Y a-t-il vraiment urgence à réformer les retraites?
Dans un camp comme dans l’autre, il fait figure de référence. À quelques jours de la présentation de la réforme des retraites, le rapport du COR (Conseil d’orientation des retraites) paru en septembre dernier est brandi à tout-va. Tantôt par le gouvernement pour démontrer la nécessité de son projet, tantôt par ses opposants qui rejettent toute mesure de report de l’âge légal de départ, à 64 comme à 65 ans.
Le dialogue de sourds dure depuis plusieurs mois maintenant. Quand Élisabeth Borne affirme qu’il faudra bien travailler plus longtemps pour sauver un système de retraites "structurellement en déficit", les syndicats et membres de l’opposition rétorquent que l’équilibre financier du régime est loin d’être en péril et que la réforme est de facto inutile.
Alors, qui dit vrai? Avant d'entrer dans le détail, rappelons que le COR est un service indépendant rattaché à Matignon depuis sa création en 2000. Il est composé de 41 membres, parmi lesquels des représentants des partenaires sociaux, de l’administration, des experts des retraites ou encore des parlementaires. À travers ses rapports annuels, son principal rôle est de livrer des projections de court et long termes sur l’évolution du système de retraites selon différents scénarios tenant compte de plusieurs indicateurs (démographie, chômage, croissance, productivité horaire du travail).
Un besoin de financement réel...
Après un déficit de 13 milliards d’euros en 2020, le système de retraites est revenu dans le vert, affichant cette fois un excédent de 900 millions d’euros en 2021 et même de 3,2 milliards en 2022. Une nette amélioration essentiellement due à la croissance des recettes lors de la forte reprise de l’activité post-Covid.
Mais cette situation ne devrait être que temporaire. En fonction du scénario retenu, le déficit du système s’établirait entre 0,5 et 0,8 point de PIB entre 2022 et 2032, soit aux alentours de 10 milliards d’euros par an. Jusqu’en 2027, cette nouvelle dégradation est jugée "paradoxale" par le COR puisqu’elle résulterait de mesures d’économies. En l’occurrence, de la baisse de la masse salariale des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers cotisant à la CNRACL.
Sur la période 2028-2032 marquée selon le COR par une faible croissance et un rebond du chômage (nous y reviendrons), la dégradation du solde entre les recettes et les dépenses relatives aux retraites se prolongerait, avec un creusement du déficit porté cette fois par les régimes de base du secteur privé. Au final, "sur les 25 prochaines années, le système de retraites serait en moyenne déficitaire, quels que soient la convention et le scénario retenus", souligne le COR.
Les conventions évoquées par le COR sont au nombre de deux. Dans la convention dite EPR (équilibre permanent des régimes), on considère que l’Etat ajuste chaque année ses dépenses pour assurer l’équilibre des régimes de la fonction publique et des autres régimes spéciaux. Dans la convention EEC (effort constant de l’Etat), on part du principe que l’Etat maintient le taux d’effort en % du PIB qu’il connaît actuellement, même si les dépenses liées aux régimes des fonctionnaires et des régimes spéciaux diminuent.
Au même titre que le scénario de productivité notamment, la convention retenue peut faire toute la différence. Particulièrement à long terme alors que le COR prévoit un déficit jusqu’à horizon 2070 minimum dans tous les scénarios avec la convention EPR, à l’exception de celui tablant sur des gains de productivité de 1,6% par an (retour à l’équilibre au milieu des années 2050). Avec la convention EEC en revanche, "le système de retraite reviendrait progressivement à l’équilibre dans tous les scénarios mais à plus moins longue échéance (vers le milieu des années 2030 dans le scénario à 1,6% (de gains de productivité, ndlr), des années 2040 dans le scénario 1,3 % et à la fin des années 2050 dans le scénario 1,0 %)", écrivent les experts du COR.
