"Tiktok c'est mon nouveau Youtube": sur Tiktok, les formats longs séduisent de plus en plus la Gen Z

"Les gens qui font des vidéos de plus de deux ou trois minutes: je vous aime", lance Chaa_pr, créatrice de contenus. "Personnellement, Tiktok est mon nouveau Youtube. Quand je fais la vaisselle, quand je vais pisser... J'aime bien avoir un fond sonore", poursuit la jeune femme, particulièrement enthousiaste.
L'anecdote peut faire sourire. Pourtant, Charlotte est loin d'être une exception. Ces dernières années, les utilisateurs "Gen Z", entre 15 et 30 ans, sont de plus en plus nombreux à se laisser séduire par des formats longs. Comprenez les vidéos de plus d'une minute (oui, tout est relatif).
Fatigue du format ultra-court
"Le public a mûri", observe Stéphanie Laporte, fondatrice de l'agence social média Otta à Tech&Co.
"Après les années confinement et le scroll à l'infini, il y a une fatigue du format ultra court. L'audience veut des contenus plus consistants et se connecter au créateur", poursuit-elle.
Résultat, en 2024, la durée de visionnage des vidéos longues était cinq fois supérieure à celle des vidéos plus courtes, rappelle Tiktok. Et selon une autre étude de Buffer, les vidéos de plus d’une minute affichent une durée de visionnage 63,8% et une portée 43,2% plus importante que celles de moins de 60 secondes.
Sur une séquence d’entre 5 et 10 secondes, le temps de visionnage moyen des utilisateurs est de 3,1 secondes. Ce dernier monte à 6.9 secondes pour les vidéos d’une longueur comprise entre 30 secondes et une minute.
Il n'y a qu'à regarder l'espace commentaire de la vidéo de Chaa_pr, visionné près de 20.000 fois, pour s'en rendre compte. "Omg pareil. Mes meilleures storytimes pendant la vaisselle", écrit une utilisatrice. "Actuellement en train de faire ma skincare sur ton titkok", ajoute une autre. "Tu résumes juste ma vie en fait", lance un dernier.
"Une habitude" pour la gen Z
C'est aussi le cas de Magalie. "Quand je vais faire la vaisselle ou que je me maquille, je cherche toujours un Tiktok long que je peux mettre en fond sonore", observe l'étudiante de 23 ans pour Tech&Co. "En général, c'est une storytime ou un vlog. Quelque-chose d'assez long pour que je n'ai pas à scroller toutes les 10 secondes, mais qui ne nécessite pas une attention folle. "
Pour Solène, 24 ans, c'est devenue une habitude. "Si je tombe sur une vidéo de plusieurs minutes, je la sauvegarde pour plus tard", sourit-elle, interrogée par Tech&Co. Pourtant, la graphiste l'admet: elle se considère comme une "enfant Youtube". "Quand j'étais ado, je regardais h24 Youtube. Quand je faisais mes devoirs, le ménage ou du sport: il y avait toujours une vidéo en fond sonore."
Mais depuis le Covid, la jeune femme s'est mise sur Tiktok. Une véritable révolution dans ses habitudes puisqu'elle délaisse peu à peu la plateforme de Google, plus adaptée à l'ordinateur pour les formats verticaux de l'application chinoise.
"Au début, je scrollais surtout quand j'attendais dans le bus ou dans mon lit. Mais avec l'arrivée des formats plus longs, je me suis rendue compte que Tiktok remplaçait petit à petit Youtube dans mon quotidien", note-elle.
"Les formats verticaux, c'est beaucoup plus pratique. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y pas de fond ou qu'on n'apprendre rien. Sur Tiktok, je peux aussi bien regarder un tutoriel, qu'une analyse de film ou des cours d'histoire", ajoute-t-elle.
A bientôt trente ans, Tom fait également partie des adeptes de ce type de contenus. Celui qui évolue dans la finance a même mis Tiktok... pendant son dîner. "J'étais tout seul. A la base, j'allais lancer une série sur Netflix mais en scrollant sur Tiktok, je suis tombé sur une histoire paranormale passionnante", relate le jeune homme de 29 ans. Il abandonne alors son projet soirée TV pour une soirée Tiktok. "Je sais que mes amis vont me juger. Mais c'est comme regarder une vidéo Youtube. Je ne vois pas le problème", glisse-t-il.
Chasser sur le terrain de Youtube
Alors Tiktok, nouveau roi du long format? C'est en tout cas ce que semblent montrer les chiffres. En effet, si l'application a fait triompher la vidéo courte, forçant Meta ou Youtube à lui emboîter le pas, elle décide depuis quelques années de miser sur les formats longs.
Dès 2017, Tiktok a autorisé ses utilisateurs à poster des contenus pouvant durer jusqu'à une minute, contre 15 secondes jusque-là. En 2021, la durée maximale a été augmentée à trois minutes. Elle est ensuite passée à 10 minutes, seulement un an plus tard. Avec un objectif: chasser sur les terres de Youtube, aussi bien du côté des spectateurs que des vidéastes.
