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Dissolution, loi spéciale, ordonnances... Malgré la nouvelle nomination de Sébastien Lecornu, ce n'est (vraiment) pas sûr que la France ait un budget avant la fin de l'année

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Une note rédigée par le président socialiste de la Commission des finances au Sénat, Claude Raynal, détaille plusieurs scénarios possibles concernant le projet de loi de finances pour 2026. Malgré la (re) nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, il n'est pas certain qu'un budget soit voté et promulgué avant la fin de l'année.

Le flou persiste. Et la re-nomination de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre ne permet pas d'envisager, à ce stade, le début des travaux parlementaires pour que la France se dote d'un budget pour 2026.

Comme le souligne une note rédigée par le président socialiste de la Commission des finances au Sénat, Claude Raynal, et consultée par BFM Business, "l'examen du projet de loi de finances pour 2026 dans les délais constitutionnels et d'ici à la fin de l'année semble compromis".

Sur le papier, le texte doit être présenté et adopté en Conseil des ministres, puis déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale lundi 13 octobre 2025. Mais avec la démission surprise de Sébastien Lecornu lundi 6 octobre, seulement 14 heures et 26 minutes après avoir formé un gouvernement, puis l'incertitude qui a marqué la semaine jusqu'à, finalement, sa nouvelle nomination à Matignon vendredi 10 octobre dans la soirée, ce délai risque de ne pas être tenu. Et ce, alors même que si l'on se base sur le parcours normal d'un projet de loi de finances, le texte aurait dû être déposé au Palais Bourbon au plus tard le premier mardi d'octobre, à savoir le 7 octobre dernier.

Et pour cause, il appartient de nouveau à Sébastien Lecornu de composer un gouvernement ce week-end pour pouvoir présenter et adopter un PLF en conseil des ministres en début de semaine prochaine. Chose loin d'être aisée sachant que les Républicains (LR) et l'UDI ont officiellement annoncé par communiqué qu'ils ne participeront pas à la prochaine équipe gouvernementale.

• Nouvelle loi spéciale

Plusieurs scénarios sont toutefois envisageables selon Claude Raynal. Le premier évoqué par le sénateur socialiste de Haute-Garonne serait l'adoption soit de la première partie du PLF, soit d'une loi spéciale avant la fin de l'année.

En partant du principe qu'aucun budget ne sera présenté et adopté en conseil des ministres avant le 13 ou le 14 octobre, "le délai de 70 jours laissé par l’article 47 de la Constitution à l’examen du texte par le Parlement, auquel s’ajoute un délai de huit jours pour l’examen par le Conseil constitutionnel, ne pourrait plus être respecté pour une promulgation de la loi de finances avant la fin de l’année", souligne en effet le parlementaire.

Dans ce cas de figure, deux options sont possibles:

La première est que le gouvernement est en mesure, "avant le 11 décembre, de demander à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, d'adopter la première partie de la loi de finances". C'est-à-dire les "conditions générales de l'équilibre financier". Autrement dit, cette partie a principalement trait aux recettes puisqu'elle autorise la perception des impôts existants, comme l'impôt sur le revenu ou le prélèvement forfaitaire unique (PFU, connu aussi sous le terme de 'flat tax'). La première partie du PLF comprend en effet l'ensemble des mesures fiscales qui ont un impact sur le budget de l'État pour l'année du PLF (2026 ici). Elle détermine aussi dans un "article d'équilibre", les conditions de l'équilibre général du budget.

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La seconde option envisageable par le gouvernement est de demander à l'Assemblée nationale et au Sénat d'adopter une loi spéciale, similaire à celle votée fin 2024 après la censure de Michel Barnier qui avait fait usage de l'article 49.3 de la Constitution. Ce texte permettrait alors "de percevoir les impôts dans les conditions actuelles et de poursuivre l'examen du texte en 2026", précise Claude Raynal. En clair, les impôts seraient prélevés sans tenir compte de l'évolution de l'inflation puisque la collecte serait effectuée à partir des dispositions prévues par la loi de finances pour 2025 (et non celle pour 2026 qui devra être examinée dès janvier).

• Dissolution de l'Assemblée nationale

Autre scénario anticipé par Claude Raynal, celui d'une dissolution de l'Assemblée nationale, "avant le dépôt d'une loi de finances ou pendant l'examen du projet de loi de finances".

D'abord, si Emmanuel Macron se résout à dissoudre l'Assemblée alors que les députés étudient le PLF et ses amendements, alors le texte "deviendrait caduc", affirme le président socialiste de la Commission des finances du Sénat. Cela signifie donc qu'un nouveau PLF devrait alors être déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale.

