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Grève contre la réforme des retraites: la rue peut-elle faire céder le gouvernement?

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Confronté à une grève d'ampleur ce jeudi, le gouvernement assure de sa volonté de repousser l'âge de départ à la retraite. Si les syndicats ont réussi à mettre en échec le gouvernement lors de certaines grandes mobilisations contre les régimes spéciaux en 1995 ou le CPE en 2006, leurs victoires se sont faites rares ces dernières années.

Un objectif que les syndicats jugent atteignable. Face au front syndical - uni pour la première fois depuis 12 ans - Emmanuel Macron peut-il abandonner son idée de reculer l'âge de départ à la retraite à 64 ans?

Si plusieurs grèves de grande ampleur ont pu aboutir au retrait de certaines mesures, comme cela été le cas en 1995 pour la réforme des retraites d'Alain Juppé, les mobilisations n'ont pas vraiment suffi à faire céder les gouvernements ces dernières années.

"Les politiques ne lâchent - et encore, ce n'est pas toujours suffisant - que si vous avez du monde dans la rue pendant un certain temps et avec une éventuelle paralysie du pays", résume Raymond Soubie, l'ancien conseiller retraites de Nicolas Sarkozy à l'Élysée. "Jeudi soir, on aura un premier indice de la suite pour le gouvernement."

"Si vous avez un million de personnes, le gouvernement commence à prendre au sérieux les choses", estime-t-il. "En dessous, ce sera quasiment plié."

Le modèle de la réforme de 2010

Si la RATP et la SNCF seront fortement perturbées ce jeudi et que les syndicats tout comme la gauche appellent les Français à "déferler dans les rues", la macronie se veut pour l'instant optimiste. Pas question d'envisager le moindre recul du gouvernement même en cas de très forte grève.

"On ne s'attend pas à ce qu'il n'y ait pas de mobilisation. Il y en a eu à chaque réforme des retraites donc évidemment qu'il y aura du monde. Mais si on lâche devant la rue, ça voudrait dire que le vote ne sert plus à rien", assure ainsi, confiant, Guillaume Kasbarian, le président de la commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale.

Au sein de la macronie, on a révisé ces derniers jours l'histoire des grandes mobilisations sociales. Et beaucoup jugent que l'atmosphère actuelle est très loin de celle des grandes victoires syndicales, avec en tête un exemple jugé rassurant: celui de la réforme des retraites en 2010.

Éric Woerth, alors ministre du Travail, défend le recul de l'âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Contesté par tous les syndicats, ce projet de réforme fait descendre dans la rue entre 1,2 et 3,5 millions le 12 octobre - plus de monde qu'en 1995 et 2003. Mais malgré le blocage de dépôts d'essence, des TGV à l'arrêt, une grève massive des éboueurs, des universités bloquées et 14 journées de mobilisation, le gouvernement ne lâche rien.

"On est dans une configuration proche de ce mouvement avec une réforme annoncée pendant la campagne par Nicolas Sarkozy à l'époque et par Emmanuel Macron aujourd'hui et un gouvernement déterminé à avancer hier comme maintenant", décrypte un cadre du groupe Renaissance.

Éviter le "côté insensible" du gouvernement

La détermination n'empêche pourtant parfois pas les gouvernements de reculer sous la pression de la rue comme ce fut le cas en 1986 avec le projet de loi Devaquet qui visait à réformer les universités ou encore en 1995 avec Alain Juppé.

Loin d'envisager de lâcher du lest, le locataire de Matignon lance "je reste droit dans mes bottes", après des jours de mobilisation qui ont rassemblé jusqu'à 2 millions de manifestants. Avant de devoir finalement lâcher son projet de loi sous la pression présidentielle.

"Pour la plupart d'entre nous, ce n'est pas notre histoire politique ou notre génération mais on pense tous à Alain Juppé en 1995 et à son côté 'insensible' bien sûr", lâche un conseiller ministériel. "On doit éviter ça à tout prix."

De quoi pousser Emmanuel Macron à demander sa majorité "de l'humilité". Le message laisse cependant dubitatif Alain Madelin, ancien ministre de l'Économie d'Alain Juppé.

"Élisabeth Borne est très rigide, pas bonne communicante", analyse-t-il.

"On n'est pas à l'abri d'une mauvaise séquence qui peut mettre le feu aux poudres dans le cadre d'un mouvement très puissant", avance celui qui avait farouchement défendu la retraites à points prônée par Emmanuel Macron lors de son premier quinquennat.

L'épisode de 1995 avait d'ailleurs traumatisé la droite de l'époque. En 2003, à quelques jours d'une mobilisation contre la réforme des retraites qui vise à allonger la durée des cotisations de 40 à 41 ans, Jean-Pierre Raffarin fait passer son message. "Le Parlement doit décider, la rue doit défiler, mais ce n'est pas la rue qui gouverne", assure alors le Premier ministre, qui ne recule pas malgré des grèves relativement importantes.

Le spectre du CPE

Trois ans plus tard, l'Élysée lâchait pourtant en rase campagne le Contrat première embauche (CPE) pourtant adopté à l'Assemblée nationale, après des semaines de mobilisation de la jeunesse. Avec un contexte qui peut donner quelques angoisses à Élisabeth Borne: celle d'une majorité très divisée et des syndicats étudiants très mobilisateurs.

"À l'époque, il y avait une contradiction interne très forte entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin", rappelle Danielle Tartakowsky, historienne spécialiste des mouvements sociaux. "Ça a fortement contribué à cette issue qu’à été le retrait du texte."

Si pour l'instant, la majorité présidentielle tient - malgré les propos de l'ancienne ministre Barbara Pompili ou de l'élu de l'Hérault Patrick Vignal, qui envisagent de voter contre la réforme -, une brèche dans l'unité macroniste pourrait offrir un boulevard aux syndicats.

"Ce n'est pas pour rien qu'on reserre les rangs et qu'on explique que ce n'est plus le moment pour les états d'âme", grince un conseiller ministériel.

Autre angoisse de la macronie, pour l'instant relativisée dans les rangs de l'exécutif: celle de la mobilisation des syndicats étudiants qui peuvent bloquer lycées, universités.

"Ce n'est pas facile de faire descendre les jeunes dans la rue, mais quand ils y sont, c'est difficile de les faire rentrer à la maison", résume Raymond Soubie.

"Vous n'avez pas la question du salaire en moins comme pour les salariés", poursuit l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.

"Une manif qui pète..."

Dernière inconnue qui peut changer la donne: celle d'éventuelles échauffourées, qui pourraient faire basculer l'opinion. "Une manif qui pète à la fin avec des black blocs, des vitrines cassées, des policiers blessés... Ça ne pousse pas vraiment à soutenir les grévistes", assure un député Renaissance.

Avec en guise d'exemple la loi Travail. Malgré une mobilisation d'ampleur pendant des semaines, le gouvernement avait défendu en 2016 le texte jusqu'à son adoption par 49.3. "On a senti une vraie bascule dans l'opinion après que des policiers aient été blessés dans l’incendie d’une voiture des forces de l'ordre", décrypte un ancien secrétaire d'État de l'époque.

"Là, François Hollande a pu se dire que c'était plié et qu'il avait gagné", poursuit cet ancien membre du gouvernement.

À l'heure actuelle cependant, 56% des Français approuvent la mobilisation contre la réforme, selon notre dernier sondage Elabe pour BFMTV publié ce mercredi. Et 55% disent même comprendre "que les grévistes bloquent le pays" pour tenter de faire plier le gouvernement.

Marie-Pierre Bourgeois