Carlos Ghosn n'y croyait pas: comment Luca de Meo a tenté le pari (risqué) de la R5 électrique

Après 5 ans à la tête de Renault, c'est l'heure du bilan pour Luca de Meo. Et c'est justement ce chiffre "5" qui restera certainement pendant longtemps associé à son passage à la tête du constructeur français avec la relance d'un modèle mythique: la R5.
Si c'est bien la Mégane e-tech qui a marqué le début de la "Renaulution", le grand plan stratégique lancé par Luca de Meo début 2021, le projet existait déjà avant l'arrivée du dirigeant italien. La Mégane serait en effet plutôt le "bébé" de Gilles le Borgne, arrivé quelques mois plus tôt, début 2020, pour diriger la R&D du constructeur français.
Un concept déterré du Technocentre
La Mégane eVision, le concept qui préfigure la future Mégane électrique est présenté le 15 octobre 2020 par Luca de Meo, qui a pris des fonctions de directeur général du groupe en juillet. Et c'est lors de ses premiers pas au sein du Technocentre de Guyancourt (Yvelines), où se dessinent les futurs modèles de Renault, que celui qui est passé par Fiat et Seat a un coup de cœur pour un concept un peu laissé à l'abandon.
Le concept Echo, "une maquette à taille réelle de couleur orange" inspiré de la R5 est ainsi présenté à l'Italien alors âgé de 53 ans comme un simple "exercice de style" laissé dans les cartons. "C'est juste le travail exploratoire d’un designer, François Leboine" (depuis parti chez Fiat), lui résume-t-on, raconte un article de L'Argus de mars 2024, qui avait pu approcher ce prototype.
Luca de Meo, au marketing chez Fiat au moment du lancement de la nouvelle 500 en 2007, modèle qui sauvera le constructeur italien, flaire tout le potentiel de cette renaissance. Si la Zoé a fait figure de pionnière de l'électrique pour la marque au losange, Carlos Ghosn se serait opposé à ressortir une R5 moderne. Son successeur y voit au contraire l'occasion d'en faire la tête de pont d'une stratégie résolument tournée vers la montée en puissance du zéro émission, avec un effet nostalgie pour embarquer les clients d'hier dans cette transition qui doit incarner l'avenir du losange.
Du concept à la réalité
Le 14 janvier 2021, le concept R5 est ainsi la cerise sur le gâteau de la "Renaulution". La présentation du prototype déchaine aussitôt une certaine passion, surtout quand son designer, Gilles Vidal, précise que le modèle de série reprendra 90 à 95% du concept.

C'est au salon de Genève, en février 2024, que Luca de Meo dévoile la version de série de la R5. On y retrouve bien les ingrédients qui faisaient le charme du concept, en particulier ce design rétro-futuriste qui propulse les codes stylistiques du modèle d'origine dans le présent et surtout l'avenir de Renault.

Un an plus tard, toujours au salon de Genève, la R5 reçoit le titre de voiture européenne de l'année. Un doublé pour Luca de Meo après le même trophée décroché l'année précédente par le nouveau Scénic, lui aussi désormais uniquement proposé en 100% électrique. C'est la première fois qu'une même marque remporte ce titre prestigieux deux années de suite depuis Fiat en 1995 et 1996, avec le doublé Punto et Bravo/Brava.
Des débuts commerciaux en fanfare
Le lancement commercial de la R5 était particulièrement attendu, plus de trois ans après la présentation du concept qui a été largement montré dans les campagnes de publicités présentant le futur électrique du constructeur.
Au-delà du design qui séduit, les premiers essais en octobre 2024 confirment les progrès par rapport à la Zoé, que ce soit dans les performances électriques et les équipements à bord.

Un bond dans la modernité qui semble trouver son public: sur la fin d'année, la R5 booste les ventes d'électriques chez Renault et prépare le terrain pour la R4, version plus familiale, et que vient de lancer Renault en cette fin de printemps 2025.
Le début d'année est aussi prometteur pour la petite R5: de janvier en avril en Europe, elle s'écoule à 22.610 exemplaires. De quoi rivaliser avec une Volkswagen ID.3, à un peu plus de 24.000 unités sur la même période, ou une Citroën ë-C3, à 16.343 unités.
Un pari du 100% électrique risqué
Mais, contrairement à sa concurrente aux chevrons, la nouvelle Renault 5 reste une voiture électrique assez chère: plus de 30.000 euros pour les premières versions commercialisées et 28.000 euros pour la version "autonomie urbaine" lancée début 2025. Un peu loin de l'objectif de démocratiser l'électrique pourtant affiché par Luca de Meo depuis la présentation du concept en 2021. A voir ce que donnera sur la nouvelle finition "Five" qui démarre désormais à 25.000 euros (hors bonus) avec un moteur moins puissant de 95 cheveaux et l'absence de charge rapide.

Surtout, le pari du 100% électrique apparaît risqué au moment où les ventes ont reculé l'an dernier en Europe et que le contexte reste compliqué depuis le début de l'année.
Dans ce contexte, une grande partie du public, fan du design de cette nouvelle R5, réclame des versions thermiques. Officiellement pas à l'ordre du jour avec une plateforme dédiée à l'électrique, là où Stellantis a plutôt misé sur du multi-énergies, à l'image de la Citroën C3, aussi proposée en versions essence et hybride.
Au-delà de son succès sur le marché de l'électrique, la R5 n'est pas non plus devenue le "best-seller" de Renault. Elle se classe ainsi 13e du marché (toutes motorisations confondues) sur le marché français du neuf de janvier à mai, avec 12.923 unités, loin derrière la Clio, première à 42.672 ventes et qui profite notamment du boom de l'hybride.
La R5 de Luca de Meo n'a donc pas encore confirmé toutes les attentes. Un modèle qui peut donc être vu à la fois aujourd'hui comme un héritage précieux lorsque ce "car guy" quittera ses fonctions le 15 juillet prochain, mais aussi comme le symbole d'une marche arrière enclenchée en Europe sur le tout électrique.