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"C'est une boîte noire": les réserves d'Hugo Décrypte sur Tiktok après son audition à l'Assemblée nationale

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La commission Tiktok de l'Assemblée nationale a auditionné mardi 3 juin Hugo Travers, alias Hugo Décrypte. Le vidéaste est revenu sur l'algorithme "opaque" de la plateforme, les risques de désinformation et même sur l'interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans.

Des influenceurs à l'Assemblée. "On arrive à un moment important", expliquait le député Arthur Delaporte, président de la commission d’enquête sur les effets psychologiques de Tiktok sur les mineurs, il y a bientôt une semaine. Et effectivement, après avoir auditionné plus de 80 personnes, c’est désormais la dernière ligne droite.

Dans le cadre de ces travaux, huit influenceurs vont être auditionnés à l’Assemblée nationale. Concrètement, quatre créateurs de contenus qui représentent le côté vertueux de l’influenceur sur Tiktok et quatre vidéastes plus controversés vont être entendus.

Algorithme opaque et désinformartion

Ce mardi 3 juin, c’est Hugo Décrypte, l’une des principales sources d'information pour les plus jeunes, qui ouvre le bal. Sur ses réseaux sociaux, il partage les actualités quotidiennes, avec, à de plus rares occasions, des formats longs.

"Je suis venue à l'Assemblée nationale pour apporter mon regard sur Tiktok dans le cadre de cette commission", raconte Hugo Décrypte à Tech&Co. "La question de la santé mentale des jeunes sur les réseaux sociaux, c'est un vrai sujet", confirme-t-il.

Au programme de cette audition? Les dessous de l'algorithme de l'application, les mécaniques de rémunération, comment (bien) informer sur les réseaux ou encore la désinformation et la modération sur la plateforme.

Et le créateur, suivi par 7,1 millions d'abonnés sur Tiktok est catégorique: l’algorithme de la plateforme de vidéos courtes reste opaque, même pour les créateurs de contenus eux-mêmes. "C’est une boîte noire", confirme Hugo Travers (le vrai nom d'Hugo Decrypte, NDLR) aux députés de la commission. "Tiktok repose sur la pertinence d'un contenu vis-à-vis d’un public", observe-t-il. "Avec mon équipe, on essaye de comprendre, on teste des choses. (...) Mais on a le sentiment que l’algorithme met en avant les contenus vus pendant un certain temps, et jusqu’au bout si possible."

Avec un avantage: une personne qui vient de créer son compte peut, du jour au lendemain, gagner des millions de vues. "C’est intéressant pour le public, mais ça peut engendrer tout un tas de risques", observe-t-il. Ainsi, un contenu dangereux, s’il est particulièrement vu, peut être mis en avant par la plateforme auprès d'un parfois très jeune. Avec le risque, donc, d'enfermer les internautes dans un flot de contenus homogènes et répétitifs, parfois très nocifs pour la santé mentale. Ou encore de mettre en avant les fausses informations.

"Il y a un sujet très clair de risque de fausses informations sur les réseaux sociaux", alerte le vidéaste. "Notamment le risque que des personnes, soit dans un objectif politique, soit d'enrichissement personnel, automatisent la diffusion de certaines fausses informations."

Défendre le "droit à l'information"

Le créateur de contenus a ainsi observé plusieurs comptes reprendre les codes des médias ou des créateurs pour diffuser des fake news. "Ils prennent un mélange de déclarations passées et les combinent avec le mauvais contexte pour donner un semblant de véracité", ajoute-t-il. Certains n'hésitent pas à reprendre la voix d'Hugo Décrypte pour promouvoir des fausses informations, ou à repartager de vieilles vidéos du média, parfois plusieurs mois après.

"Typiquement, une vidéo du reconfinement s'est vue rediffusée au mois de janvier. Elle a fait des millions de vues", précise le vidéaste. "Il a fallu préciser en commentaire que ça n'était pas récent."

En dehors de la viralité des contenus, les politiques de modération de l'algorithme sont elles aussi particulièrement floues. "On n'a pas de règles précises. On sait que certains sujets, jugés plus sensibles par Tiktok, ne seront pas mis en avant. Il y a des mots-clés, comme la cigarette, qui peuvent être signalés automatiquement par l'algorithme et entraînent une suppression ou une invisibilisation du contenu", regrette Hugo Décrypte.

Une difficulté de taille lorsque le jeune homme tente d'informer sur Tiktok. Ainsi, le mot "cigarette" peut entraîner une suppression de contenus. Lors de lives lors de la manifestation contre la réforme des retraites, la fumée des fumigènes a entraîné une suppression du direct.

"On comprend qu'il y ait un enjeu de modération (...) mais de notre côté, c'est compliqué. Ça peut vite poser un problème de droit à l'information", insiste-t-il. "Il n'y a pas de censure politique. On a pu traiter des conflits dans le monde ou des sujets liés en Chine aux Ouïghours. Mais dès qu'il y a des sujets sensibles ou violents, on a le sentiment qu'une modération automatique s'applique."

"Se détourner d'un sujet plus large"

Malgré tout, Hugo Décrypte ne se montre pas forcément favorable à la labellisation de certains médias sur les plateformes. "Je suis assez réticent à catégoriser les créateurs de contenus. J'ai du mal à savoir sur quels critères se baser pour la certification, et qui les déciderait. Il y a des risques de dérives."

Même constat concernant l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. "Je ne pas super à l'aise avec l'idée", reconnaît le vidéaste, en admettant avoir quelques doutes.

"J'ai le sentiment que ça serait se détourner d'un sujet plus large. La question de la santé mentale et de la désinformation, ce n'est pas que chez les jeunes", rappelle-t-il. "Je ne sais pas si techniquement c'est envisageable. Et, même si demain on trouve un système qui fonctionne, je me demande s'il n'y a pas un risque que les personnes aillent sur d'autres plateformes."

En effet, cette mesure se heurte à de nombreux obstacles. À ce jour, aucune solution entièrement satisfaisante pour vérifier simplement et efficacement l’âge des internautes n’a été trouvée. En parallèle, le gouvernement ne peut pas imposer ses règles sans l'aval de la Commission Européenne. Dans les faits, le France peut uniquement réguler des plateformes installées en France ou n'ayant pas de siège social dans l'Union européenne. Impossible, dans ce contexte, de venir contraindre Tiktok, installé à Dublin.

Monsieur le Chat, vulgarisateur scientifique et enseignant, et Grande Bavardeuse ont également été auditionnés par les députés de la commission d’enquête Tiktok à l’Assemblée nationale. Si le premier reconnaît que Tiktok "stimule la curioisté des élèves", le professeur pointe tout de même plusieurs effets négatifs, comme le "manque d'empathie" ou les "troubles du sommeil".

Il faudra en revanche attendre le 10 juin pour voir l'influenceur controversé AD Laurent, le couple issu de la téléréalité Julien et Manon Tanti ainsi que la star de Snapchat Nasdas être entendus par la commission d'enquête sur les effets psychologiques de Tiktok sur les mineurs.

Salomé Ferraris