Tech&Co
Réseaux sociaux

"Un vivier de talents": les influenceurs commencent à se faire une place au cinéma

placeholder video
Longtemps réfractaire à l'idée d'inviter les stars d'internet sur les plateaux, le monde du cinéma se défait doucement de ses préjugés. Avec un objectif: réussir à attirer la jeune génération dans les salles obscures.

"Tu veux être la meilleure? Alors prouve-le", lance Stanislas. Dans Rapide, Max, une jeune adolescente de 17 ans est passionnée par la vitesse et les sports mécaniques. Elle rêve de devenir championne de Formule 1. Et, alors, qu'elle se heurte aux barrières d'un univers dominé par les hommes, elle rencontre Stanislas, un ancien pilote excentrique de F1 qui va l'aider à réaliser ses objectifs.

L'interprète de ce nouveau thriller, qui sort ce 16 avril au cinéma, est loin d'être une inconnue pour la nouvelle génération. En effet, l'héroïne du film est interprétée par Paola Locatelli, une créatrice de contenus suivie par 1,9 million d'abonnés sur Instagram.

"J’ai toujours voulu être actrice. Même dans une autre vie, j’aurais essayé de faire du théâtre ou du cinéma", retrace la star d'internet de 21 ans pour Oniriq.

Car Paola Locatelli est loin d'en être à son coup d'essai. Elle est également apparue dans les Liaisons Dangereuses et la série Jusqu'ici tout va bien. La jeune femme est loin d'être une exception. Comme elle, de nombreux influenceurs passent du tout petit écran des smartphones au très grand écran d'Hollywood.

Ainsi, Jérôme Niel est apparu dans Fumer fait tousser de Quentin Dupieux (2022), Just Riad incarnait le héro dans A la belle étoile (Sébastien Tulard, 2023) et Théodore joue le frère du personnage principal dans Sage-homme (Jennifer Devoldère, 2023). l'an dernier, le vidéaste Florent Bernard est même passé derrière la caméra pour réaliser Nous les Leroy, avec José Garcia, Charlotte Gainsbourg et toute une flopée d'influenceurs au casting.

Rajeunir l'audience

"Depuis une quinzaine d'années, les influenceurs sont de plus en plus nombreux à se faire une place dans l'industrie", note Jonathan Condessa, planeur stratégique à l'agence OTTA. Il faut dire que la communauté, souvent très jeune et très engagée des stars du net, aiguise l'appétit des studios et des réalisateurs.

"En misant sur des créateurs de contenus, l'industrie du septième art espère rajeunir son audience", analyse l'expert. "Elle vise plus particulièrement, le public 'internet', qui délaisse les écrans de cinéma pour se tourner vers celui de leurs smartphones ou les plateformes de streaming."

Le milieu du cinéma n'a donc pas longtemps hésité à utiliser ces influenceurs pour faire la promotion de films ou de cérémonies. Pour preuve, le Festival de Cannes accueille depuis plusieurs années des hordes d'influenceurs sur la croisette. Le but? Créer du contenu à destination de leur communauté et promouvoir les films sur leurs réseaux sociaux.

Cette année, les Oscars et les César sont allés encore plus loin. Les deux cérémonies ont en effet été animées par Lena Situations. Pour autant, les créateurs de contenus n'ont pas tout de suite été considérés comme des potentiels acteurs ou réalisateurs. Plutôt comme des panneaux publicitaires particulièrement efficaces.

"Un milieu très fermé"

"C'est un milieu très fermé, qui fonctionne en vase clos", rappelle Jonathan Condessa. "Pendant longtemps, les réalisateurs étaient réfractaires à l'arrivée des youtubeurs sur les plateaux."

L'échec de Pas très normales activités (2013) et du Manoir (2017) a fermé beaucoup de portes aux influenceurs. Le premier, avec Norman Thavaud, enregistre 153.000 entrées. Le second, qui met en scène Kemar, Natoo ou encore Jérôme Niel ne dépasse pas les 220.000 entrées. Pire, les critiques sont assassines. Sur Allociné, les longs-métrages récoltent respectivement les notes d'1,5 et 2 étoiles sur cinq.

