"Je lis un livre par semaine": sur Tiktok, ces influenceurs passionnent les internautes pour Maupassant ou Camus

Porté par des micro-communautés engagées et les influenceurs lecture, le hashtag "Booktok" sur Tiktok relance l'intérêt des jeunes utilisateurs pour les classiques de la littérature et la poésie. Un effet qui se répercute sur les ventes en libraire.

"La femme gelée, c'est un roman dans lequel nous découvrons le quotidien d'une femme qui fait ce que son mari et la société attendent d'elle. C'est une épouse idéale, une mère aimante et une enseignante qui veut être à la hauteur. Ce récit est glaçant, mais à la fois délivrant." Jeanne, plus connue sous le pseudo @lecafedeslettres sur Tiktok, présente à ses 57.000 abonnés son top 3 des romans d'Annie Ernaux. Au programme, La femme gelée, donc, L'autre fille et Passion simple. Trois romans de l'écrivaine française, peu connus du grand public.

Un succès sur le réseau social chinois. La vidéo cumule plus de 46.000 vues. En commentaires, les internautes sont enthousiastes. "Passion simple me tente trop!", écrit une abonnée. "J'ai seulement lu Mémoire de fille, mais ça me donne envie de lire toutes ses œuvres", ajoute une autre.

Lait et miel en tête des ventes

Sur Tiktok, l'effet Booktok n'est plus à prouver. Les 31 millions de recommandations de lectures en vidéo sur Tiktok, regroupées sous le hashtag #Booktok relancent de façon non-négligeable l'intérêt des jeunes utilisateurs pour les livres.

"L'effet Tiktok se fait avant tout ressentir sur la romance, et plus précisément sur le genre young adult", reconnaît Stéphanie Laporte, fondatrice de l'agence social media Otta. "Mais d'autres domaines, comme la poésie ou la littérature commencent à connaître le même succès sur l'application."

Il suffit de jeter un œil aux chiffres de vente. En 2023, 1,4 million d'ouvrages de poésie ont été vendus en France, soit une hausse de 33% par rapport à la pandémie de Covid-19 selon l'institut Gfk. Un bon gigantesque, en partie permis grâce à Tiktok.

En tête du classement, Lait et Miel de Rupi Kaur, sorti en 2014. Rien d'étonnant puisque l'ouvrage a connu une seconde jeunesse grâce à l’application Tiktok. Le hashtag #rupikaur cumule plus de 40.000 publications, dont la majorité sont des vidéos de recommandation de lecture.

De la même manière, les ventes des œuvres de Franz Kafka ont été multipliées par trois chez Folio. Un succès que l'en doit en partie à Tiktok puisque le kafkatok, la communauté sur l'application dédiée à l'auteur, a dépassé le milliard de vues.

Micro-communautés autour d'auteurs

C'est simple, sur le réseau social, la première phrase du roman La Métamorphose publié en 1915 par Franz Kafka est presque aussi connue que le refrain des chansons de Taylor Swift.

Sous mot-clé, on retrouve des fiches de lecture, des edits, ces fameux montages viraux qui mettent en avance la beauté et les écrits de l'auteur, ou encore des sessions lecture d'extraits de roman pour inciter les utilisateurs à se plonger dans ses écrits. Un filtre Tiktok mettant en scène un cafard qui danse a également été récupéré par la communauté.

Et Franz Kafka est loin d'être une exception. Fiodor Dostoïevski, Albert Camus ou encore Léon Tolstoï. De plus en plus d'auteurs classiques sont érigés en icône sur Tiktok par des groupes de fans. Toutes ces micro-communautés, particulièrement actives sur l'application, ont un seul objectif: populariser l'œuvre de leur auteur préféré auprès du plus grand nombre.

La communauté dédiée à Dostoïevski fait partie des plus influentes. Le hashtag dédié à l'écrivain russe a ainsi dépassé les 100.000 publications. Au programme: des vidéos dédiées à l'auteur de Crime et Châtiments? Des recommandations de lecture et des internautes qui théâtralisent une fausse dépression dans des mini saynètes. La chanson soviétique "Dark is the night" est ainsi devenue un hymne des conversations autour de l’œuvre de Dostoïevski. Le titre a dépassé la barre des 8 millions d’écoutes sur Spotify.

Une vidéo humoristique sur la difficulté à lire certains prénoms dans les livres de l'auteur a ainsi dépassée les 2,5 millions de vues. La publication d'un utilisateur qui se déguise en Dostoïevskiy et présente l'auteur de manière avantageuse a de son côté, dépassé les 700.000 vues.

Autant de vidéos virales qui boostent la popularité et les ventes des œuvres de l'écrivain auprès des jeunes utilisateurs de la plateforme. "J'ai découvert Dostoievski un peu par hasard, via les recommandations Tiktok", reconnaît Sophie, une internaute de 22 ans.

"Mais j'ai tout de suite accroché avec l'ambiance dans la communauté et, à force de voir des vidéos sur certains moments-clés des romans, je me suis plongée dans ses livres."

Depuis, l'étudiante en BTS comptabilité a acheté plus de cinq ouvrages de l'écrivain.

Le pouvoir des booktokeurs

En dehors de ces micro-communautés, des internautes partagent les critiques de leurs ouvrages sur le réseau. On les appelle les "booktokeurs". Le ton est spontané, décomplexé. Dans des vidéos tantôt drôles, tantôt émouvantes, mais toujours addictives, ces influenceurs littéraires partagent face caméra leurs coups de cœur et leurs déceptions. De Victor Hugo, à Maupassant en passant par Molière, Baudelaire ou Anne Franck: "Ces livres redeviennent incontournables aux yeux de la jeune génération grâce à Tiktok", souligne Stéphanie Laporte.

"Les créateurs de contenu romance restent plus nombreux", admet Ramsès, alias @ramses_parent sur Tiktok. "Mais les critiques de poésie et de littérature classique tendent à se démocratiser sur la plateforme. Chaque jour, je découvre un nouveau vidéaste qui met à l'honneur la littérature."

Il y a un an, le vidéaste se lance sur Tiktok avec un concept simple: sublimer des phrases du quotidien en les reliant à des citations littéraires. Chaque publication fonctionne sur le même modèle. Ramsès commence par: "il y a des gens qui disent", puis énonce une phrase de tous les jours, avant de montrer comment l'aurait dit un grand auteur. Par exemple: "Il y a des gens qui disent 'Je t'aime', alors que William Shakespeare a écrit 'Si je devais t'embrasser pour ensuite aller en enfer, je le ferai.

Le succès est immédiat. La vidéo dépasse les 755.000 vues. "Plus de 500 personnes se sont abonnées à mon profil en quelques minutes", sourit Ramses. Aujourd'hui, il s'adresse à une communauté de 62.000 personnes.

"Je lis un livre par semaine"

"Les poésies et les classiques sont souvent associés aux récitations ennuyeuses ou aux analyses de texte, sans même comprendre le sens de l'œuvre", fait remarquer le vidéaste. Résultat, "plus de deux tiers de mes abonnés lisent rarement de la littérature".

"L'objectif, c'est de partager ma passion de manière moins institutionnelle et de redonner le goût de lire à ma communauté", note-t-il. D'autant que "les réseaux sociaux offrent une opportunité incroyable, celle de s'adresser à une audience vaste, et donc, de rendre accessible la littérature et la poésie au plus grand nombre", poursuit Ramsès.

Sur son compte, l'étudiant en lettres modernes présente ainsi ses coups de cœur, propose des critiques littéraires et organise de temps en temps des quiz et des défis autour d'une œuvre classique ou d'un poème. Le tout, sous la forme de vidéos courtes, particulièrement appréciées par les jeunes utilisateurs. En parallèle, il organise des diffusions en direct pour débattre avec ses abonnés.

Mission réussie pour le jeune homme. "Je reçois des dizaines de messages d'abonnés qui me disent s'être remis à la lecture grâce à mon compte ou avoir acheté un roman en particulier à la suite de mes recommandations."

Et effectivement, sous les vidéos, les commentaires pleuvent. "Merci pour cette jolie présentation. Ça sera mon prochain achat", écrit un utilisateur. "J'avais abandonné la lecture. Maintenant, je lis un livre par semaine", ajoute un autre.

Salomé Ferraris