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"Terminal" de Michou, "Kaizen" d'Inoxtag... L'avant-première au cinéma, passage obligé et pari gagnant pour les youtubeurs?

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Depuis un an, les créateurs de contenus sont de plus en plus nombreux à événementialiser la sortie de leurs vidéos Youtube en les diffusant en avant-première au cinéma. Entre démarche personnelle de youtubeurs et pari gagnant, aussi bien pour les vidéastes que les salles de cinéma ?

Les chiffres ont de quoi donner le tournis. 16 participants, 90 caméras, 48 heures de tournage en continu, un terrain de 50 hectares loués, 150 personnes mobilisées et un budget pharaonique. Ce n'est pas le prochain Hunger games. Mais bien le tournage de Terminal, la série du youtubeur Michou.

Le créateur, plus habitué aux vidéos gaming, a diffusé le dimanche 7 septembre le premier épisode de sa nouvelle superproduction. Dans cette série de quatre épisodes, diffusés tous les dimanches, 16 des créateurs de contenu les plus bankables de Youtube tentent de survivre dans un aéroport abandonné. Tous s'affrontent en équipe dans un jeu de traque. Pendant 48 heures, ils doivent se cacher, s’allier ou résister à la fatigue pour échapper à une brigade de chasseurs. A la fin, il ne devra en rester qu'un.

Pour l'occasion, le premier épisode a été projeté en avant-première, les 5 et 6 septembre dans plus de 500 salles à travers la France. Et le succès a été au rendez-vous. En 48 heures, le film a réalisé pas moins de 40.000 entrées.

Du grand écran pour tous les créateurs

"Il fait se déplacer les foules", observe pour Tech&Co Elisha Karmitz, directeur général de MK2. Le tout, "sur une semaine d'exploitation historiquement la plus faible à cause de la rentrée et dans un contexte de week-end du ZEvent."

Comme Michou, ces derniers mois, de plus en plus de vidéastes ont franchi le cap du cinéma. Inoxtag en est l'exemple le plus marquant. En septembre dernier, le youtubeur a présenté en avant-première son film Kaizen: un an pour gravir l'Everest, qui retrace son ascension du toit du monde.

Là encore, le succès est indéniable. Les places pour le documentaire, initialement distribué dans 300 salles, ont trouvé preneur en quelques minutes. L'ouverture de la billetterie avait même provoqué quelques difficultés techniques. Si bien que 200 autres exploitants se sont battus pour obtenir les 200 dernières séances. Le CNC accorde des visas d'exploitation exceptionnel pour uniquement 500 séances sur une durée maximum de deux jours d'une même semaine.

"Cela fait bien sept ans qu'on voit des avant-premières organisées par des créateurs de contenus au cinéma", observe Romain Cabrolier, directeur des partenariats chez Youtube, auprès de Tech&Co. "Cyprien en organisait déjà pour ses courts-métrages." Mais le phénomène s'est démocratisé.

Aujourd'hui, la pratique s'est démocratisée. les têtes d'affiches ne sont plus les seules à rêver d'écrans géants. Un phénomène qui n'a pas échappé à l'oeil de Youtube. En 2023, la plateforme a annoncé un partenariat avec MK2, le Youtube cinéma-club était né. Plusieurs fois par an, le label aide les vidéastes qui le souhaitent, petits ou grands, à organiser des projections de films "made in Youtube".

Une évolution des formats et des usages

En décembre, c'est le youtubeur Ludoc qui diffusait, également en avant-première, son documentaire. Baptisé Dans l'ombre de Ludoc, il retrace la traque d'un pédocriminel. Le film a été diffusé en séance unique dans deux salles du MK2 Bibliothèque, à Paris. En juin, c'est Sommeil de Plomb, le documentaire sur les limites planétaires des youtubeurs Antoine VS Science & Charlie Danger qui s'exportait au cinéma. De son côté, Average Rob s'est lancé dans une tournée, non pas des Zéniths, mais des cinémas avec son film The Toughest Race on Earth.

Pour les créateurs de contenus, ce changement d'échelle s'inscrit surtout dans une évolution des pratiques. Car au fil des années, les vidéos sur Youtube n'ont fait que s'allonger pour atteindre parfois l'heure, voir l'heure et demie. Des vidéos de plus en plus longues, donc, mais aussi plus produites.

"En dix ans, les créateurs de contenus se sont professionnalisés", note le représentant de Youtube. "Ils ont commencé dans leurs chambres. Maintenant, ils ont des équipes de production et créent des oeuvres de plus en plus ambitieuses." Parfois, ils empruntent même les codes de certaines émissions de télévision. Le cinéma apparaît donc comme la suite logique.

