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"Le stand-up, c'est la suite logique": quand la nouvelle génération d'humoristes mise sur les réseaux sociaux pour lancer leur carrière

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De plus en plus de jeunes humoristes se lancent sur Tiktok et Instagram. Leur objectif? Se faire un nom sur le marché de l'humour et lancer leur future carrière. Une stratégie qui porte ses fruits.

"Sixtine, Edgar, Domitille, Augustin, on y va là. La natation nous attend", lance d'un air mi-hautain, mi-exaspéré Mariappymeal, dans une de ses vidéos Tiktok. "J'ai pris le panier de la Réunion, tu te souviens Léopold quand on marchait sur le sable noir à notre voyage de noce?".

Pendant plus d'une minute, Maria Moreno, son vrai nom, imite un de ses personnages préférés: la maman, la "daronne", comme elle aime l'appeler. Cette fois-ci, la jeune femme a enfilé son tailleur bleu pour jouer la mère un peu bourgeoise. "On attend quoi? Le bon dieu? Va me chercher la paillasse dans le chalet", poursuit son personnage. Sa vidéo cumule plus de 2,2 millions de vues.

Mais la "daronne" n'est pas le seul personnage du catalogue de l'humoriste. L'enfant du milieu, la "gamine chiante", l'adolescente aigrie, la sœur du milieu... La créatrice de contenus, suivie par 1,8 million d'abonnés sur Tiktok, aime varier les rôles dans ses sketchs, au gré de ses envies.

Lancer sa future carrière

Depuis deux ans, la jeune femme partage ses anecdotes, mais sous la forme de petits sketchs. Elle s'amuse à modifier sa voix, enfile quelques accessoires et le tour est joué.

"Je me suis vite prise au jeu des réseaux sociaux", sourit-elle, auprès de Tech&Co. "En général, je m'inspire de mon quotidien et de ce que je vois (...) En général, les gens se reconnaissent dans ces vidéos, ou alors ça leur rappelle leurs proches. C'est ça qui fonctionne."

Effectivement, le succès est au rendez-vous. Ses publications dépassent régulièrement les 500.000 vues.

Mais Maria Moreno est loin d'être une exception. Depuis quelques années, la vidéo virale a remplacé le traditionnel passage télévisé pour se faire un nom sur le marché de l'humour. De plus en plus de jeunes humoristes tentent donc l'aventure des réseaux sociaux. Tous ont le même objectif en tête: buzzer sur les plateformes pour lancer leur future carrière sur scène.

C'est notamment le cas Guillaume de Saint Sernin, 26 ans, et Louis Klein, 32 ans. Les deux compères se sont rencontrés par hasard lors d'un mariage. Pour l'occasion, Guillaume réalise un rapide sketch inspiré du Palmashow. "J'avais besoin d'un comédien avec un accent un peu bourgeois /Versaillais pour un sketch. Quand j'ai vu son sketch, je lui ai directement proposé et il a accepté", relate Louis Klein à Tech&Co. Depuis, le duo multiplie les projets en commun.

Les réseaux sociaux comme portfolio

Ils tentent d'abord de réaliser des grosses fictions. Mais "ça ne menait à rien. On était personne", rebondit Guillaume de Saint Sernin . Changement à 360° pour les deux amis, qui décident alors de proposer des "sketchs à la con" sur Instagram. En septembre 2022, c'est déjà le premier succès. Une rapide scène sur les "murs porteurs" fait décoller la chaîne des deux humoristes. ConconTV cumule aujourd'hui 126.000 abonnés sur Instagram.

"Il fallait convertir l'essai. On était à fond, presque obnubilés par le compte", se rappelle Guillaume Klein. Ils partagent alors plusieurs vidéos sur des anecdotes de la vie quotidienne ou sur l'utilisation des réseaux sociaux. Mais toujours sous forme de sketchs "les plus absurdes possibles."

Le Dry january, les secret santa au travail, les influenceurs qui partagent leurs plats en story. Autant de contenus qui rencontrent leur public. Ces vidéos cumulent parfois plus de 6 millions de vues.

"L'idée, ce n'est pas de devenir influenceur et de vivre des collaborations", insiste Louis, qui précise "ne pas vivre d'Instagram". "On voit les réseaux sociaux comme un portfolio pour nous faire connaître du public et des professionnels. C'est notre outil de travail."

"Le stand-up, c'est un peu la suite logique"

Le duo ambitionne à terme de se tourner vers le milieu du cinéma, et de tourner ou réaliser des comédies. "Si demain, tu toques à la porte d'un média avec une idée de format vidéo, tu es bien plus écouté avec un compte Instagram de 150.000 abonnés. C'est un gage de confiance et d'expérience", ajoute Guillaume de Saint Sernin. Les deux amis espèrent ainsi être contactés par d'autres professionnels grâce à leur nouvelle popularité.

