Terminal, de Michou, Kaizen, d'Inoxtag, A vif, de Jeannot se livre: comment les youtubeurs financent leurs (super) productions

"Tu penses que Michou sera là?" Vendredi 5 septembre au MK2 bibliothèque, impossible d'échapper à l'euphorie générale de la horde de fans devant le cinéma parisien. Tous sont là pour assister à l'avant-première de Terminal, le premier épisode de la série du youtubeur Michou.
Dans ces quatres épisodes dignes d'une production hollywoodienne, seize des créateurs de contenus les plus suivis sur Youtube s'affrontent en duo dans une chasse à l'homme grandeur nature. Tous ont un objectif: être la dernière équipe à avoir échappé aux balles de mystérieux tireurs.
Des budgets colossaux
Pour ce projet un peu fou, le créateur de contenus aux 10,6 millions d'abonnés a vu les choses en grand. Le premier épisode a été diffusé en avant-première en séance unique dans près de 500 cinémas. Au total, plus de 40.000 fans se sont pressés dans les salles obscures pour visionner la production, pourtant disponible sur Youtube le lendemain.
Si comme Michou, les créateurs de contenus sont de plus en plus nombreux à produire des vidéos dignes du grand écran, le parcours est loin d'être tout tracé. Il faut embaucher des équipes, louer les lieux de tournage, passer des heures sur le montage, sans oublier le marketing et la communication, voire la diffusion au cinéma dans certains cas. Autant de frais qui s'ajoutent un à un à la facture, elle aussi gigantesque.
Les budgets ont effectivement de quoi donner le tournis. Michou a déboursé pas moins d'un million d'euros pour les quatre épisodes de Terminal. Un montant ventilé entre les 90 caméras, l'équipe de 150 personnes ou le terrain de 50 hectares loué pour 48 heures de tournage en continu.
Pour son projet Stop the train, Squeezie a investi pas moins de 700.000 euros, dans ce qu'il qualifie de vidéo "la plus chère de l'histoire de Youtube en France". Inoxtag, qui a diffusé son documentaire Kaizen: un an pour gravir l'Everest en septembre 2024, estime le coût de son projet entre 600.000 et 1,2 million d'euros.
Aux Etats-Unis, les vidéos sensationnelles de MrBeast explosent les scores. Elles coûtent en moyenne entre 3 et 4 millions de dollars. Le youtubeur le plus suivi au monde a également investi 100 millions de dollars pour produire les Beast Games, sa téléréalité controversée.
Une "barrière à l'entrée"
Pour tenter de financer ces coûts qui s'additionnent parfois plus vite que les vues sur une vidéo, les créateurs peuvent compter sur le soutien du Centre national du cinéma (CNC) et de la Société civile des auteurs multimédia (Scam). Le premier a un fonds dédié aux créateurs vidéo depuis 2017. Il est consacré aux projets en première diffusion gratuite sur internet, quel que soit la durée ou le format. Ils peuvent recevoir jusqu'à 30.000 euros via l'aide à la création, à condition d'avoir au moins 10.000 abonnés. Ils doivent également pitcher leur projet en vidéo, réaliser un devis et proposer un plan de financement.
De son côté, la Scam débloque chaque année depuis cinq ans un budget de 40.000 euros pour aider les vidéastes à créer des documentaires. Une somme répartie entre une dizaine de créateurs, dont le montant varie en fonction du projet. Ici, pas besoin de budget prévisionnel. Il faut en revanche présenter son projet en vidéo et à l'écrit.
"Je cherche toujours comment financer un projet car l'économie de la création de contenus n'est pas simple", précise à Tech&Co Jeannot se livre, une créatrice de contenus littéraire suivie par 95.000 abonnés sur Youtube.
Au fil de ses recherches, la jeune femme entend parler des différentes aides de la Scam et du CNC. "Il y a une vraie barrière à l'entrée à se sentir légitime à tenter", regrette la youtubeuse. "Mais il faut aller les demander. Ces bourses sont pour nous." La créatrice de contenus tente alors la bourse de la Scam, qu'elle rate une première fois. "A ma deuxième tentative, la Scam m'a appelé pour me demander quelques informations supplémentaires. Et j'ai réussi à la décrocher. (...) Ils ont vraiment à coeur de repêcher les talents s'ils sentent qu'un projet a du potentiel."
Au total, Jeannot se livre a pu toucher 30.000 euros du CNC et 6.000 euros de la Scam (avant impôt) pour l'aider à réaliser son projet. Elle a ainsi pu réaliser et même projeter en avant-première son documentaire A vif en juin 2024.
Monétisation, partenariats et deniers personnels
L'avant-première de Jeannot ne lui a rien rapporté. Elle était 100% gratuite. Mais dans d'autres cas, les entrées au cinéma permettent également d'absorber une partie du budget de production. "Les créateurs touchent une partie du box office. Ca crée une ligne de revenu supplémentaire dans la creator économie qui n’existait pas un an avant", confirme Romain Cabrolier, directeur des partenariats chez Youtube, auprès de Tech&Co.
Pour autant, "ils n'organisent pas ces projections pour maximiser leurs revenus", insiste Elisha Karmitz, directeur général de MK2, auprès de Tech&Co. "Le coeur de leur modèle économique reste le brand content et les relations publicitaires." En effet, la plus grosse partie du financement de ces projets vient directement de la monétisation des vidéos et surtout, des sponsors.
Inoxtag a ainsi pu compter sur ses neuf partenariats, dont Nike, Deezer ou Orange, pour financer son épopée de l'Everest. Les quatre épisodes de Terminal de Michou ont été sponsorisés par Vinted ou encore le Crédit Agricole.
"Les bourses m'ont aidé à financer un tiers du projet", chiffre de son côté Jeannot se livre. "Pour le reste du financement, il faut aller le chercher ailleurs, par exemple avec les partenariats." La youtubeuse a fait le choix de ne pas en ajouter sur A Vif. "Certains sujets ne se prêtent pas forcément aux partenariats", estime-t-elle. La vidéaste a préféré récupérer les revenus de partenariats sur d'autres vidéos.
Elle a également investi une partie de ses deniers personnels. Une solution souvent adoptée par les créateurs de contenus pour combler les trous dans ces budgets... pas toujours à l'équilibre.
"On perd énormément d'argent sur cette vidéo (le projet Stop the train, NDLR) et ce n'est pas grave, tout va bien. Aucune opé plus monétisation ne peut couvrir un prix pareil", a assuré Squeezie en direct sur Twitch.
Mais le youtubeur a trouvé la parade: réinvestir l'argent de ses entreprises annexes, comme Ciao Kombucha. "Ça permet de pérenniser ces projets de production qu'on attribue aux gros projets", conclut-il. Même constat de l'autre côté de l'Atlantique. MrBeast, le youtubeur le plus suivi au monde a récemment avoué gagner plus d'argent avec son entreprise de chocolats, qu'avec ses vidéos.