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Des hausses de salaires généralisées peuvent-elles vraiment déstabiliser l'économie?

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Alors que l'inflation s'installe en France, le président du Medef s'oppose à des hausses de salaires généralisées, qui ne seraient pas "soutenables pour l'ensemble de l'économie". Tour d'horizon (non exhaustif) de l'impact d'une hausse des salaires en France.

Ce sera probablement un des enjeux de la campagne pour l'élection présidentielle. Alors que l'inflation inquiète en France, le gouvernement pousse pour que les salaires augmentent à leur tour. Une manière de maintenir voire de faire progresser le pouvoir d'achat mais une perspective qui fait frémir le patronat.

"Si les hausses salariales se généralisent, ce ne sera pas soutenable pour l'ensemble de l'économie. Pourquoi rehausser les salaires aujourd'hui?" prévient Geoffroy Roux de Bézieux dans les Echos.

Pourquoi augmenter les salaires aujourd'hui?

Depuis le début de l'année, plusieurs facteurs économiques et politiques ont entrainé une hausse des prix, notamment sur l'énergie. En France, l'Insee a estimé qu'en septembre l'inflation sur un an avait atteint 2,1%.

Pour éviter un perte de pouvoir d'achat, les salaires doivent donc augmenter et suivre ce rythme. Le Smic est d'ailleurs mécaniquement indexé à l'inflation.

Le problème, c'est que la France n'a pas connu une inflation supérieure à 2% depuis 2011. Pire: depuis 30 ans, la hausse des prix n'a plus connu d'envolée durable à l'exception de quelques pics temporaires liés lors des crises économiques ou politiques.

L'inflation n'est pas toujours nocive pour les salariés puiqu'elle tire justement leur rémunérations à la hausse. Elle est, en tout cas, bien moins dangereuse que la déflation. Le mandat de la Banque centrale européenne (BCE) ne consiste d'ailleurs pas à lutter contre l'inflation mais à maintenir la hausse des prix à 2%, afin de stimuler les salaires.

Comment ont évolué les salaires par rapport à l'inflation ces dernières années?

Ces dernières décennies, les salariés n'ont pas pâti de la faiblesse de l'inflation. Entre 1996 et 2018, le salaire annuel net moyen en équivalent temps plein des salariés du secteur privé a augmenté de 13,1 % en euros constants (donc en prenant déjà en compte l'inflation), soit + 0,6 % en moyenne par an.

Les salaires en euros constants montrent l'évolution des salaires prise en compte de l'inflation (salaires en euros courants)
Les salaires en euros constants montrent l'évolution des salaires prise en compte de l'inflation (salaires en euros courants) © Insee

Sur le plan statistique, l'évolution des salaires a donc été supérieure à l'inflation sur cette période, notamment en raison de la transformation des métiers et du fait que les salariés sont de plus en plus qualifiés. Mais il s'agit d'une moyenne, masquant des disparités, qui peuvent paraître contre-intuitives. Par exemple, le salaire annuel des ouvriers a davantage grimpé (en moyenne) que celui des cadres.

Hausses des salaires par catégorie socioprofessionnelle (Insee)
Hausses des salaires par catégorie socioprofessionnelle (Insee) © Insee

Y-a-t-il des secteurs à la traîne en matière de salaire?

Le salaire moyen en France (2424 euros nets par mois) est loin de concerner la majorité des salariés. Ainsi, en France, un salarié sur deux touche moins de 1940 euros nets par mois. Et certaines branches peinent même à se détacher du Smic, les bas salaires n'augmentant qu'en raison de l'indexation du revenu minimum.

En 2017, 6,1% des salariés couverts par une convention collective de branche percevaient une rémunération comprise entre 1 et 1,05 Smic (contre 6,6% trois ans plus tôt), selon une étude du Ministère du Travail publiée l'année dernière.

Dans les détails, cette part de salariés dépasse 20 % dans certaines branches des services à la personne (43,7%), de la coiffure (23,3%) ou encore de l'esthétique (22,3%). Concernant l'hôtellerie-restauration, plus de 10% des salaires sont payés avec un salaire proche du Smic.

L'hôtellerie-restauration fait aussi partie des branches où le salaire minimum négocié est passé en dessous du Smic, faute d'accord entre les partenaires sociaux.

Ce sont avant tout ces secteurs qui peinent à recruter du fait de leur manque d'attractivité salariale.

Faut-il indexer les salaires sur l'inflation?

Une telle mesure existait en France jusqu'au début des années 1980 avec un effet pervers: les salaires augmentant automatiquement en fonction de l'inflation, les prix des biens et des services avaient tendance à augmenter préventivement. L'inflation avait fini par atteindre des niveaux délirants (13,4% en 1981) jusqu'à la fin de ce système d'indexation, décidée par François Mitterrand lors du tournant de la Rigueur.

Une hausse des salaires peut-elle déstabiliser l'économie?

C'est l'argument de Geoffroy Roux de Bézieux.

"Quand les salaires augmentent dans les services, cela se répercute directement sur les prix payés par les consommateurs" prévient-il.

Effectivement, si les prix des biens et services augmentent, les salariés vont ensuite réclamer des augmentations pour compenser cette perte de pouvoir de d'achat.

La principale crainte est l'apparition de la fameuse boucle prix-salaire où la hausse de l'un alimente l'augmentation de l'autre. Une forte inflation (et surtout son anticipation) va pousser les salariés à demander des hausses de salaires. Résultat: les entreprises devront rogner leurs marges pour répondre à cette demande et augmenteront leurs prix, provoquant une spirale inflationniste…

Mais cette boucle s'active généralement lorsque le chômage est très bas et que les entreprises, en forte concurrence pour le recrutement, se livrent à une guerre des salaires. A l'exception de certains secteurs en tension, ce n'est pas le cas en France. D'autant que l'inflation est, pour le moment, principalement liée à l'énergie, dont les prix devraient mécaniquement refroidir après l'hiver.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business