C'est justement sur les conseils d'un ancien réalisateur que Guillaume Genou a commencé sur les plateformes. "Cet ami m'a dit: 'si tu veux vivre de ta passion, tu dois miser sur les réseaux sociaux", détaille à Tech&Co celui qui rêve d'être réalisateur. Un pari réussi puisqu'il gagne 190.000 abonnés en un mois. Depuis, l'humoriste partage des sketchs toutes les semaines à ses 832.000 abonnés sur Tiktok.

Lorsqu'on le questionne sur son univers, le comédien le qualifie, avec ironie, "d'exceptionnel". Mais le jeune homme de 26 ans tire surtout son inspiration des chaînes d'humour populaires en 2010, comme Studio Bagel ou Golden Moustache.

"Je reprends un peu l'âme du Studio Bagel d'antan", souligne l'humoriste de 26 ans. En misant sur l'absurde et le comique de situation, je remplis un besoin sur le marché de l'humour qui a longtemps été délaissé." Avec toujours un objectif en tête: monter un jour sur les planches.

À force de vidéos promotionnelles et de travail, Maria reconnaît qu’elle pourrait simplement vivre de son métier d’influenceuse, ce qui n'est pas le cas de tous ses pairs. Pour autant, la comédienne voit davantage les réseaux sociaux comme tremplin pour sa carrière d'humoriste. "Le stand-up, c'est un peu la suite logique", résume-t-elle.

"Du plus loin dont je me souvienne, j'ai toujours voulu être comédienne ou humoriste. J'ai envie de monter sur scène et d'entendre les rires du public. Bien sûr, j'ai des commentaires et des messages de ma communauté. Mais personne ne rigole en face de moi lorsque je tourne la vidéo. Ce n'est pas pareil", déplore l'humoriste.

Un rêve qui va devenir réalité. La jeune femme écrit son "seule en scène" depuis quelques mois déjà. Même son de cloche pour Diane Segard. La jeune femme s'est fait connaître en incarnant plusieurs personnages sur les réseaux sociaux. De ces contenus, l'humoriste suivie par 849.000 abonnes a créé Parades, un spectacle qu'elle emmène en tournée.

"L'algorithme est assez ingrat"

Mais le parcours avant de monter sur les planches est parfois semé d'embûches. "Ce n'est pas toujours facile de se faire une place dans l'humour quand on est une femme, surtout sur les réseaux sociaux", témoigne Maria. "Je recevais beaucoup de commentaires négatifs. Mais aujourd'hui, les gens se sont habitués." La vidéaste a toutefois été obligée de bloquer plusieurs mots dans les commentaires.

Autre difficulté, les créateurs sont souvent dépendants des modifications qu’apportent régulièrement les plateformes à leur algorithme de recommandation. "L'algorithme est assez ingrat", peste Louis Klein. "Des fois, une vidéo va cartonner et du jour au lendemain, plus rien. C'est assez frustrant."

"Il faut réussir à s'adapter aux codes de la plateforme sans dénaturer notre style", confirme son compère.

"Ce qui fonctionne le mieux, ce sont les sketchs sur les relations hommes/femmes ou l'humour de gêne", avance Guillaume Genou. "Chacun a son univers qui lui est propre et tente de l'adapter aux réseaux sociaux pour capter l'intérêt du public."

Mais depuis quelques mois, la nouvelle génération d'humoristes fait face à une nouvelle concurrence: celle des humoristes plus installés. Paul Mirabel, Redouane Bougheraba ou encore Blandine Lehout: les humoristes plus installés misent désormais sur Tiktok pour maintenir leur notoriété et remplir leurs salles.

Vidéo ou spectacle, il faut choisir

Une stratégie marketing qui s'accompagne d'un dilemme pour tous ces comédiens: faut-il partager son sketch sur les réseaux ou le garder pour la scène? Car si une bonne vidéo peut générer beaucoup d’audience sur les réseaux et attirer le public en salle, il est alors inutilisable en spectacle.

De son côté, Maria réfléchit déjà à la manière de concilier audience sur les réseaux sociaux et présence scénique.

"Si mon public a déjà vu tous mes sketchs sur Tiktok, c'est l'angoisse", souffle ainsi Maria. "Un spectacle, ça demande beaucoup d'inspiration. Il ne faut pas que ça tourne en rond ou que ça soit redondant."

"Lorsque je jouerai mon spectacle, je continuerai à publier sur les réseaux sociaux, mais je partagerai d'autres formats", assure-t-elle. L'humoriste envisage par exemple de créer des comédies sous forme de courts-métrages.

Salomé Ferraris