Crise migratoire: vers une voie de traversée légale de la Manche?

Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, était au Touquet-Paris-Plage, ce jeudi 27 février, en présence d'Yvette Cooper, son homologue britannique, pour évoquer le sujet de l'immigration illégale dans la Manche alors que les tentatives de traversée continuent de se multiplier.
Dans la nuit du vendredi 14 au samedi 15 février, 69 personnes ont été secourues au large de Calais alors qu’elles tentaient de rejoindre l’Angleterre, a annoncé la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord dans un communiqué. Durant cette tentative de traversée, un passager est mort malgré l’intervention des secours.
Une semaine avant, deux corps de migrants avaient été découverts, le dimanche 9 février, sur une plage de Berck. Des drames successifs qui remettent sur le devant de l’actualité, la crise migratoire qui touche ce littoral.
Pour éviter ces drames qui se répètent, les associations de défense des exilés réclament depuis plusieurs années la mise en place d’une voie de traversée de la Manche légale et encadrée. Une solution à laquelle le ministre de l'Intérieur semble désormais ouvert. Ce jeudi, il a redit la nécessité que cette solution soit abordée avec le Royaume-Uni.
"Il y a des migrants illégaux qui arrivent à passer et qui ne reviennent pas donc il y a la question d'une voie légale d'admission qui se pose avec la Grande-Bretagne", a déclaré le résident de la place Beauvau. "J'y travaille, on avance, je ne peux rien dire de plus", a-t-il ajouté.
Une annonce "totalement contradictoire"
Lors de son déplacement à Ambleteuse, à la fin du mois de novembre, Bruno Retailleau estimait déjà qu'il faudrait à terme une voie légale vers la Grande-Bretagne et une voie de réadmission pas seulement en France, mais aussi vers les pays frontaliers.
Un constat confirmé à BFMTV.com par le cabinet du ministre de l’Intérieur. "Sur le principe il faut un accord Union Européenne et Grande-Bretagne portant sur la réadmission vers l’Europe et le Royaume-Uni des personnes qui franchissent irrégulièrement les frontières et dont l’éventuelle demande d’asile est rejetée”, indique-t-il.
"Parallèlement que des voies de migrations légales pour les ressortissants de pays tiers, en premier lieu les personnes vulnérables et au titre du regroupement familial soient créées par le Royaume-Uni", ajoute-t-il.
Malgré cette apparente entente sur la voie de traversée légale, les associations restent critiques sur les intentions du résident de la place Beauvau.
"On ne peut pas être pour cette solution et dans le même temps annoncer une augmentation des forces de l’ordre sur le littoral. C’est totalement contradictoire", déclare à BFMTV.com, Célestin Pichaud, de l’association Utopia 56.
L'autre point de crispation pour les défenseurs des exilés est la "conditionnalité" apposée à cette possible mesure.
"Bruno Retailleau a annoncé que si cette voie était mise en place, elle ne concernerait que les mineurs et les regroupements familiaux. Les autres exilés continueront donc de traverser de manière dangereuse", assure à BFMTV.com, Célestin Pichaud.
Un transport couplé à de l’accompagnement
Pour Utopia 56, la création d’une voie légale de traversée doit être accompagnée par la mise à disposition de certains équipements. "Il faut que le Royaume-Uni et la France s’entendent pour affréter des ferries afin que les demandeurs d’asile puissent traverser la Manche en toute sécurité", explique Célestin Pichaud à BFMTV.com.
"Le droit international prévoit de pouvoir quitter son pays en cas de danger et il prévoit aussi de pouvoir rejoindre un autre pays en toute sécurité", souligne-t-il.
Pour l'association, la mise à disposition de bateaux n'est pas suffisante si elle n'est pas couplée avec des mesures administratives et d'accompagnement.
"On doit laisser une grande place aux travailleurs sociaux. Il faudra qu’il y en ait au départ des exilés depuis la France et à l’arrivée en Angleterre pour correctement les orienter”, détaille à BFMTV.com, Célestin Pichaud, coordinateur à Utopia 56.
Ces travailleurs sociaux devraient être chargés de guider les personnes demandeuses d’asile au Royaume-Uni vers les ferries et celles désirant rester en France vers les guichets adéquats.
"Dans le Nord, les demandeurs d'une protection doivent se rendre à Lille pour faire leurs démarches. Souvent, ils ne sont même pas au courant et restent sur le littoral", avance Célestin Pichaud. "Il faudrait la création de guichets de demande d’asile sur la côte en plus des ferries", ajoute-t-il.
Aucun dispositif concret envisagé sans un accord
La mise en place d'une voie légale de traversée est encore suspendue à l’attente d’un accord entre la France et le Royaume-Uni. Pour commencer à réfléchir aux manières de la mettre en place, les autorités attendent d’abord un nouveau traité migratoire entre les deux pays.
"Pour le moment aucune consigne technique n’a été donnée, c'est encore au stade de la politique et pas de la logistique", souffle à BFMTV.com une source bien informée.
Selon le bilan opérationnel annuel de la préfecture de la Manche et de la mer du Nord, 72 personnes sont mortes lors de tentatives de traversée en 2024. Un chiffre en augmentation constante depuis 2022.