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"Jean Moulin s'est suicidé": de nouveaux enregistrements de Klaus Barbie révélés

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L'université américaine de Stanford révèle 14 heures d'interview de Klaus Barbie réalisées en 1979 alors qu'il était exilé en Bolivie. Le chef de la Gestapo à Lyon revient sur sa version de l'arrestation de Jean Moulin et nie l'avoir torturé.

14 heures d'enregistrements inédits. Exilé en Bolivie après la Seconde Guerre mondiale, Klaus Barbie se confie en 1979 au journaliste allemand Gerd Heidemann qui se fait alors passer pour un mémorialiste. Pendant près de 14 heures étalées sur six jours, l'ancien chef de la Gestapo à Lyon raconte ses souvenirs de guerre et notamment la détention de Jean Moulin dans la prison lyonnaise de Montluc en 1943.

Des enregistrements dévoilés par l'université de Stanford en Californie auxquels plusieurs médias internationaux ont pu accéder, dont La Tribune dimanche et Franceinfo.

Quand Gerd Heidemann demande à Klaus Barbie s'il a torturé le résistant lyonnais, celui-ci assure ne pas "l'avoir touché". "Il n'a pas été torturé, on ne l'a pas touché. J'ai longuement discuté avec lui, de politique et de tout. (...) Il m'a dit à l'époque: vous perdez la guerre, vous ne pouvez pas y arriver. Un homme très intelligent. J'ai essayé bien sûr de le 'retourner' lentement, mais je n'y arrivais pas. Rien, pas un son, pas un mot", explique l'homme alors âgé de 67 ans.

"Tant qu'on parlait avec lui de choses politiques, il était ouvert mais dès que je commençais à lui demander de parler de Londres, de son saut en parachute, de ses activités, c'était fini. C'est pour ça que je le respecte", poursuit le boucher de Lyon.

"Jean Moulin a fait une tentative de suicide"

Quelques jours après son arrestation, Jean Moulin, torturé par la Gestapo, est mort le 8 juillet 1943 dans un train le conduisant en Allemagne. Une version réfutée par Klaus Barbie, qui évoque une "tentative de suicide".

"En prison, nous avions une cave en bas. C'est là que Jean Moulin a fait une tentative de suicide. Il était certes attaché par les mains mais je ne l'avais pas fait attacher par les pieds. Je n'y ai pas pensé. Les gardiens n'ont pas fait attention. Il prenait de l'élan et entrait avec la tête dans le mur et s'ouvrait le crâne. (...) C'est pour ça qu'il est mort, puis il a été transporté à Francfort et il est mort pendant le transport. Ils l'ont enterré, avec un numéro, dans un cimetière à Paris. Mais je n'ai rien su de tout cela! Je l'ai appris en 1965", explique-t-il.

Pourtant, la mort du résistant apparaît comme une situation favorable pour l'ancien chef de la Gestapo lyonnaise. "Jean Moulin voulait devenir président de la France. (...) Il voulait former un gouvernement socialo-communiste. Vous réalisez ce qui se serait passé si l'on n'avait pas mené notre opération. Cet homme aurait réussi son coup en 1944. Il y avait là en germe un danger absolu pour l'Europe occidentale, pour l'Allemagne, qui risquaient de virer communiste. C'était lui, l'homme de la situation", raconte Klaus Barbie.

Aussi, la façon dont Klaus Barbier raconte comment Jean Moulin se serait suicidé, des faits contestés par les historiens, est différente de celle jusqu'ici avancée selon Bénédicte Vergez-Chaignon, historienne et spécialiste de la Seconde Guerre mondiale en France.

"La version la plus ancienne était que Jean Moulin aurait profité de ses déplacements dans la prison de Montluc, partant ou revenant des interrogatoires, pour se jeter la tête la première dans les escaliers. Cette version posait question pour les connaisseurs de cette prison, car les escaliers de cette prison ne sont pas très hauts, ce sont des demi-paliers, donc on voyait mal comment matériellement cela semble possible. Dans cette version que donne Barbie, Jean Moulin, lorsqu'il est dans sa cellule, se frappe plusieurs fois, Barbie parle même de trois heures durant lesquelles le résistant aurait fait ça pour se tuer", explique-t-elle à Franceinfo.

Le génocide des Juifs nié

Le "boucher de Lyon" explique aussi avec beaucoup de cynisme avoir demandé à un ami de déposer des fleurs sur sa tombe. "Un ami de passage à Paris m'a appelé et m'a dit: 'Klaus j'étais aujourd'hui sur la tombe de Jean Moulin, j'ai fait comme tu me l'as demandé, j'ai déposé une fleur'".

Pendant les 14 heures d'enregistrement, l'homme se livre dans une ambiance détendue sans jamais exprimer ni regret ni remord et va jusqu'à nier le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

"Vous savez, je ne crois pas aux six millions de Juifs gazés. Mais je peux vous dire que je regrette tous les Juifs que je n'ai pas tués!", lance-t-il.

Les historiens estiment unanimement entre 5 et 6 millions le nombre de victimes juives durant la guerre, rappelle le mémorial de la Shoah. Ce chiffre rassemble les personnes mortes dans les ghettos, par exécution, dans les camps d'extermination et dans les camps de concentration.

Quatre ans après cet entretien inédit, Klaus Barbie est extradé en France. Il est jugé coupable en 1987 de crimes contre l'humanité et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il mourra en prison en 1991.

Jade Theerlynck, Emilie Roussey