Emeutes, selfies et gardes du corps: comment les youtubeurs gèrent l'engouement (parfois incontrôlable) de leurs fans?

Les sourires enjoués ont laissé place aux sourcils froncés. Depuis le 8 septembre, les streamers Byilhan et Nico marchent tous les jours pour rejoindre Paris, depuis Montpellier. Lors du ZEvent, le marathon caritatif de ZeratoR qui a récolté 16 millions d’euros pour des associations, les deux créateurs de contenus se sont lancés un défi: parcourir plus de 870 kilomètres à pied.
Labubu sur le sac, bob vissés sur la tête et bâtons de marche à la main, le duo parcourt entre 30 et 50 kilomètres par jour. Le tout, pour le plus grand plaisir de leurs communautés aux millions d’abonnés qui suivent leur épopée en direct sur Twitch, 24 heures sur 24. "Ce live, ça fait un mois que je le prépare", lance Byilhan. "Faire Montpellier-Paris en stream, ça demande de la préparation. (...) ça m'a coûté ultra cher."
Les "2be3" de 2025
Sauf que l’influenceur avait oublié un (léger) détail… sa popularité. Alors que le duo déambule au bord des routes, leurs abonnés n’hésitent pas à les accoster. Dans le Gard ou la Drôme, leur venue crée des attroupements. Des fans, souvent jeunes, déboulent pour leur réclamer un selfie ou une dédicace. Et certains n’hésitent pas à se mettre en danger.
Des abonnés ont été arrêtés par la police ou ont terminé dans le fossé pour une simple photo. D’autres s'amusent à jeter des œufs, des bombes à eau ou encore des bouteilles sur les deux streamers.
Le cas de Byilhan et Nico est loin d’être isolé. Le 13 septembre dernier, l’enseigne de fast-food asiatique Krousty Sabaïdi avait annoncé sur les réseaux sociaux la distribution gratuite de 1.000 plats en présence de l’influenceur Fares Salvatore, suivi par près de 500.000 abonnés sur Instagram. Un combo explosif qui a incité 3.000 fans à se déplacer. L'événement a vite tourné à l’émeute, nécessitant l’intervention des forces de l’ordre.
"Il y a dix ans, on pouvait déjà observer les prémices de ces mouvements de foule", observe pour nous Solène Juredieu, directrice du pôle développement client au sein de l'agence Reech. "Certaines youtubeuses beauté organisaient de façon assez spontanée des meet-up avec leurs abonnés, sans toujours imaginer l’ampleur de l’engouement que cela pouvait susciter."
Depuis, la popularité des créateurs de contenus a explosé. A force de flouter la frontière entre vies privée et publique, les stars du web ont créé une relation de proximité avec leurs fans, qui ont l’impression de les connaître intimement. Cet attachement forcément à sens unique se traduit par ce que les sociologues appellent "les relations parasociales".
"Les plateformes comme Youtube ou Twitch sont plus populaires que la télévision chez les jeunes", nous confie Stéphanie Laporte, fondatrice de l'agence social média Otta. "Les mouvements que l’on peut observer autour des influenceurs aujourd’hui, ce sont exactement les mêmes que ceux autour de boys band, comme les 2be3, il y a vingt ans."
Des dispositifs de sécurité d'envergure...
Au point d'en arriver aux mains pour obtenir un selfie ou effleurer leurs créateurs de contenus préférés. En décembre dernier, la star de Snapchat, Nasdas a rameuté des centaines de fans lors d’un événement promotionnel à Bordeaux. Plusieurs fans ont tenté de forcer l’entrée, d'autres se sont allongés sur la route. Rapidement, la situation a dégénéré. Des bagarres ont éclaté et plusieurs jeunes ont été blessés.
"Les vidéastes ne peuvent plus sous-estimer la taille des événements qu’ils organisent”, insiste l’experte. "L'écosystème s'est professionnalisé", complète Solène Juredieu. "Contrairement à il y a dix ans, les créateurs sont accompagnés par des agents chargés de développer leur carrière et d'assurer leur sécurité."
Marques et agents de vidéastes alignent donc les zéros pour garantir la sécurité de leurs abonnés, et gérer cet engouement parfois sans limites. L'agence Reech où travaille Solène Juredieu a par exemple organisé plusieurs séquences de dédicaces avec Inoxtag dans des centres commerciaux Carmila, à l'occasion de la sortie de sa bande-dessinée. Un dispositif avait alors été mis en place, en étroite collaboration avec l'équipe du youtubeur, pour accueillir les milliers de jeunes attendus.
"Avant sa venue, chaque centre a dû prévenir toutes ses équipes de sécurité. Pendant des semaines, nous avons multiplié les réunions, prévu l'installation de barrières, créé des parcours pour gérer les flux... Parfois, la police est venue encadrer la foule à l'extérieur", se remémore Solène Juredieu. Dans certains cas, l'agence a fait partir plusieurs voitures au même moment pour éviter que l'influenceur ne soit repéré. "On peut en arriver là", sourit l'experte. "Certaines personnes sont prêtes à tout pour l’apercevoir de près, ce qui peut devenir dangereux pour tous." Un dispositif digne d'un vrai James Bond.
... qui n'empêchent pas quelques couacs
Des dispositifs impressionnants... mais pas toujours efficaces. "Malgré les annonces de dernière minute, les fans arrivent à se mobiliser (...) Et même lorsque les événements sont sur inscription, ils viennent spontanément", note Stéphanie Laporte.
