Michou, Mister V, FastGoodCuisine... ce que cachent les burgers et pizzas des influenceurs

"Ça y est, c'est là. Ça fait un an que j'ai ce projet en tête", lance le youtubeur Michou dans sa story Instagram. Ce grand projet, c'est Mealy, le premier fast-food ouvert par le créateur de contenu aux 9,7 millions d'abonnés, ce 8 juin à Amiens.
Au programme, une carte composée de 10 burgers et sandwichs aux "saveurs venues des 4 coins du monde", des cookies, des frites, des sundaes... Le tout, certifié made in France. Sur le papier, la promesse fait rêver. Pourtant, l'annonce de l'ouverture du restaurant a aiguisé les tensions sur X, anciennement Twitter.
"Gants en cuisine, pas de protèges barbes, les hottes avec du gras visible, la plaque dans un sale état alors que le restau vient juste d'ouvrir... Ça a l'air TELLEMENT CATASTROPHIQUE niveau hygiène", écrit un internaute dans une publication vue 3,3 millions de fois.
"C'est devenu une trend (tendance, ndlr) d'ouvrir des restaurants de burger, je comprends pas là?", s'interroge un autre. Car Michou est loin d'être une exception. Les vidéastes sont de plus en plus nombreux à se diversifier, et à proposer une offre de restauration.
Ainsi, Amixem propose depuis un mois Starsmash dans une cinquantaine de villes et Valouzz a lancé son enseigne de burgers en septembre 2023. Il y a quelques années Fast Good Cuisine, Mister V ou encore IbraTv ont également tenté l'aventure.
Rien d'étonnant pour Bernard Boutboul, directeur du cabinet Gira et spécialiste du monde de la restauration. "Gérard Depardieu, Carole Bouquet,.. Depuis des années, des stars du show-business profitent de leur notoriété et montent des restaurants", analyse-t-il. Les influenceurs s'inscrivent donc dans cette continuité.
Les dark kitchens, la recette du succès
Dès 2021, les amateurs de street food et de livraison à domicile auront sûrement remarqué sur les applications de livraison l'arrivée de Pepe Chicken, l'enseigne de poulet de Charles Gilles-Compagnon, alias FastGoodCuisine.
Si le poulet frit s'affiche sur Uber Eats et Deliveroo sous toutes ses formes, du wrap au burger en passant par les incontournables tenders, c'est une simple devanture blanche et rouge qui attend le curieux, au 78 rue de la Croix Nivert (15e), adresse du restaurant en question. A l’intérieur, pas une table, pas un client, pas de déco tape-à-l’œil pour appâter le passant.
Et pour cause: l'enseigne du youtubeur FastGoodCuisine est une dark kitchen, une cuisine exclusivement dédiée à la livraison à domicile. Avec un avantage de taille: la dark kitchen n'a pas besoin d'un emplacement stratégique, simplement d'un petit local. En moyenne, l'investissement est 6 à 10 fois moins cher que celui d'un restaurant classique.
Le créateur de contenu s'est ainsi associé à Taster, leader européen de marques de restaurants virtuels. Le principe de la société est simple: centraliser plusieurs franchises dans une seule et même dark kitchen. Ici, les employés sont formés en quelques jours et appliquent les mêmes processus de production pour toutes les enseignes. Les frites et autres pains à burger sont donc fabriqués au même endroit, et vendus au consommateur sous des logos et marques différentes.
Des ressemblances frappantes
"Le truc avec les dark kitchens, c'est qu'en fait il y a un gros fournisseur, qui fait des propositions et après, tu peux un peu élaborer ta recette. Mais moi, je trouve que ça se voit de ouf", tranche Louis, youtubeur suivi par 388.000 abonnés. Le créateur de contenu, qui a lui aussi ouvert son restaurant de sushis, a décidé de tester différents restaurants d'influenceurs dans une vidéo du 24 mai dernier.
