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"C'est extrêmement inquiétant": Utopia 56 s'alarme d'une hausse de "300%" des traversées de la Manche

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6695 exilés ont tenté de rejoindre les côtes britanniques depuis le littoral français, selon le décompte publié mardi par l'association. Un chiffre record, qui équivaut à une multiplication par quatre de celui de l'an dernier à même période.

L'hiver s'est achevé le 20 mars. Au large de Calais ou de Boulogne-sur-Mer, il a charrié vents violents et tempêtes dans la Manche avant de s'adoucir et de laisser place au printemps.

Ce contexte météorologique défavorable à la navigation n'a pas dissuadé les exilés en transit sur le littoral français d'entreprendre la traversée de la mer. Bien au contraire. Utopia 56 a dévoilé mardi un décompte alarmant selon lequel ces dernières ont grimpé de 300%.

"Malgré les dépenses publiques françaises et anglaises de 'sécurisation' de la frontière, depuis le début de l’année, le nombre de traversées a été multiplié par 4 au 19 avril 2022 avec 6695 passages contre 1631 l’année dernière à la même date", regrette l'association dans un communiqué publié sur son site internet.

Les opérations de sauvetage grimpent également

Ces chiffres constituent un record: "Jamais autant d'exilés n'ont traversé la Manche en bateau". Pas plus tard que lundi, 15 exilés ont eux aussi tenté de franchir la mer sur une embarcation de fortune. Selon la préfecture, elles ont été sauvées au large de Boulogne-sur-Mer.

En toute logique, l'explosion du nombre de traversée s'accompagne d'un boom des opérations de sauvetage.

"À Grande-Synthe, en seulement quatre mois, de janvier à avril 2022, les équipes d’Utopia 56 ont déjà reçu 36 appels de détresse en mer, contre 59 appels reçus sur l’ensemble de 2021", souligne l'association.

"Épuisement total"

Distribution de couvertures de survie, d'eau, de nourriture: Utopia 56 mobilise ses membres dès lors que des exilés retrouvent les côtes françaises après une tentative de traversée avortée. 276 femmes, hommes et enfants, "dans un état d'épuisement total" ont bénéficié de leur aide au cours de la semaine du 11 avril.

Une assistance primordiale, de l'avis de l'association, car "dans la grande majorité des cas de naufrage, après avoir été secouru en mer, les personnes sont abandonnées aux ports sans aucun accompagnement de l’État".

Interrogée par BFM Grand Littoral, Anna Richel, coordinatrice d'Utopia 56 à Grande-Synthe, voit en l'évolution des traversées de la Manche quelque chose d'"extrêmement inquiétant, surtout par rapport au fait que c'était les mois d'hiver".

Le souvenir du 24 novembre

"Il y a eu très, très peu de traversées entre janvier et avril en 2021. Les traversées ont explosé après, se souvient-elle. Les gens prennent toujours plus de risques, avec des conditions météo de plus en plus terribles et on craint évidemment des nouveaux drames."

Le plus meurtrier d'entre eux est encore dans les mémoires des associatifs du littoral. Le 24 novembre dernier, 27 migrants avaient perdu la vie dans le naufrage de leur embarcation. Au grand dam d'Utopia 56, la France et l’Europe avaient dans la foulée "opté pour une réponse répressive avec la mise en place d’un avion Frontex au-dessus de la Manche et une augmentation des moyens mis dans la lutte contre les réseaux de passages".

L'association établit même un lien de cause à effet entre la "sur-militarisation du littoral nord" et "une prise de risque plus grande". Pour échapper à la vigilance des patrouilles, les migrants misent sur des départs "plus tôt dans l’année, malgré des vents violents, une mer froide et agitée".

Accord Londres-Kigali pour expulser les migrants

"Quand, avant, les bateaux partaient de Sangatte, à 37 km des côtes anglaises, on constate aujourd’hui que certains départs se font quasiment depuis la Baie de Somme, soit plus de 60 km à traverser dans des conditions extrêmement dangereuses", ajoute, amère, Marguerite Combes, coordinatrice de l’antenne d’Utopia 56 à Calais.

Pourtant, assure l'association, "la grande majorité des personnes rencontrées par nos équipes dans le Nord partagent le souhait de rester en France si les conditions d’un accueil digne étaient rassemblées". Elle cible particulièrement "la politique de dissuasion sciemment mise en place par l’État français à l’échelle nationale, l’application des renvois Dublin, les situations de vie à la rue et tous les types de violences institutionnelles auxquelles ces personnes font face les poussent à vouloir quitter le territoire à tout prix".

Une approche dissuasive également privilégiée par le Royaume-Uni. Le gouvernement de Boris Johnson a officialisé le 14 avril un accord avec le Rwanda, d'un montant de 144 millions d'euros, permettant le transfert vers Kigali des exilés arrivant sur le sol britannique par la Manche, qu'importe leur nationalité. Les premières expulsions devraient intervenir à compter du 10 mai.

Florian Bouhot Journaliste BFM Régions