"Il y avait beaucoup de violences": la face cachée des foyers de l'enfance dans les Alpes-Maritimes

Une situation catastrophique. La cour régionale des comptes a récemment publié un rapport mettant en lumière une série de témoignages édifiants vis-à-vis de la gestion des foyers de l'enfance azuréens: peu de moyens, des turnovers constants ou encore des faits de maltraitance.
BFM Nice Côte d'Azur s'est penché sur la face cachée de ces foyers des Alpes-Maritimes. Alors que leur rôle est d'accueillir des mineurs en danger ou en difficulté, les jeunes y sont laissés seuls, à l'abandon entre quatre murs. Tout cela sous la responsabilité de l'aide sociale à l'enfance qui est gérée par le département des Alpes-Maritimes.
Une importante baisse des moyens octroyés
Entre 2018 et 2023, la cour des comptes note déjà une réduction de moitié du nombre de places d'accueil disponibles, passant de 226 à 115 places en cinq ans. Avec le plan de transformation, il ne restera que 107 places disponibles en 2028.
Le nombre de personnels aussi s'effrite: alors que 230 agents étaient en poste en 2018, ils devraient être moins de 200 en 2028. Une situation qui s'explique aussi par la diminution du nombre de sites à gérer. Il en existait auparavant 25, contre 9 aujourd'hui.
Face à ces chiffres, la cour régionale des comptes s'interroge et s'inquiète sur la capacité du département à protéger l'ensemble des mineurs vulnérables. D'autant plus qu'elle révèle en parallèle une augmentation du nombre "d'événements indésirables graves", c'est-à-dire des faits qui impactent fortement la sécurité, soit des biens, soit des personnes, mineurs ou personnels encadrants.
Cela concerne également les événements qui touchent gravement à l'organisation ou la gestion d'un établissement. Cela peut donc aller d'un simple bleu à une hospitalisation d'un mineur, par exemple.
En 2018, une vingtaine d'enfants ont été concernés par ces faits. En 2021, ils étaient 314, et 368 un an plus tard. Ainsi, en 2022, plus d'un événement grave par jour a eu lieu dans les foyers de l'enfance azuréens.
"Des enfants m'ont frappé"
Pour comprendre comment se manifestent ces failles de gestion dans les foyers, BFM Nice Côte d'Azur est allée à la rencontre de familles et de jeunes, qui ont vécu la situation en foyers de l'enfance de près.
Charly a été placé dans un foyer pendant quatre mois et demi. Auprès de sa mère Patricia, il a mis en évidence des dysfonctionnements au sein de l'établissement dans lequel il était encadré. Le jeune garçon est revenu du foyer avec des poux et un staphylocoque doré. Charly a également montré des traces de coups.
"Il y avait beaucoup de violences des adolescents, des éducateurs et même des enfants qui m'ont frappés", confie-t-il à BFM Nice Côte d'Azur.
"Les éducateurs m'accusaient, alors que je n'avais rien fait. Ils ne s'occupaient même pas des enfants, ou de moi." Sur des vidéos filmées au sein de son foyer, on voit Charly se faire frapper au milieu de plusieurs enfants, dans une chambre.
"J'avais plein de bleus aux yeux"
Elisabeth a vécu une expérience similaire. Arrivée d'Ukraine en 2023, cette adolescente a été placée en foyer, car sa mère n'a pas trouvé de travail en France et s'est retrouvée à la rue. Elle a vécu dans plusieurs foyers du département avant d'être aujourd'hui logée dans l'un des appartements gérés par les services de l'enfance des Alpes-Maritimes.
Elle raconte à BFM Nice Côte d'Azur avoir été victime de xénophobie de la part du personnel encadrant. Plusieurs éducateurs lui ont demandé de "retourner chez elle", en Ukraine, qu'elle était "bonne à rien" et "sans avenir".
En plus de cet non-accompagnement, elle dénonce également des actes de violences qu'elle a signalés à de multiples reprises aux éducateurs, en vain.
"J'avais plein de griffures sur les mains, le visage. J'avais plein de bleus aux yeux, les yeux gonflés", se rappelle-t-elle, vidéos à l'appui. "Ça, c'étaient les premières fois."
Elisabeth a été menée plusieurs fois à l'hôpital à la suite de ces violences physiques. Elle a porté plainte à deux reprises. En raison du manque de place en foyers, la jeune ukrainienne s'est retrouvée à nouveau au contact de son agresseur et a dû continuer à vivre à ses côtés.
Ces violences sont encore aujourd'hui le quotidien de Kenzi. Placé dans un foyer, il échange avec sa mère une fois par semaine et lui a raconté avoir été victime d'agressions et de viol. "Ils mettent le doigt dans le trou des fesses", explique-t-il dans un échange téléphonique avec sa mère enregistré par cette dernière
Des conditions de travail difficiles pour le personnel
Si des violences émergent de plus en plus au sein des foyers, le manque cruel d'encadrement est notamment en cause. Si en théorie dix éducateurs devraient agir dans le foyer de l'enfance, ils seraient dans la pratique plutôt deux à gérer tous les enfants placés.
En effet, les dix éducateurs se relaient durant une semaine, et travaillent sur des shifts différents, sans compter les éducateurs en formation ou bien malades. Au sein du métier, plusieurs éducateurs ne cachent pas que la perte de motivation se fait de plus en plus ressentir et que leurs conditions de travail se compliquent d'année en année, avec toujours plus d'enfants à gérer.
De son côté, le département des Alpes-Maritimes assure que le nombre d'éducateurs est suffisant pour la gestion des foyers azuréens. Il ajoute également mener régulièrement des formations régulières auprès des professionnels et des actions de sensibilisations auprès des enfants pour éviter toute sorte de violences.
La violence comme "seule moyen d'expression"
Confronté aux témoignages récoltés par BFM Nice Côte d'Azur, le département assure prendre les choses très au sérieux, mais admet qu'il est difficile pour la collectivité d'endiguer cette violence. La priorité est aujourd'hui de trouver des solutions.
"Nous mettons en place des systèmes de prévention, d'encadrement auprès des enfants et de nos personnels", répète Vanessa Lellouche, présidente des foyers de l'enfance des Alpes-Maritimes. "C'est 250 salariés qui s'occupent de 115 enfants au quotidien. Le ratio que nous avons est bon en soi."
"Par contre effectivement, étant donné que nous sommes un foyer de l'enfance d'urgence, nous arrivons à prendre en charge des enfants qui ont eu un parcours chaotique, des vies brisées. Et malheureusement pour beaucoup d'enfants, la violence est le seul moyen d'expression", tient-elle à préciser.
Et d'ajouter: "je comprends que cela soit extrêmement choquant, par contre cela arrive malheureusement dans tous les foyers, dans toutes les maisons. (...) J'aimerais vraiment qu'on arrive à endiguer ces violences pour nos enfants".
Vanessa Lellouche précise que des travaux sont en cours au sein des foyers azuréens, afin d'assurer de meilleures conditions d'accueil pour les enfants.