Les défenseurs de la réforme des retraites souligneront toutefois que les déficits prévus par le COR sont sous-estimés car ils ne tiennent pas compte de la contribution de l’Etat à hauteur de 30 milliards d’euros environ chaque année pour assurer l’équilibre de certaines caisses de retraites qui pâtissent d’une dynamique démographique défavorable (fonction publique d’Etat, collectivité territoriales, régime des exploitants agricoles, etc…).
... mais "pas de dynamique non contrôlée des dépenses"
En l’absence de réforme, la dynamique des dépenses consacrées aux retraites resterait "contenue" sur l’ensemble de la période étudiée et ce malgré un nombre de retraités en constante augmentation, selon le COR. Entre 2021 et 2027, ces dépenses seraient même quasi-stables, passant de 13,8 à 13,9%.
Cette part serait en revanche en hausse sur la période 2028-2032, à 14,7% dans le pire des scénarios (gain de productivité de 0,7%), sous l’effet d’un net ralentissement de la croissance et d’un rebond du chômage comme expliqué plus haut. Mais les prévisions relatives à cette période doivent être interprétées avec prudence car il s’agit ici "d’un artefact lié à la méthode de projection: rien ne permet d’anticiper que la conjoncture économique sera particulièrement déprimée sur la période 2028-2032", reconnaît le COR lui-même.
Comment expliquer cette étrange prévision? Pour mieux comprendre, il faut rappeler que le gouvernement se montre particulièrement optimiste dans son programme de stabilité avec une prévision de taux de chômage à 5% en 2027, soit deux points de moins que la cible retenue par le COR en 2032. Bien que sceptique, le Conseil d’orientation des retraites doit mener ses travaux en s’appuyant sur les prévisions du gouvernement pour la période 2021-2027. Au-delà, il n’y est plus contraint. C’est donc pour faire revenir le chômage à sa prévision de 7% en 2032 qu’il imagine un ralentissement de l’activité économique dès 2028, avec un taux de croissance compris entre 0,5 et 1,1% au cours de ces cinq années qui suivent, contre 1,7% en moyenne entre 2022 et 2027. D’où une hausse significative des dépenses et des déficits sur cette "période de raccordement".
Quant à la période 2032-2070, "la part des dépenses de retraite dans la richesse nationale serait stable ou en diminution" et ce malgré le vieillissement progressif de la population, juge le COR qui explique ce résultat "contre-intuitif" par le fait que "l’évolution démographique défavorable est contrebalancée, d’une part par le recul de l’âge de départ à la retraite qui passerait de 62 ans à 64 ans du fait des réformes déjà votées; et, d’autre part, par la moindre augmentation du niveau de vie des retraités relativement aux actifs". Ainsi, la part des dépenses de retraite dans le PIB serait comprise entre 12,1 et 14,7% en 2070.
"Selon les préférences politiques, il est parfaitement légitime de défendre que ces niveaux sont trop ou pas assez élevés, et qu’il faut ou non mettre en œuvre une réforme du système de retraite", conclut le COR tout en précisant que "les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l'idée d'une dynamique non contrôlée des dépenses de retraites".
Baisse du niveau de vie relatif des retraités
L’élément qui plaide sans doute le plus en faveur d'une réforme à court terme est le décrochage anticipé du niveau de vie des retraités par rapport au reste de la population si le système demeurait en l’état. Car si la pension moyenne continuerait de progresser en valeur absolue du fait de son indexation sur l’inflation, elle augmenterait moins vite que les salaires moyens.
Résultat, le niveau de vie des retraités rapporté à celui de l’ensemble de la population serait compris, en 2070, entre 75,5% et 87,2%, contre 101,5% en 2019, estime le COR.
Si l'instance ne se prononce pas sur les actions à mettre en oeuvre pour corriger cet effet et réduire les déficits, le gouvernement, sur la base de ces travaux, fait donc le choix de reporter l'âge légal de départ. Certains syndicats préconisent plutôt une augmentation des cotisations. Ce à quoi s'est toujours refusé l'exécutif, soucieux de ne pas augmenter le coût du travail.