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"Lutter contre l'immigration clandestine": en Alsace, la justice suspend l'usage de drones militaires pour surveiller des routes

Le tribunal administratif de Strasbourg

Le tribunal administratif de Strasbourg - Google Street View

Le Bas-Rhin devait expérimenter pour deux semaines la surveillance de routes et l'enregistrement d'images par des drones militaires pour "lutter contre l'immigration clandestine". Cette mesure, contestée par plusieurs associations, a finalement été suspendue par le tribunal administratif.

La juge des référes du tribunal administratif de Strasbourg a ordonné, ce lundi 16 juin, de suspendre l'arrêté pris par le préfet du Bas-Rhin pour autoriser l'expérimentation pour deux semaines de la surveillance de routes et l'enregistrement d'images par des drones militaires pour "lutter contre l'immigration clandestine".

L'arrêté autorisait l'usage de ces drones du 12 au 26 juin, aux abords des autoroutes A4 et A355 et routes D132 et D1004. Une audience publique a eu lieu ce lundi, durant laquelle chacune des parties a pu exprimer ses arguments.

Une mesure très contestée

La juge des référés a estimé que "la mesure de surveillance par drones était disproportionnée et portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée". La mesure était contestée par plusieurs associations de défense des libertés fondamentales.

Un drone qui conjugue "endurance, furtivité et célérité indispensables aux unités blindées sur le champ de bataille". Tel est le descriptif fait par l'armée de Terre de l'eBee Vision, l'un des deux types de drones qui avaient été autorisés par le préfet Jacques Witkowski.

L'autre drone, le modèle Anafi USA de Parrot, permet de lire une plaque d'immatriculation à 130 mètres ou d'observer une personne à deux kilomètres de distance, selon le constructeur. Depuis ce jeudi 12 juin, ces appareils pouvaient être utilisés par les forces de sécurité pour surveiller les principaux axes routiers (A4 et A355, D132 et D1004) des arrondissements de Saverne et Molsheim.

Or ces deux arrondissements sont précisément les seuls du département à ne pas être frontaliers avec l'Allemagne, a souligné ce lundi 16 juin David Poinsignon, avocat de l'Association de défense des libertés constitutionnelles, du syndicat de la magistrature (SM) et du syndicat des avocats de France (SAF), lors de l'audience en référé au tribunal administratif de Strasbourg pour réclamer l'abrogation de l'arrêté.

100 km² potentiellement surveillés

"On nous dit que c'est pour surveiller les frontières, mais on ne surveille pas une frontière quand on se trouve à plus de 20 kilomètres", a souligné l'avocat, qui rappelle qu'outre les routes, la mesure autorise la surveillance des "abords", soit des villes et villages entiers, sur une surface potentiellement supérieure à "100 kilomètres carrés".

"C'est un arrêté qui porte gravement atteinte aux libertés fondamentales et notamment au droit à la vie privée", a-t-il estimé, dénonçant une mesure "très décalée par rapport aux objectifs poursuivis", qui n'est selon lui pas justifiée par "des circonstances particulières".

La préfecture ne précise pas dans l'arrêté si des événements récents, comme une éventuelle hausse locale des interpellations de personnes en situation irrégulière, imposent une telle mesure.

Elle indique simplement que cela doit permettre de "renforcer l'efficacité des contrôles frontières par des contrôles en profondeur", et assure que le recours à des drones est rendu nécessaire parce qu'il serait "matériellement impossible de prévenir le franchissement irrégulier de la frontière (...) sans disposer d'une vision aérienne dynamique permettant une visualisation grand angle".

Elle affirme qu'il n'existe "pas de dispositif moins intrusif permettant de parvenir aux mêmes fins".

Alors que l'arrêté préfectoral mentionne explicitement l'usage de "moyens 3D dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine", le représentant de la préfecture a certifié à l'audience qu'il "ne s'agit pas de prendre des photos ou de filmer en trois dimensions, les images sont en 2D". "C'est un dispositif en 3D parce qu'il combine des moyens terrestres et des moyens aériens", a-t-il affirmé, suscitant l'incrédulité de la salle.

"Implications vertigineuses"

Aux questions de la juge, Hélène Bronnenkant, sur l'utilisation éventuelle de logiciels de reconnaissance faciale, l'altitude de vol des drones ou la réalité de l'enregistrement de plaques d'immatriculation, le représentant de la préfecture n'a pas été en mesure de répondre.

Il a cependant assuré que la décision du préfet avait été prise "dans l'intérêt de la sécurité de nos concitoyens", et visait également à lutter contre "les marchandises de contrebande" et "le trafic de drogue", des éléments non mentionnés dans le texte de l'arrêté préfectoral.

"Vous faites une substitution des motifs?" justifiant la mesure, l'a alors interrogé la juge.

"C'est très léger, alors que les implications en termes de droits et libertés sont vertigineuses", s'est indigné David Poinsignon. "On met des moyens militaires pour de la surveillance civile, c'est particulièrement grave".

Arthus Vaillant avec AFP