Dans son périple, le jeune homme décide ainsi de tester Pepe Chicken, mais aussi Starsmash, le restaurant de burger d'Amixem. Et, lors de sa dégustation, un détail l'interpelle. Les waffle fries, les pains, mais surtout les emballages des deux enseignes, se ressemblent comme deux gouttes d'eau.
"C'est exactement les mêmes emballages", réagit Louis. "C'est le même pain, on peut échanger (entre les deux burgers de Starsmash et Pepe Chicken, ndlr), il n'y a aucune différence", s'étonne-t-il.
Surprise qui n'en est pas vraiment une: Amixem et FastGoodCuisine se sont tous deux associés à Taster pour lancer leur restaurant. D'où les nombreuses ressemblances.
Outre les similitudes entre les produits qui risquent de décevoir les consommateurs en quête d'authenticité et de petits plats faits maison, les dark kitchen sont également critiquées pour leur modèle "déshumanisé". Ce système ferait également de l'ombre à la restauration traditionnelle et aux commerçants de proximité.
"Ce que l’on reproche aux dark kitchens c’est d’abord de ne pas être transparentes, tout est fait pour leurrer le client et lui faire croire qu’il a affaire à un restaurant", observe Xavier Vankerrebrouck, blogueur culinaire, dans un article de l'ADN.
"Nous craignons aussi une uniformisation des goûts, car les mêmes ingrédients se retrouvent dans toutes les marques d’une entreprise. Enfin, c’est un modèle (...) qui entérine l’exploitation des livreurs des plateformes", poursuit-il.
Un dispositif controversé, pas toujours assumé par les influenceurs très suivi. Ces derniers préfèrent rester flous sur le fonctionnement des établissements ou leurs liens avec Taster. Ils préfèrent miser sur le storytelling.
Dans sa vidéo d'annonce de Starsmash, Amixem se garde bien mentionner que ses produits sont fabriqués par Taster. L'entreprise elle même ne mentionne pas le restaurant du youtubeur sur son site. Seule publication Linkedin du fondateur de taster confirme la collaboration. En revanche, l'accent est mis sur sa passion pour l'espace, qui lui aurait inspiré le concept.
"Les restaurants sont uniquement en livraison. (...) Ca permet plus facilement d'ouvrir des restaurants dans des villes et puis, avec le covid, c'est délicat d'ouvrir des restaurants physiques", se défend de son côté FastGoodCuisine dans une vidéo fin 2021. Là encore, aucune mention de Taster. Plutôt une jolie histoire, en hommage au grand-père du créateur de contenus.
En juin 2023, le youtubeur est revenu sur le concept de dark kitchen. "Le modèle des dark kitchens représente une solution à mon objectif de faire goûter ma cuisine au plus grand nombre. Nous voulions aussi permettre aux abonnés de poursuivre l'expérience digitale et de leur donner la possibilité de se faire livrer un menu Pepe Chicken en 20 minutes après la visualisation de mes vidéos", a ainsi réagi Charles Gilles-Compagnon dans une interview accordée à emarketing.
Mission réussie. Selon Anton Soulier, ancien PDG de Taster, Pepe Chicken est distribué dans près de 70 points de vente en France et en Belgique. "En moins de deux ans, Pepe Chicken est devenu l'une des marques les plus commandées sur les plateformes de livraison", se félicite-t-il.
Malgré les promesses d'économie de coûts et l'indéniable succès de Pepe Chicken, les dark kitchens restent un pari risqué pour Bernard Boutboul. "La livraison ne représente que 9% de l'offre de restauration en France, ça n'a pas encore décollé", souligne l'expert. "Résultat, les dark kitchens ferment les unes après les autres. Ce n'est pas un modèle viable", martèle-t-il. Le président de Gira conseille donc aux influenceurs, de miser sur la restauration physique.
Les restaurants physiques ont la cote
Un enseignement que semble suivre l'influenceur IbraTV, connu pour ses caméras cachées et ses vidéos de combat. Un des pionniers de l'aventure des restaurants "made in influenceur", Ie vidéaste a lancé en 2018 Black and White Burger, une chaîne de burgers, donc.
