à 67 ans, les salariés ayant commencé à travailler 16 ans pourront partir dès 60 ans. Ce sera 63 ans pour ceux qui ont commencé à 21 ans.

Au Luxembourg voisin, l’âge "légal" est fixé à 65 ans mais ceux qui ont cotisé pendant 40 ans peuvent prétendre à une retraite anticipée à 57 ans.

En résumé, l'âge légal dans de nombreux pays européens ne s'entend pas tout à fait de la même manière qu'en France.

• "C’est davantage sur les salariés les plus modestes que ça va peser"

(Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, le 4 janvier 2023).

L’ensemble des syndicats sont d’accord sur ce point: la réforme des retraites va surtout pénaliser les Français les plus défavorisés, ces derniers ayant souvent commencé à travailler plus tôt devront rester sur le marché du travail plus longtemps que les autres.

Pas si sûr, selon l’Institut des politiques publiques (IPP) qui considère dans un rapport publié la semaine dernière que "le raisonnement courant sur la réforme qui toucherait les plus modestes ne tient pas suffisamment compte de la complexité des déroulés de carrière et de l’ampleur des dispositifs dérogatoires". Selon le gouvernement, 40% des assurés pourront toujours partir avant 64 ans.

Pour les experts de l’IPP, le projet de réforme des retraites du gouvernement tient "davantage compte des personnes les plus modestes" que la réforme de 2010. Notamment parce que l’âge d’annulation de la décote fixé à 67 ans ne bougera pas.

"La réforme ne devrait donc pas toucher, en termes d’âge de départ, les assurés à carrière incomplète, qui attendent généralement cet âge d’annulation de la décote pour partir à la retraite à taux plein", souligne l’IPP.

Ensuite, "les personnes invalides et inaptes au travail seront (…) également exemptées du relèvement de l’âge minimal, et pourront donc continuer de partir à la retraite à 62 ans".

Au final, "il semble qu’on puisse affirmer que l’âge de départ à la retraite ne sera pas modifié pour une partie importante des assurés les plus modestes dans le cadre du projet de réforme, soit parce que ces assurés conserveront la possibilité de partir à la retraite à 62 ans au titre de l’inaptitude et de l’invalidité, soit parce qu’ils devaient déjà, de toute façon, attendre 67 ans pour partir au taux plein", résume l’IPP.

Pour l’institut, ce sont "davantage les catégories intermédiaires dans l’échelle des revenus, y compris celles qui se situent dans la moitié supérieure de cette échelle, qui sont susceptibles d’être les plus touchés par la réforme à venir", sachant que ces catégories intermédiaires "peuvent inclure par exemple des professions intermédiaires, mais aussi des ouvriers ou des employés qualifiés".

Il faut toutefois préciser que l’IPP ne se penche que sur l’effet de la réforme en termes d’âge de départ à la retraite et pas sur les pensions qui pourraient évoluer à la baisse pour une partie des personnes invalides et inaptes ainsi que les personnes à carrière incomplète.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco