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TOUT COMPRENDRE - Inflation: comment les banques centrales peuvent tenter de la contrôler

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Dans leur boîte à outils, les banques centrales disposent d'un instrument pour tenter de maîtriser l'inflation: les taux directeurs. Mais contrairment à certaines de ses homologues, la BCE a fait le choix de ne pas y toucher pour l'instant, arguant que l'augmentation générale des prix n'est que temporaire.

L’économie mondiale au bord de la surchauffe? L’explosion de la demande mondiale post-Covid a précipité le retour de l’inflation dans les pays développés ces derniers mois.

Alimentée par les pénuries de matières premières et la flambée des cours de l’énergie, la hausse des prix s'est établie à 2,2% en septembre sur un an en France, après +1,9% en août. En zone euro, ils ont bondi de 3,4% le mois dernier –un plus haut depuis 2008- et devraient augmenter de plus de 4% d’ici la fin de l’année, selon les experts. Un niveau déjà atteint aux Etats-Unis.

• Inflation et croissance: le dilemme des banques centrales

Cette situation met sous pression les banques centrales dont le premier objectif est la stabilité des prix. C’est donc à elles que revient la délicate mission de contenir l’inflation à un niveau raisonnable sans pour autant freiner la croissance économique.

Parmi les options possibles, elles peuvent choisir de laisser filer les prix, au risque d’encourager une spirale inflationniste incontrôlable. En effet lorsque les prix augmentent, les salariés sont généralement amenés à réclamer une revalorisation de leurs rémunérations, auquel cas les bénéfices des entreprises vont se réduire, ce qui va les inciter à augmenter leurs prix. Les ménages réclameront alors une nouvelle revalorisation, menant à une nouvelle augmentation des prix, et ainsi de suite. Si nous n’en sommes pas encore là, la pénurie de main d’œuvre susceptible de tirer les salaires à la hausse dans certains secteurs est une condition favorable supplémentaire à l’enclenchement de cette boucle perverse.

Mais les banques centrales disposent d’un instrument de politique monétaire unique qu’elles peuvent utiliser si elles jugent la dynamique de l’inflation dangereuse: les taux directeurs. En relevant ou en abaissant ces taux d’intérêt de court terme, elles ont le pouvoir de garder le contrôle sur la masse monétaire en circulation.

Certaines ont déjà franchi le pas ces dernières semaines. A commencer par la banque centrale de Norvège qui a relevé son taux directeur à 0,25%. Ses homologues tchèque, sud-coréenne et néo-zélandaise ont suivi le mouvement quelques jours après, tandis que la Banque d’Angleterre devrait en faire de même d’ici la fin de l’année. Signe que le retour de l’inflation suscite de réelles inquiétudes.

• Quel lien entre taux directeurs et inflation?

Les taux directeurs fixés par la Banque centrale européenne sont au nombre de trois: le taux de prêt marginal, le taux de rémunération des dépôts et, le plus important d’entre eux, le taux de refinancement. C’est essentiellement grâce à ce dernier que la BCE garde la main sur le niveau de l’inflation.

Le taux de refinancement est en effet celui auquel les banques commerciales empruntent leurs liquidités aux banques centrales. Pour gagner de l’argent, les établissements bancaires sont donc obligés de fixer leurs propres taux d’intérêt appliqués aux crédits qu’ils accordent à un niveau supérieur à celui du taux de refinancement.

Dit autrement, plus le taux de refinancement de la BCE est élevé, plus le taux d’intérêt des banques européennes l’est également, et inversement. Et plus le taux d’intérêt des banques est important, plus le recours aux crédits sera faible, ce qui réduira la masse monétaire en circulation et contribuera à freiner l’inflation.

• Que va faire la BCE?

Il s'agit désormais de savoir ce que compte faire la BCE. Pour rappel, l’institution monétaire européenne vise un objectif d’inflation proche de 2% à moyen terme. Soit un seuil laissant suffisamment de marges pour prévenir tout risque de déflation (qui est souvent pire que l’inflation).

Or, ces fameux 2% ont été dépassés ces derniers mois. Ce qui pourrait l’inciter à remonter son taux directeur actuellement établi à 0% pour refroidir la machine économique. Mais il n’en sera probablement rien. Dans ses dernières communications, la BCE a bien fait comprendre qu’elle n’entendait pas bouger d’un iota, arguant que la hausse généralisée des prix n’était que provisoire.

"Le principal défi est de s'assurer que nous ne surréagissons aux chocs d'offre transitoires" liés à la pandémie de Covid-19 et qui n'ont "aucune incidence sur le moyen terme", a notamment déclaré fin septembre la présidente de la BCE, Christine Lagarde.

Ce mardi, François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France et membre du conseil des gouverneurs de la BCE, a tenu un discours similaire: "Aujourd’hui, il n’y a pas de raison par exemple que la Banque centrale européenne augmente ses taux d’intérêt l’an prochain", a-t-il dit sur Franceinfo. Et d’assurer avoir "clairement la conviction" que l’inflation "reviendra sous 2% d’ici la fin de l’année prochaine".

Au final, la BCE s’est contentée d’annoncer début septembre la poursuite à un rythme "légèrement plus faible" de son programme d’urgence pandémie de rachats d’actifs (PEPP), doté d’une enveloppe de 1850 milliards d’euros.

• Quel impact en cas de remontée des taux?

Dans l’hypothèse où l’inflation accélérerait nettement dans les mois qui viennent, la BCE sera sans doute contrainte de revoir sa position et de réviser son taux directeur à la hausse. Avec plusieurs conséquences plus ou moins favorables.

Du côté des ménages, la hausse du taux directeur entraînerait une hausse des taux d’intérêt des banques. Résultat, l’accès au crédit serait plus difficile car plus cher, ce qui ralentirait la consommation. C’est le même schéma qui s’opèrerait pour les entreprises puisqu’un renchérissement du coût du crédit découragerait les investissements.

En revanche, une remontée des taux serait avantageuse pour les épargnants puisque qu’ils bénéficieraient d’une meilleure rémunération. Rappelons qu’actuellement, le rendement réel d’un placement comme le Livret A rémunéré à 0,5% est négatif compte tenu du niveau de l’inflation. En clair, le pouvoir d’achat des épargnants s’érode.

Pour les Etats, l’augmentation des taux de la BCE pourrait causer d’importantes difficultés, en particulier pour les plus endettés d’entre eux qui ne pourraient plus se financer à moindres de frais. "La politique monétaire est coincée par ces hauts niveau de dette", explique sur BFM Business Mathieu Plane, directeur adjoint Departement Analyse et Prevision à l'OFCE. La BCE n’a donc "pas vraiment intérêt à remonter ses taux, sauf si on est vraiment dans une inflation non contrôlée".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco