Tech&Co
TikTok

"Casser les a priori": sur Tiktok, ces jeunes dépoussièrent la musique classique

placeholder video
Compositeurs, orchestres et musiciens sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux, et notamment sur Tiktok. Avec un objectif: casser les a priori sur le classique et convertir un public plus jeune.

"Trop savante". "Démodée". "Trop élitiste". Les qualificatifs péjoratifs ne manquent pas lorsqu'il s'agit d'évoquer la musique classique. Alors depuis quelques années, le classique et l'opéra tentent par tous les moyens de moderniser leur image. Et cela passe par Tiktok, porte d'entrée vitale pour attirer les jeunes vers ce genre musical souvent délaissé.

Orchestres locaux, nationaux et jeunes artistes: tous publient activement sur les réseaux sociaux pour espérer attirer de jeunes auditeurs, à grand renfort de vidéos attrayantes, de tendances et d'humour. La preuve, plus de 500.000 publications utilisent le hashtag #ClassicalMusic. Et c'est sans compter les compositions de Mozart, Chopin ou encore Bach, régulièrement utilisées pour réaliser des tendances.

Du classique dans les playlists

"Les concerts de classique manquent de public, et surtout d'un public jeune", constate Esther Abrami, violoniste.

"Un jeune qui n'a jamais écouté de musique classique ne va pas se réveiller un matin et écouter du Beethoven. Pour casser leurs a priori sur le classique, il faut aller les chercher là où ils sont, et donc, sur les réseaux sociaux", insiste-t-elle.

C'est pendant ses années au prestigieux Royal College of Music (Royaume-Uni) que son envie de démocratiser la musique classique naît. "Lors des représentations, il faut toujours suivre un protocole. On ne peut pas rigoler ou parler au public pour lui présenter une œuvre", déplore la musicienne de 27 ans. Alors, elle décide se lancer sur les réseaux sociaux.

Sur Tiktok, elle partage ses séances de travail dans le train, ses répétitions, et tente de faire deviner à ses abonnés le nom d'un morceau. "C'est ma façon de les convaincre d'ajouter du classique à leurs playlists Spotify ou Deezer", plaisante-t-elle.

Une industrie conservatrice

Rapidement, l'engouement prend. "Je ne m'y attendais pas", sourit celle qui a commencé le violon à trois ans. "J'ai gagné beaucoup d'abonnés" et "formé une véritable communauté autour de la musique".

"Au fur et à mesure, je peux réaliser des vidéos moins accessibles, car j'ai gagné leur écoute. Ils se créent une véritable culture musicale", soutient Esther Abrami. La violoniste alterne entre des vidéos d'un morceau de classique iconique, souvent joué dans des pubs, à une publication autour de compositions de niche, comme celles des compositrices Amy Beach et Angela Morley. "Bien qu'ils n'aient jamais entendu ces morceaux, ça les passionne."

L'artiste aixoise est aujourd'hui suivie par plus de 330.000 abonnés sur Instagram, et plus de 422.000 sur Tiktok. Certaines de ses vidéos dépassent les 5 millions de vues. Pourtant, son succès sur les plateformes n'était pas écrit d'avance.

"Le classique, c'est une industrie conservatrice. Quand je me suis lancée sur les plateformes, j'ai reçu beaucoup de critiques et de jugements", se souvient la violoniste. "Mais les mentalités commencent à changer. De plus en plus de musiciens et d'institutions se lancent sur les réseaux sociaux."

C'est par exemple le cas de l'Opéra Orchestre National de Montpellier Occitanie, de l'Opéra de Lille et de son homologue à Dijon. Et l'ensemble des acteurs interrogés ont le même objectif: dépoussiérer ce genre musical, souvent ignoré.

Convaincre une cible plus jeune

Désacraliser la musique classique et l'opéra, c'est le travail de Fréderic Désaphi, responsable de la communication numérique de l'Orchestre de Paris.

"Tiktok permet de nous présenter différemment, de manière moins institutionnelle et donc, de convaincre un nouveau public, plus jeune", analyse-t-il.

Et par "nous", il pense à la chargée de communication numérique, une personne déployée principalement sur Tiktok. Un profil qu'ils ont spécifiquement voulu "jeune", "un peu geek" et qui "connaissait bien la plateforme". Alors pour mettre toutes les chances de son côté, l'institution n'hésite pas à jouer avec les codes de l'application.

"Nous publions plusieurs fois par semaine, en partageant des contenus très variés pour susciter l'intérêt des utilisateurs", observe Maëva, chargée de communication numérique.

"Parfois des contenus pédagogiques, d'autres des vidéos comiques ou qui suscitent l'étonnement." Les contenus sur Tiktok de l'Opéra de Paris vont de ce musicien qui présente un archet à 100.000 euros à des "BMP Challenges à la clarinette" en passant par des conseils pour les jeunes mélomanes.

L'entreprise a conscience d'interagir avec des jeunes sur Tiktok. Elle demande donc aux benjamins de l'orchestre de passer devant la caméra. "Il a fallu en convaincre certains", admet Frédéric Désaphi. "Mais c'est plus efficace. Les jeunes s'identifient plus facilement à des musiciens de leur âge."

Une portée d'entrée vers les concerts

Et le succès est au rendez-vous. "Dans les commentaires, il y a beaucoup de questions et de débats", s'enthousiasme le responsable de la communication numérique de l'Orchestre de Paris. Et bien que Frédéric Désaphi "ne cherche pas à faire le buzz", il se réjouit des vidéos qui dépassent les "50.000 voire 270.000 vues".

Un premier pas vers le classique, qui se concrétise dans les salles de concert.

"Une fois qu'ils ont aimé une de mes vidéos, l'algorithme leur en propose d'autres du même style. Ils vont ensuite sur Spotify et poussent même la porte de mes concerts", remarque Esther Abrami.

Pour preuve, sa représentation salle Gaveau le 24 janvier dernier à Paris où la violoniste a enchaîné les adaptations des tubes de la série The Witcher ou des films comme Hunger Games ou Les Choristes. "Il y avait des spectateurs de tous les âges", lance-t-elle. Une première, pour la majorité des jeunes présents dans la salle.

Salomé Ferraris