C'est ce qu'il s'est passé avec HMI, en décembre dernier. La star de Snapchat a organisé une série de distributions de cadeaux dans plusieurs villes françaises et à Bruxelles. Montant total des gains: 100.000 euros. Mais face aux débordements ayant eu lieu lors des précédents appels à Lille et Bruxelles, la préfecture du Rhône avait décidé d’interdire le rassemblement, en raison de "risques de troubles à l’ordre public".
Pourtant, la star de Snapchat a soigneusement évité d'annoncer l'événement en avance. La date, le lieu et l'heure ont été communiqués quelques secondes seulement avant la distribution. "Je m'attendais à voir 30 personnes devant moi. Je ne me rendais pas vraiment compte de la puissance des réseaux sociaux", reconnaît auprès de Tech&Co l'influenceur qui n'avait pas pensé à prévenir la préfecture.
Le créateur de contenus est catégorique: à l'avenir, il réservera des salles pour "mettre la sécurité au coeur de ses prochains concepts". Ainsi, pour le Clash, son événement où les candidats de la HMI House s'affrontent à la Seine musicale ce samedi, "un agent de sécurité est prévu pour 5 personnes présentes". "HMI Tour, on ne le reverra jamais. Mais d'autres concepts similaires dans des salles de concerts, ou des comedy-clubs, pourquoi pas", annonce-t-il.
"Je suis tombé sur deux fans dans mon salon"
Même en dehors des événements, la popularité éclaire de ces stars du net reste difficile à gérer. Ils sont nombreux à faire alpaguer dans la rue ou sur leur lieu de travail. Par exemple, à Webedia, où les vidéastes sont nombreux à travailler, les enfants se massent devant les locaux. Chaque mercredi, "il y a des dizaines d'enfants qui espèrent apercevoir Inoxtag ou Michou, c'est l'enfer", soulignait un salarié auprès de Tech&Co en janvier dernier.
Certains fans vont encore plus loin. Quelques malins s'amusent à "stream snip" les influenceurs. Le terme, barbare en apparence, désigne les abonnés qui traquent sur Twitch la position de leurs stars pour les retrouver. Un phénomène venu des Etats-Unis, qui commence à arriver en France. Dans certains cas extrêmes, une simple photo de fenêtre partagée en story ou un panneau au loin dans un vlog permettent à des individus mal intentionnés de repérer le domicile des créateurs de contenus.
C'est ce qui est arrivé à HMI. Lors d'un tournage en Thaïlande, un abonné a réussi à se rendre sur l'île où se trouvait le créateur de contenus. "Il avait analysé les reliefs de l'île sur mes snaps et il l'a retrouvé sur Google Maps", s'amuse-t-il.
"Des abonnés sont déjà venus toquer chez moi à quatre heures du matin", reconnaît HMI. "Un jour, en rentrant, je suis tombé sur deux fans dans mon salon (...) Ils avaient retrouvé mon adresse en regardant une de mes stories où on voyait une de mes fenêtres." Un peu surpris, le vidéaste prend le temps de "manger un bout avec eux" et de prendre quelques photos. L'influenceur fait tout de même un choix radical, mais logique, en déménageant dans une résidence plus sécurisée.
Gardes du corps, déménagement et vitres teintées
Comme HMI, les créateurs de contenus prennent donc leurs précautions. "Les influenceurs sont obligés de partager certaines stories en différée ou de faire attention à ce qu'ils montrent dans leurs décors et leurs vidéos pour éviter les mouvements de foule autour de leur lieux de travail ou leurs domiciles", alerte Stéphanie Laporte.
Dans leur vie privée ou sur un événement, beaucoup se déplacent avec un agent, chargé de leur sécurité, ou plusieurs gardes du corps. Amixem, en sortie au parc Astérix la semaine dernière, a pu compter sur le soutien de son garde du corps pour éviter de se faire alpaguer à chaque croisement d'attractions.
De son côté, Mastu avait expliqué avoir été harcelé chez lui en 2022 par plusieurs abonnés. Des jeunes s'étaient amusés à le suivre jusqu'à son domicile. Le vidéaste s'était vu contraint de vivre les volets fermés pour éviter d'être repéré. De l'autre côté de l'Atlantique, le youtubeur numéro un MrBeast a fait le choix de teinter les vitres de sa voiture, après avoir été suivi pendant trois longues minutes par un abonné. "Ce n'est pas comme s'ils m'avaient reconnu lors d'un événement. Ils m'ont reconnu à travers ma fenêtre", insiste-t-il, auprès de Dexerto.
La majorité des abonnés "stalkent" leurs stars du net pour obtenir un selfie, trésor tant convoité par la Gen Z. "Quand tu fais entre 50 et 400 photos en une après-midi, tu as envie de te reposer. Donc parfois, il faut leur expliquer. Mais ça reste de l'amour. Ce sont des gens qui me soutiennent, c'est grâce à eux que j'en suis là aujourd'hui", tempère HMI.
Mais le "stream snip" n'a pas échappé à l'oeil d'individus mal intentionnés. Ces dernières années, les vidéastes sont de plus en plus nombreux à être la cible de cambriolages. Dernier exemple avec Inoxtag. En novembre 2024, le youtubeur a révélé avoir été victime de deux cambriolages à quelques mois d'intervalles dont l’un d’eux dans l'ancien domicile de ses parents. Là encore, une seule solution: installer des caméras et embaucher un garde du corps.