TOUT COMPRENDRE. Ce que reprochent les autorités au lycée musulman Averroès de Lille

Entrée du lycée musulman Averroès de Lille - Sameer Al-DOUMY / AFP
Le lycée musulman Averroès de Lille a remporté une victoire judiciaire ce mercredi 23 avril. Le tribunal administratif de la capitale des Flandres a rétabli le contrat d'association liant l'établissement d'enseignement privé avec l'État.
Si le ministère de l'Éducation nationale a dit "prendre acte" de cette décision, il étudie la possibilité de faire appel de cette décision. Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau l'a suggéré ce jeudi, estimant "que les faits sont graves et sont significatifs de l'entrisme islamiste". Même ligne pour Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France qui a annoncé le gel des subventions tant que les voies de recours juridiques ne sont pas épuisées.
• Un établissement modèle
Fondé en 2003 après l'interdiction du voile à l'école, le lycée Averroès était devenu en 2008 le premier établissement musulman à passer sous contrat avec l'État. La France compte actuellement 77 établissements scolaires musulmans, dont six sont entièrement ou partiellement sous contrat, selon les données du ministère de l'Éducation.
L'établissement, qui accueille aujourd'hui plusieurs centaines d'élèves, avait été classé premier lycée du Nord-Pas-de-Calais en 2013. Il est encore régulièrement reconnu pour son excellence académique et se distingue par sa scolarisation d'un grand nombre d'élèves boursiers.
• Les premières accusations
En 2015, un ancien enseignant de philosophie, alors démissionnaire, publie une tribune dans le journal Libération où il porte des accusations d'islamisme et d'antisémitisme contre l'établissement. Le rectorat de Lille avait alors annoncé une mission d'inspection.
Quelques mois plus tard, le professeur est condamné pour diffamation non-publique et injure publique. Pour le tribunal, l'enseignant n'a pas apporté "d'éléments et de preuves de nature à justifier ses critiques".
• La région refuse de verser une dotation
À partir de l'année 2019-2020, le Conseil régional des Hauts-de-France, dirigé par Xavier Bertrand, a rejeté le versement du forfait annuel externat au lycée Averroès. Ce forfait, versé à tous les établissements privés sous contrat avec l'État, est destiné à payer le personnel non-enseignant et à couvrir des dépenses pédagogiques.
L'exécutif régional reproche à l'établissement d'avoir reçu notamment des fonds d'une fondation du Qatar en 2014 de 950.000 euros. La région est allée jusqu'au Conseil d'État pour défendre le refus du versement avant de perdre devant la haute cour. La situation s'est réitérée l'année suivante.
En 2020, un rapport commandé par l'État "extrêmement positif" sur l'établissement est rendu.
• Le préfet du Nord demande la résiliation
En juin 2023, la Cour régionale des comptes reproche au lycée un manque de transparence sur ses donateurs et des irrégularités de gouvernance. Elle pointe aussi la mention d'un recueil de textes religieux comprenant des commentaires prônant la peine de mort pour apostasie ou la ségrégation des sexes dans la bibliographie d'un cours d'éthique musulmane.
Ce rapport confidentiel filtre dans la presse et vaut à l'établissement de nombreux articles. La direction dénonce "des fantasmes injustifiés".
Le préfet du Nord commande un rapport quelques semaines plus tard. Il saisit par ailleurs une commission consultative académique qui émet un avis défavorable au maintien de l'agrément de l'État.
Les responsables du lycée musulman Averroès passent devant la commission de concertation pour l'enseignement privé et appellent l'État à ne pas le lâcher.
Le préfet prend la décision, le 7 décembre 2023 de résilier le contrat d'association arguant de graves manquements.
• Un revers pour le lycée lors d'un premier procès
Sans contrat d'association, le lycée Averroès renonce à une part substantielle de ses moyens financiers. Alors, l'établissement dépose plusieurs recours devant le tribunal administratif de Lille pour casser la décision du préfet.
Une manifestation est organisée pour soutenir l'établissement avant cette échéance judiciaire.
Or, le 12 février 2024, le juge des référés rejette cette requête estimant qu'il n'y a pas d'urgence à délibérer.
• Un second échec en référé
La situation est si précaire pour l'établissement qu'il dépose une nouvelle requête en urgence. Le lycée Averroès se dit contraint de doubler les frais de scolarité pour les 450 lycéens, et les augmenter de 40% pour les 350 collégiens qui n'étaient plus sous contrat. Le juge des référés valide à nouveau la rupture du contrat le 22 juillet dernier.
• Le rapporteur public préconise de rétablir le contrat
Le dossier est finalement jugé sur le fond par le tribunal administratif de Lille. Le 18 avril, lors du procès, le rapporteur public préconise aux juges de rétablir le contrat avec l'État.
Pendant plus d'une heure, le ministère public conteste point par point la plupart des griefs avancés par la préfecture, estimant qu'ils n'étaient pas établis. Il a toutefois reconnu que certains manquements existaient, mais qu'ils ne justifiaient pas une résiliation du contrat.
Financièrement à l'agonie, l'établissement qui a déjà doublé les droits de scolarité a également ouvert une cagnotte en ligne.
• La justice donne raison au lycée
Après avoir été mise en délibéré, la décision tombe le 23 avril. Les juges annulent la décision du préfet du 7 décembre 2023 jugeant "que la condition tenant à l'existence de manquements graves au droit n'était pas remplie" et "que la procédure suivie était entachée d'irrégularités".
Cette décision ayant un effet immédiat, le lycée Averroès récupère son contrat avec l'État de façon rétroactive. "Nous devions être sous contrat au premier septembre 2024, donc cette année, nous sommes hors contrat, mais nous devrions recouvrer le contrat à compter du premier septembre de cette année scolaire", a expliqué Éric Dufour, directeur du groupe scolaire Averroès invité de BFM Lille.
"Je vais me tourner vers le rectorat de Lille pour savoir ce qu'il en est pour mes élèves de première qui sont actuellement considérés comme des candidats individuels et non scolaires", a-t-il ajouté estimant par ailleurs que "l'honneur du lycée Averroès [était] rétabli".
• La subvention régionale toujours gelée
Dans un communiqué publié après le prononcé de la décision, la ministre de l’Éducation nationale a dit prendre acte de ce jugement.
"Au vu des faits ayant motivé la résiliation du contrat du lycée Averroès, la ministre d’État, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche se réserve, après analyse approfondie du jugement du tribunal administratif de Lille, la possibilité de faire appel", a-t-elle indiqué.
De son côté, le Conseil régional des Hauts-de-France a annoncé, dans un communiqué, prendre acte de la décision du tribunal administratif de Lille et invité l'État à faire appel "au vu de la gravité des faits mis en lumière lors de la procédure".
"La région ne reprendra pas les versements du forfait externat tant qu'un jugement définitif n'est pas intervenu dans ce dossier", ajoute Xavier Bertrand sur X. Le lycée Averroès pourrait dès lors contester en justice ce refus du président des Hauts-de-France de verser le forfait d'externat.