Depuis, l'établissement a bien grandi et s'est exportée en France et à l'étranger via des franchises, un modèle qui permet à des entrepreneurs de se lancer avec le soutien d'un réseau et la notoriété d'une marque. Les résultats sont au rendez-vous. Une trentaine d'établissements en France et en Belgique, plus de 200 employés rien que sur le sol français, un chiffre d'affaires qui dépasse les 12 millions d'euros en 2021... Les chiffres de Black Cheddar, la société de restaurants d'IbraTV donnent le tournis.
Une success story qui en a motivé plus d'un à lancer leur établissement. En septembre dernier, le youtubeur Vallouz a ainsi installé sa cuisine de burger à Paris, boulevard de la Bastille. Plus récemment, en février, le créateur de contenu Zack Nani a ouvert la Kazdalerie, une enseigne de sandwiches dans le 10e arrondissement de la capitale.
Mister V en marque blanche
Un autre créateur de contenu qui peut se targuer d'un succès fulgurant, c'est Mister V. Il y a deux ans, en partenariat avec Universal Music, la maison de disques du vidéaste, les distributeurs commercialisaient sur leurs linéaires deux modèles de pizza surgelée de la marque Delamama, inspirés par un sketch du vidéaste humoriste.
Selon les chiffres du panéliste Nielsen IQ, la "pizza Delamama" a ainsi fait son entrée dans le classement des meilleurs lancements de produits de grande consommation de 2022. La gamme a généré un chiffre d'affaires de 1,4 million d'euros dans les trois premiers mois qui ont suivi sa sortie. L'engouement est tel, que le touche-à-tout grenoblois s'est fait approché par KFC. Jusqu'au 15 juin, les aficionados de poulet frit peuvent ainsi retrouver trois recettes, dont une végétarienne, des "Burgers Delamama".
Pourtant, un détail dans cette réussite française a de quoi intriguer. Deux ans avant le lancement des pizzas Delamama, un autre musicien sortait lui aussi Margherita et autres 4 fromages. En effet dès 2020, Capital Bra, un rappeur allemand d'origine russe qui cartonne en outre-Rhin, se lançait sur le terrain du surgelé avec les pizzas Gangstarella.
Le design des boîtes de pizza du rappeur ressemble comme deux gouttes d'eau à celui des produits de Mister V. L'égérie du produit est dessiné au centre de la boite, dans un style graphique proche, les couleurs sont les mêmes, et les bordures, composées d'une multitude de carrés colorés, également.

Les pizzas Delamama comme celles de Gangstarella sont donc en réalité sous marque blanche par l'entreprise allemande Freiberger, implantée dans 30 pays. Le point commun des deux pizzas étant le contrat avec Universal Music.
Mais en-dehors des bons résultats de FastGoodCuisine, MisterV et IbraTV, difficile de mesurer le succès de ces nouveaux établissements, à peine sortis de terre. Bernard Boutboul, lui, reste sceptique concernant le futur de ces restaurants.
"La notoriété et les paillettes ne suffisent pas", insiste l'expert. "Si l'influence aide à lancer un établissement, les clients ne reviennent pas si c'est mal servi, qu'il y a un manque d'hygiène ou que les plats ne sont pas bons."
La preuve, la majorité des restaurants ouverts par des stars du petit et grand écran ont finit par couler. Et les restaurants d'influenceurs semblent suivre une trajectoire similaire. En 2017, Julien Tanti (8 millions d'abonnés sur Instagram) s'attaque à la restauration avec la Pizza des Fratés à Marseille. Sur Tripadvisor, les avis sont unanimes.
"Je n'ai jamais goûté une pizza aussi degueu.. aspect caoutchouteux... et le prix on en parle!!! Je vous déconseille fortement", écrit un consommateur.
Trois ans plus tard, les boîtes à pizza à l’effigie de l'influenceur disparaissent, faute de succès auprès des gourmets de la cité phocéenne.