"Tiktok n'a plus envie d'être l'application de danse pour les jeunes. Elle veut être la plateforme leader du divertissement vidéo et attaque Youtube sur son terrain", confirme Stéphanie Laporte.
"Elle veut voir les contenus longs être hebergés sur son application pour récupérer le temps d'attention des spectateurs et donc, les budgets publicitaires", ajoute l'experte. Pour ça, la plateforme n'hésite pas à encourager ses créateurs à rallonger leurs productions.
Plusieurs vidéastes ont confié à Tech&Co avoir reçu des recommandations sous forme de pop-up de la part de l'application les encourageant à miser sur le long format. "Les vidéos de haute qualité et de longue durée ont désormais plus de chances d’atteindre au moins 100.000 vues que les vidéos plus courtes", rappelle ainsi l'entreprise chinoise.
En parallèle, l'algorithme de l'application, bien que mystérieux, s'appuie sur le temps de visionnage d'une vidéo, plus que les commentaires ou les likes, pour la faire gagner en visibilité et la pousser dans le fil d'actualité des internautes. "Une vidéo de 10 min regardée à 50% va être plus valorisée par l'algorithme qu'une vidéo de 15 secondes regardée à 100%", note l'experte. Les vidéos longues sont également mieux monétisées.
Une stratégie d'audience
Un message reçu 5 sur 5 par les principaux intéressés. Les créateurs de contenus sont nombreux à vouloir miser sur les formats longs pour s'assurer de bonnes statistiques de vues, et donc, maximiser leur rémunération sur la plateforme.
Résultat, toutes les les storytimes, tutoriel recette, déballage de colis ou Get ready with me, ces formats ou l'influenceuse se prépare en direct, durent plus d'une minute. Ainsi, Zhanmaakeup, maquilleuse, est devenue célèbre pour ses "Get ready with me". Régulièrement, la jeune femme s'amuse à raconter ses mésaventure professionnelle, alors qu'elle se maquille face caméra.
Au programme, des clips avec des rappeurs, des anecdotes sur Aya Nakamura, des mariées exécrables, "cocu" ou encore sur les coiffeurs de stars. Avec succès. Certaines de ses vidéos cumulent plus d'1,5 millions de vues.
Certaines productions se découpent même en deux, trois, voire quatres parties. Avec, si possible, une fin haletante pour chaque vidéo, afin de donner envie aux internautes de regarder la suite. C'est ce que fait Helo, suivie par 750.000 abonnés. La jeune femme, consciente de ne pas avoir un stock de storytimes suffisant, s'est mise à raconter les anecdotes de ses abonnés. En général, les histoires sont fractionnées en trois, voire six vidéos, pour faire durer le suspens.
"Il faut faire comme les séries Netflix ou les livres. A la fin de chaque chapitre, tu balances une info folle qui donne envie de chercher la suite", conseille un influenceur, qui a souhaité rester anonyme.
"L'astuce ultime, c'est de mettre quelques jours à publier la suite. Comme ça les gens s'abonnent, commentent sous la première vidéo." A la fin de chaque vidéo, la jeune femme n'oublie jamais de sonder le spectateur. "Dites-moi si vous voulez une autre partie en commentaire", glisse-t-elle.
"Les statistiques disent le contraire"
Chaa_pr, elle, a aussi flairé le bon filon. La vidéaste a lancé un nouveau format "fond sonore". L'objectif? Proposer des contenus longs, façon storytime, pour ses abonnés qui aiment regarder Tiktok façon podcast, en faisant une autre activité en parallèle. Ses deux premières vidéos ont fait 33.000 et 77.000 vues.
"C'est presque une vidéo Youtube ou un podcast", plaisante-t-elle. "Même si certains en commentaire me reprochent de raconter ma vie, ou me disent qu'on s'en fiche, les statistiques disent le contraire."
D'autres malins vont encore plus loin. Certains internautes découpent des films, des séries ou des documentaires piratés illégalement en séquences de quelques minutes pour les diffuser en intégralité sur la plateforme.
Le week-end, lorsque Louis n'arrive pas à dormir, il admet passer de nombreuses heures sur son téléphone à regarder des films en plusieurs parties. Tous lui sont proposés de façon aléatoire sur son fil d'actualité. "Ca m'a permis de regarder plein de nouveaux films", lance-t-il.
Récemment, le cuisiner est tombé sur Neuilly sa mère, ou le drama coréen Mon démon. "Souvent, je tombe sur une vidéo au milieu de l'intrigue et je me laisse happer. J'ai directement envie de savoir pourquoi les personnages sont là, quels sont leurs liens... Et rapidement, c'est trop tard. Je commence à regarder tout le film."
Malgré leur format peu pratique, ces vidéos saucissonnées de comédies françaises, blockbusters américains ou de lives de Secret Story cartonnent. Les hashtags #movieclips sur Tiktok cumulent ainsi des millions de vues.... en toute illégalité puisque la diffusion de films, séries, documentaires ou émission sur Tiktok sans l'accord du titulaire reste illégale.