"Quand j'ai joué dans Apaches, il y a trois ans, j'ai senti beaucoup d'incompréhension de la part des gens du milieu", observe Antton Racca, vidéaste aux 2 millions d'abonnés sur Youtube et presque 6 millions sur Tiktok, interrogé par Tech&Co. Le jeune homme fait partie des premiers influenceurs à avoir joué dans un film. Depuis une dizaine d'années, il crée des courts-métrages sur ses différentes plateformes, et partage l'actualité du monde du cinéma.

C'est justement en faisait une opération rémunérée pour la promotion du Dernier voyage qu'Antton Racca s'est fait repérer par Romain Quirot, le réalisateur. "J'y suis allé au culot", sourit-il. "J'ai proposé au réalisateur de faire la promotion de son prochain film en échange d'un rôle dedans. Et il a accepté."

Les préjugés tendent à disparaître

"On m'a très bien accueilli sur le plateau. Mais c'est vrai qu'il y avait un peu de préjugé vis-à-vis des réseaux sociaux", regrette-t-il. "A l'époque, les influenceurs étaient uniquement contactés pour faire la promotion."

Depuis, les préjugés tendent à disparaître. "Il a fallu du temps pour que le milieu du cinéma se rende compte de ce que les créateurs étaient capables", glisse pour Tech&Co Solène Juredieu, directrice du pôle développement client au sein de l'agence Reech. "Mais les mentalités ont évolué." Les collectifs d'humoristes comme Golden Moustache ou Studio Bagel, qui ont beaucoup collaboré avec la télévision et le cinéma, ont ouvert la voie des plateaux à toute une ribambelle d'influenceurs.

"L'idée que les créateurs doivent rester sur internet et que leur notoriété n'a pas d'impact sur le monde du cinéma n'est plus d'actualité", insiste Antton Racca. "Pour faire un film avec des têtes d'affiches qui attirent les jeunes, le cinéma est obligé de se tourner vers les réseaux", ajoute celui qui estime que la présence d'influenceurs au casting "s'est démocratisée".

Pour autant, pas question de faire n'importe quoi et de sélectionner les créateurs sur la simple base de leur notoriété. "Les réalisateurs ne vont pas prendre un vidéaste gaming pour le mettre dans un film. Ils choisissent des influenceurs comédiens." Et sur les plateformes, le choix ne manque pas.

"Un vivier de talents émergents"

"Les réseaux sociaux sont un vivier de talents émergents", confirme Solène Juredieu. "Pour les réalisateurs, c'est un levier non négligeable pour dénicher des pépites."

En effet, de nombreux créateurs s'essayent, de manière très artisanale, au court métrage et aux sketchs sur Tiktok, ou encore Youtube et Instagram. Résultat, ils apprennent à se débrouiller, à jouer et surtout, engagent une audience importante. C'est le cas d'Antton Racca qui, avant d'avoir joué dans Apaches, a notamment signé un court-métrage de deux fois trois minutes, autoproduit pour 5.000 euros.

Réalisateurs et distributeurs se montrent donc plus ouverts. Et ça fonctionne. "Les films avec des vidéastes ne sont pas encore en compétition officielle, mais d'un point de vue artistique, les lignes bougent", conclut Jonathan Condessa. Pour preuve, les films produits par des youtubeurs sont plutôt bien accueillis par la critique. Nous les Leroy s'est classé 4e au box-office lors de la semaine de sa sortie, et a gagné le Grand prix du festival de l'Alp d'Huez.

Même constat pour Bref 2, la série de Kyan Khojandi. Mister V, Seb, Maghla ou encore Djilsi ont fait des apparitions dans le show. Le youtubeur Carlito a même obtenu un rôle secondaire dans la série. "Il nous a beaucoup surpris. C'est un acteur de grande qualité", expliquait alors Kyan Khojandi lors de l'avant-première.

Salomé Ferraris