Réforme des retraites: l'économiste Mickaël Zemmour estime qu'"il n'y a pas urgence"

Il est aujourd'hui connu comme celui qui a mis en lumière les véritables effets de la revalorisation des petites pensions prévues dans la réforme des retraites du gouvernement. Mickaël Zemmour, économiste et maître de conférence à l'université Paris I, était l'invité de BFMTV ce matin. "C’est une réforme destinée à faire beaucoup d’économies en baissant les dépenses de retraites et donc mécaniquement beaucoup de perdants", résume Mickaël Zemmour.
Outre les personnes qui vont devoir décaler leur départ à la retraite, il évoque notamment les baisses des pensions pour les personnes qui avaient prévu de travailler au-delà de l'âge légal et vont perdre leur décote mais aussi pour celles concernées par le prolongement accéléré de la durée de cotisation de 42 à 43 ans et qui n'ont pas de carrière complète.
Une revalorisation peu étendue
Concernant le fameux montant de 1200 euros que beaucoup avaient compris comme une pension minimale, Mickaël Zemmour confirme que certaines petites pensions feront bien l'objet d'une revalorisation, de 33 euros par mois en moyenne pour les nouveaux retraités et à hauteur de 56 euros par mois en moyenne pour les personnes actuellement à la retraite.
"Ce n’est pas une mesure qui justifie la retraite à 64 ans, c’est une mesure de revalorisation comme on en a connu plein et qui peut se voter au Parlement rapidement", insiste-t-il tout en plaidant pour un minimum garanti.
"A côté, on a à peu près 5 millions de personnes qui ont une pension faible, inférieure à 1200 euros bruts et ce sont majoritairement des femmes. Après la réforme, cette image ne va pas bouger, souligne-t-il. On aura peut-être 200 ou 300.000 personnes en moins sur l’ensemble des retraités mais on aura toujours 4,7 millions personnes qui auront une pension inférieure à 1200 euros." L'économiste rappelle par ailleurs que l'immense majorité des personnes ayant réalisé une carrière complète touche une pension supérieure à ce seuil.
Une réforme qui pèse sur les plus de 55 ans
L'économiste met en avant la récurrence des réformes des retraites qui surviennent "tous les 5 ans en France" et peuvent s'articuler de différentes manières entre l'augmentation des recettes, le montant des pensions ou le décalage de l'âge de la retraite. C'est donc vers cette dernière option que le gouvernement s'est orienté, un levier que Mickaël Zemmour juge problématique.
"C’est un levier brutal parce que dans les 10 premières années, il va concentrer toutes les économies non pas sur les 27 millions d’actifs ni sur les 17 millions de retraités mais sur les 5-6 millions de personnes qui sont aux portes de la retraite, de 55 ans ou plus et qui organisaient leur vie en fonction de la retraite", souligne l'économiste.
"Evidemment quand on décale l’âge de la retraite, ça concerne tout le monde et les générations futures mais comme il y a des réformes tous les 4 ou 5 ans, l’avenir n'est pas encore écrit", poursuit-il.
En se basant sur l'application de la précédente réforme des retraites qui a fait passer l'âge légal de départ de 60 à 62 ans, Mickaël Zemmour observe que ce décalage "prolonge la période de précarité dans la majorité des cas".
"Les personnes qui atteignent la retraite en emploi sont restées en emploi plus longtemps et les personnes qui sont déjà hors de l’emploi au moment de la retraite, qui sont au chômage, au RSA, ont vu leur période hors de l’emploi se décaler, explique-t-il. Elles n'ont pas trouvé de boulot, les entreprises ne les ont pas ré-embauchées."
"Une question de finances publiques"
A l'origine de ce projet de réforme des retraites se trouve un problème d'ordre budgétaire: "Le gouvernement choisit de faire une réforme des retraites pour une question de finances publiques. Il a un objectif de réduction de son déficit à 3% en 2027 et il s’est lui-même créé une difficulté en baissant les impôts sur les entreprises et sur les ménages aisés." Et c'est cette échéance qui justifie l'exigence de rapidité à laquelle le gouvernement souhaite qu'entre en vigueur le projet de loi, dès le mois de septembre.
Mickaël Zemmour admet qu'une situation déficitaire du système de retraites est prévue mais il relativise le facteur démographique pour l'expliquer: "Il ne faut pas dramatiser la question de la natalité car on ne l'a pas découverte hier matin. C’est quelque chose qui est connu depuis au moins les années 1990. Toutes les réformes précédentes l’ont prise en compte de telle sorte qu’aujourd’hui, on va avoir de plus en plus de retraités mais nos dépenses de retraites n’augmentent pas car les réformes précédentes ont fait en sorte de raccourcir la durée de la retraite. Les dernières réformes ne sont pas encore finies, la réforme Tourraine doit encore s’appliquer pendant 15 ans."
"Il n’y a pas de dérapage démographique mais un léger déficit public prévu dans les années à venir qui est plutôt lié au changement dans la fonction publique avec la baisse du nombre de fonctionnaires", explique Mickaël Zemmour.
"Trouver 12-13 milliards à l'horizon 2027 n'est pas difficile"
Le maître de conférences estime ainsi qu'"il n'y a pas urgence" et propose de suspendre le texte en l'état et de reprendre les discussions autour des leviers de la réforme des retraites. Plutôt que d'actionner celui de l'âge de départ, le maître de conférences prône plutôt la mobilisation de financements supplémentaires à travers par exemple les cotisations sur l'intéressement et la participation. Il avance également la piste d'un maintien de l'engagement de l'Etat dans le système de retraites lequel est orienté à la baisse avec la diminution du nombre de fonctionnaires.
"Je pense qu’aujourd’hui les dépenses de retraite sont stabilisées [...] Trouver 12-13 milliards d’euros à l’horizon 2027 n’est pas difficile en fait: le ministère de l’Economie le fait pratiquement tous les ans", assène Mickaël Zemmour.
"On pourrait aussi faire le choix de ne pas trop augmenter les cotisations sociales mais de le faire uniquement sur les salaires les plus élevés", lance Mickaël Zemmour. Enfin, il reprend l'idée de son confrère Thomas Piketty d'une cotisation de 2% sur les 500 plus grosses fortunes françaises, "ce qui ferait même trop d'argent qu'il faudrait l'utiliser pour autre chose."