Le phénomène s’accompagne d’une transformation des habitudes chez les internautes. "Les usages du public, eux aussi ont évolué. Aujourd'hui, le premier écran pour regarder Youtube, c'est la télévision", ajoute-t-il. "Les jeunes aiment se rassembler pour regarder une vidéo ensemble, sur un grand écran, dans leur salon."

Sans surprise, le succès est donc au rendez-vous. "Il y a une vraie appétence du public", confirme Elisha Karmitz. "Dans un monde d'immédiateté, 24 heures d'avance sur la sortie d'une grosse vidéo Youtube, ça a beaucoup de valeur pour les fans." Les membres de ces communautés, souvent très engagées, se créent également un souvenir impérissable. "Ils vivent une émotion en commun."

Il n'y a qu'à voir le document d'Inoxtag. Au total, 340.000 places ont été vendues. Ce qui aurait pu être perçu comme un pari risqué, il est en effet possible de voir gratuitement la vidéo le lendemain, depuis son canapé - s'est transformé en raz de marée. "Lors de ces événements, il n'y a pas que la communauté du youtubeur. Les amis et même les parents accompagnent les fans. C'est un moment de rassemblement", observe Romain Cabrolier.

Pari doublement gagnant

Un pari doublement gagnant, donc. Pour les cinémas, c'est l'occasion de ramener les Français en salle, et notamment les jeunes. En effet, la consommation des vidéos Youtube a explosé. Les salles obscures, elles, connaissent des jours... plus sombres. Ainsi, avant le Covid, les 15/25 ans se rendaient au cinéma 6,6 fois par an. En sortie de pandémie, ce chiffre tombe à 4,4. "C'est significatif. Par contre, c'est la classe d'âge la plus représentée au cinéma", insiste Elisha Karmitz.

"Amener à l'écran des talents, portés par des communautés jeunes et engagées, et créer des événements, c'est une bonne tactique", assure le directeur général de MK2. "Il n'y a pas de meilleure manière de donner envie aux jeunes d'aller au cinéma."

Pour les youtubeurs, c'est l'accomplissement d'un rêve. "C'est un aboutissement de voir son travail sur grand écran", confirme la youtubeuse littéraire Jeannot se livre auprès de Tech&Co. En juin 2024, la créatrice a organisé, avec l'aide la SCAM, la projection de son documentaire A vif. "On sait qu'on nous regarde, mais les vues ne veulent pas dire grand chose. Faire salle comble, et voir des gens qui se sont déplacés pour toi, c'est différent. C'est une autre façon de rencontrer 'en physique' sa communauté."

D'après Romain Cabrolier, cette tendance répond à deux besoins. D'un côté, les youtubeurs cherchent à événementialiser leurs sorties de vidéos. De l'autre, ils espèrent mettre en valeur leurs productions. "Ils veulent mettre ce contenu dans un écrin. Et quel plus bel écrin que le cinéma pour offrir une expérience inédite sur l'image et le son", analyse le directeur des partenariats chez Youtube.

"Une ligne de revenu supplémentaire"

Mais ces projections exceptionnelles peuvent également aider les youtubeurs à rentrer dans leurs frais. Si une vidéo classique de Michou coûte entre oscille entre 30.000 et 40.000 euros, le budget de Terminal dépasse largement le million d'euros. "Je n’ai jamais fait un tournage aussi intense et cher", a reconnu le vidéaste sur NRJ.

Un budget en partie rentabilisé par les partenariats et le programme de monétisation sur Youtube. Mais également absorbé par les entrées au cinéma. "Les créateurs touchent une partie du box office. Ca crée une ligne de revenu supplémentaire dans la creator économie qui n’existait pas un an avant", confirme Romain Cabrolier.

Pour autant, "ces projets restent très chers", insiste Jeannot se livre. "Même les gros créateurs ne gagnent pas forcément d'argent en réalisant et en diffusant leurs documentaires. C'est surtout une démarche personnelle." Un avis partagé par Seb. Le youtubeur a réalisé plusieurs documentaires, parfois diffusés au cinéma ou sur TFX. "Dans l’esprit des gens, je suis riche. Mais avec un tel projet, je ne gagne pas d’argent", assurait-il au Monde en 2023. En revanche, ces youtubeurs gagnent indiscutablement des abonnés et surtout, de la notoriété.

Salomé Ferraris