Le problème en cas de dissolution, c'est que "les délais nécessaires pour organiser de nouvelles élections et reconstituer l’Assemblée nationale seraient tels qu’ils ne permettraient probablement pas l’examen complet du texte avant la fin de l’année. Dès lors, le vote de la seule première partie, voire d’une loi spéciale limitée à la perception des impôts, s’imposerait", avertit Claude Raynal.

Une telle situation ne serait pour autant pas inédite. Le sénateur socialiste rappelle en effet la dissolution de l'Assemblée nationale décidée par le général de Gaulle en 1962 après la censure de Georges Pompidou, alors Premier ministre. Après les élections pour reconstituer le Palais Bourbon, "les deux assemblées avaient eu le temps de voter la première partie de la loi de finances avant le 31 décembre, avant d’examiner la seconde partie au début de 1963", souligne Claude Raynal.

Attention cependant à toute dissolution décidée trop tardivement par Emmanuel Macron. Car si l'Assemblée nationale n'est pas reconstituée avant le 19 décembre, alors ni une loi spéciale, ni la première partie du PLF ne pourraient être adoptée avant la fin de l'année.

• Application du projet de loi de finances par ordonnances

Le troisième scénario décliné par Claude Raynal semble à ce stade peu probable. Celui-ci anticipe un dépôt du projet de loi de finances dès la semaine prochaine, ce qui semble mal parti étant donné que ni les LR, ni l'UDI ne souhaitent prendre part au gouvernement à ce stade. Comme pour le poste de Premier ministre, peu de candidats risquent d'être motivés à intégrer le gouvernement Lecornu II.

Néanmoins, si l'on admet que le PLF est bien déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale dès la semaine prochaine, le président de la commission des finances du Sénat anticipe que le Parlement ne se prononcera pas sur le texte dans le délai imparti de 70 jours.

Si tel est le cas, alors, "sans que le gouvernement ait été démissionnaire et sans que l’Assemblée nationale ait été dissoute, les dispositions du projet de loi de finances peuvent être mises en application par ordonnances", développe-t-il.

Une telle situation, aussi peu probable, serait inédite. "Il pourrait alors se poser la question du texte retenu: projet de loi déposé par le gouvernement, sans modification, ou prise en compte de certains amendements adoptés ou déposés lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale ou au Sénat", détaille Claude Raynal.

• Et si le Parlement rejette le budget de l'État ?

Dernier scénario possible et un peu plus crédible que celui des ordonnances: le Parlement rejette la loi de finances, faute d'une majorité robuste en faveur du gouvernement. Ce scénario est d'autant plus possible que Sébastien Lecornu s'est engagé publiquement à ne pas recourir à l'article 49.3 de la Constitution pour faire passer en force le PLF avant la fin de l'année. Evidemment, cette hypothèse tient si le Premier ministre n'est pas censuré la semaine prochaine.

"Si le Parlement rejetait la loi de finances, par exemple par suite des rejets des conclusions de la CMP (commission mixte paritaire, NDLR) par l’Assemblée nationale, il serait très certainement impossible d’adopter un texte dans le délai de 70 jours", estime Claude Raynal.

"Une réunion de la CMP étant difficilement envisageable avant le 11 décembre, l’adoption d’une loi spéciale s’imposerait, avant le 25 décembre ou, comme en 1979, juste après le 25 décembre", développe le sénateur socialiste.

Mais le chemin reste encore périlleux. Car "après un échec de la CMP ou un rejet des conclusions de celle-ci, la navette pourrait se poursuivre par une nouvelle lecture dans les deux assemblées, voire une lecture définitive par l’Assemblée nationale, mais seules des modifications très limitées du texte pourraient être apportées à ce stade, ce qui réduit la probabilité d’une adoption", craint Claude Raynal.

Le gouvernement risque donc d'être contraint de présenter un nouveau PLF, dont l'adoption serait soumise aux règles de droit commun. "Si un accord n’était pas conclu pour permettre une adoption plus rapide que le délai de 70 jours, la loi de finances ne pourrait pas être promulguée avant le début du mois de mars 2026", insiste le sénateur socialiste qui indique que ce délai est "théorique".

"En pratique, les contraintes politiques (recherche d’un accord) et techniques (élaboration probable de nouvelles hypothèses macroéconomiques, modification des documents budgétaires et de certains articles du PLF, consultation du Conseil d’État et du HCFP, etc.) de préparation du projet de loi de finances nécessiteraient probablement un délai nettement supérieur", considère-t-il.

Qui plus est, le gouvernement ne pourrait, a priori pas compter sur le recours aux ordonnances pour sortir de l'impasse: "en utilisant l’expression 'ne s’est pas prononcé ' et non pas 'n’a pas adopté' dans le cas du recours aux ordonnances, la Constitution semble exclure le recours aux ordonnances lorsque le Parlement a rejeté la loi de finances en allant jusqu’au bout de la navette parlementaire", conclut Claude Raynal.

Caroline Robin