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Vidéo signée "DZ Mafia" à Marseille: une communication inédite "pour marquer les esprits"

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En postant une vidéo pour démentir son implication dans les deux récentes affaires de meurtres à Marseille, la DZ Mafia, important clan de narcotrafiquants marseillais, a passé un cap. Cette dernière, qui rappelle les conférences de presse du FLNC, est inédite à Marseille.

Un simple drap blanc, recouvert de scotch noir. Et une inscription: "DZ Mafia". C'est derrière ce pupitre, placé au centre d'une pièce vide, qu'un homme, vêtu de noir, prend la parole devant un groupe d'une dizaine d'autres silhouettes cagoulées. "Cela fait plusieurs jours que de fausses informations circulent en boucle", lance le porte-parole, voix trafiquée.

Cité dans l'affaire des meurtres d'un jeune de 15 ans et d'un chauffeur VTC qui ont endeuillé la cité phocéenne en cette première semaine d'octobre, le gang de narcotrafiquants marseillais a décidé de contre-attaquer. Et pour cela, il communique par le biais d'une vidéo quasi inédite dans le monde du grand banditisme en France.

Avec un objectif en tête: "rétablir la vérité" sur leur implication dans ces deux récents meurtres. Dans cette vidéo, le groupe dit adresser ses "sincères condoléances aux familles des défunts, en leur souhaitant force et courage".

Le groupe affirme n'avoir aucun lien avec l'homme de 23 ans, qualifié de "malade et mythomane" dans la vidéo, incarcéré à la prison de Luynes, au cœur des deux affaires de meurtres. C'est lui qui aurait recruté le tueur à gages de 14 ans pour se venger de l'assassinat d'un adolescent de 15 ans le 2 octobre, dont le corps a été retrouvé lardé de coups de couteau et en partie carbonisé.

"Nous ne le connaissons pas, nous n'avons jamais eu de telle personne dans notre cercle", affirme l'homme masqué. Le porte-parole poursuit, expliquant que le "modus operandi" de son groupe n'a rien à voir avec le mode d'action utilisé lors des deux meurtres cités précédemment.

La vidéo fait depuis l'objet d'une enquête pour association de malfaiteur en vue de la préparation de crimes et délits relevant de la criminalité organisée. L'enquête vise notamment à authentifier la vidéo qui se revendique de la DZ Mafia et à identifier ses protagonistes.

Apparaître "respectable"

Pour Frédéric Ploquin, spécialiste du grand banditisme et auteur de Les narcos français brisent l'omerta, cette vidéo a pour objectif de "marquer les esprits".

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"Avec cette vidéo, ils font preuve d'un excellent sens de la communication", note Frédéric Ploquin. "Ça rappelle certaines conférences de presse du canal historique du Front de libération nationale corse (FLNC)", compare-t-il. Avant d'appuyer: "Ce groupe nous a habitué à communiquer et ce sont d'excellents communicants."

Pour Jérôme Durain, sénateur PS, membre de la commission sénatoriale sur le narcotrafic, cette vidéo reste "quand même une surprise".

"On ne les avait jamais vus assumer à ce point une dimension centrale au cœur de la société, avec une revendication et cette prétention à être des gens tout à fait respectables", souligne-t-il sur BFMTV.

De la même façon que ces groupes ont modernisé leurs trafics avec des méthodes tirées du "marketing" classique des entreprises, "là on a le sentiment qu'on va encore plus loin et que ça fait partie de notre environnement social normal", appuie le sénateur.

Il voit dans cette vidéo une illustration des conclusions du rapport de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic rendu au mai dernier. "Ce que dit notre rapport de commission d'enquête, c'est ça: le trafic de drogue est presque institutionnel. Il a une emprise économique, une emprise territoriale, une emprise sur les quartiers, une emprise sur des populations", poursuit-il.

Cette vidéo, si elle est bien authentifiée, franchit une nouvelle étape: "On a l'impression qu'ils veulent faire ça au grand jour, sans être dans la clandestinité, sans se cacher". C'est à la fois très surprenant et très inquiétant surtout".

Laver son honneur

À travers "ce besoin de parler et d'exister dans les médias", mais aussi dans "la manière dont ils exercent la violence", Frédéric Ploquin voit "un groupe criminel qui a envie de marquer les esprits", notamment "celui de l'adversaire".

Derrière cette prise de parole filmée, la DZ Mafia souhaite aussi laver sa réputation. Alors que le commanditaire incarcéré indique avoir recruté le jeune de 14 ans pour tuer un membre de la bande adverse, ce dernier l'a aussitôt dénoncé après avoir appris qu'il avait tué Nessim Ramdane, un chauffeur VTC, sans lien avec le narcotrafic.

"Dans cette histoire, ils ne veulent pas être associés à ce type en prison, qui se comporte de manière complètement irrationnelle", appuie Frédéric Ploquin. "Ça ne fait pas sérieux et ça écorne leur image", poursuit-il.

L'organisation y joue aussi quelque peu sa longévité et sa survie, car les policiers font régulièrement face à des suspects se revendiquant du groupe, "alors qu'ils n'en sont pas", admet une source à BFMTV. Une manière pour eux de "bénéficier de la crainte et la peur que provoque ce réseau".

Selon cette même source, "plus la DZ Mafia est visible, plus leur temps est compté", car un groupe criminel qui concentre l'attention concentre aussi les problèmes. L'émoi suscité par l'assassinat de Nessim Ramdane n'est donc pas une bonne chose pour le clan.

"Si toute la population est contre vous, vous ne tenez pas votre point", ajoute un policier à BFMTV. Dans ce cas, "les gens parlent plus facilement avec la police", et surtout "vous ne trouvez plus de main-d’œuvre."

Quelles conséquences sur la population?

De son côté, le sénateur Jérôme Durain s'interroge les conséquences de cette vidéo.

"Je suis très inquiet de ce que ça peut produire chez les jeunes, qui peuvent y voir encore une envie de rallier cette marque. Parce que c'est une marque. C'est presque un entretien d'embauche géant ou un appel à bonne volonté", déplore-t-il.

L'élu rappelle aussi les méthodes violentes employées par la DZ Mafia, loin des règlements de comptes "propres", avec l'utilisation d'armes de guerre "qui rafalent n'importent comment, avec des victimes collatérales".

En 2023, 47 "narchomicides" ont été recensés à Marseille, une année record. D'après le parquet de Marseille, l'an dernier, 73% des homicides et tentatives d'homicides comptabilisés dans la cité phocéenne étaient de près ou de loin imputables à la rivalité entre la DZ Mafia et Yoda, un autre clan rival.

Martin Regley Journaliste