BFM Business
International

"Il fait l'inverse de ce qui est bon pour les États-Unis": comment en 100 jours Donald Trump a détraqué l'économie la plus dynamique du monde

placeholder video
En menant une politique commerciale agressive contre la plupart des pays du monde, le président américain a fait trembler les marchés, élimé le moral des ménages et des patrons, fait chuter le dollar, au point de devoir faire marche arrière. Le pays qui avait la croissance la plus forte des pays occidentaux est maintenant menacé de récession.

100 jours au pas de charge. Depuis son retour à la Maison Blanche, le 20 janvier, Donald Trump a conduit son action à un rythme effréné en multipliant les annonces chocs dans divers domaines. La plus importante d'entre elles: les droits de douane mirobolants à l'encontre des pays du monde entier dévoilés le 2 avril à l'occasion de ce que le président américain a appelé "le Jour de la Libération".

Une déflagration qui a fait trembler l'économie mondiale, mais surtout américaine. Au point de contraindre Donald Trump à faire marche arrière à plusieurs reprises en renonçant à une partie des surtaxes promises. Si le locataire de la Maison Blanche a calmé le jeu, des dégâts ont déjà été causés à la crédibilité de sa politique et par ricochet à l'économie américaine. "La confiance dans les États-Unis s'érode", note la banque suisse Safra Sarasin.

Des marchés américains en pleine crise existentielle

En trois mois, les déclarations fracassantes et l'imprévisibilité du dirigeant milliardaire ont désarçonné les ménages, les chefs d'entreprises, ainsi que les marchés américains.

Sur les 100 premiers jours de la présidence de Donald Trump, le S&P 500 (les 500 plus importantes valeurs boursières américaines) perd 7,8%. Il s'agit tout simplement de la pire performance des marchés américains au cours des 100 premiers jours d'un président depuis 1974 et le début de la présidence de Gerald Ford, qui avait succédé en août de la même année à Richard Nixon, à la suite du scandale du Watergate.

La chute ne s'est pas limitée aux actions. Le dollar souffre depuis plusieurs semaines et perd 8,6% face à l'euro sur trois mois. Les obligations américaines ont elles connu un sérieux coup de chaud début avril, lorsque leurs rendements se sont envolés en quelques séances. Pour de nombreux observateurs, c'est ce dernier mouvement de marché qui a conduit Donald Trump à sa volte-face sur les droits de douanes.

"En effaçant tout sentiment de normalité, le président affaiblit la réputation de l'Amérique en tant que terrain d'investissement digne de confiance – ainsi que l'attrait des bons du Trésor américain en tant que valeur refuge", souligne David Ross, gérant chez La Financière de l'Échiquier.

In fine, Donald Trump a poussé les investisseurs internationaux à se détourner des actifs américains pour privilégier les autres dans le reste du monde. "Les investisseurs étrangers ont cessé d'affluer sur les marchés obligataires et boursiers américains au cours des deux derniers mois", observe Deutsche Bank dans une note publiée lundi. "Les investisseurs mondiaux se sont lancés dans un vaste mouvement de 'Sell America'", explique de son côté la banque suisse Safra Sarasin.

Les consommateurs et chefs d'entreprise de plus en plus sceptiques

L'incertitude générée par l'instabilité politique de Donald Trump se ressent aussi auprès des citoyens américains. En avril, le moral des consommateurs a chuté de 11 points outre-Atlantique, selon un indice construit par l'Université du Michigan, pour tomber à son deuxième plus faible niveau depuis 1952. Capital Economics y a vu les premiers effets de la politique douanière de Donald Trump sur la confiance des ménages.

Près de six Américains sur 10 (59%) jugent de surcroît que la politique du locataire de la Maison Blanche a aggravé la situation économique, soit huit points de plus qu'en mars, d'après un sondage mené par SSRS pour CNN. Ils sont autant à penser que les droits de douane vont faire augmenter les prix alors que l'une des promesses phares du président républicain était de faire reculer l'inflation.

Même les chefs d'entreprise alliés de Donald Trump commencent à prendre leurs distances: "Il est en train de perdre la confiance des dirigeants d'entreprises à travers le monde", a notamment déploré le milliardaire Bill Ackman, fondateur de Pershing Square et légende de Wall Street, avant de mettre en garde contre "un hiver nucléaire auto-infligé pour l'économie" américaine en cas de maintien des droits de douane.

"Quoi que vous pensiez des raisons légitimes de mettre en place de nouvelles taxes douanières - et bien sûr, il y en a - ou de l'effet à long terme, bon ou mauvais, il va probablement y avoir des effets de court terme importants", a également cinglé le patron de la banque JP Morgan Chase, Jamie Dimon. Sans oublier Elon Musk, membre de l'administration américaine, qui n'a pas caché ses réticences face à la politique commerciale du président Trump en plaidant pour une zone de libre-échange entre les États-Unis et l'Europe.

Les Experts : Les 100 jours de poker menteur de Donald Trump - 28/04
Les Experts : Les 100 jours de poker menteur de Donald Trump - 28/04
27:28

Un risque d'inflation et de ralentissement économique

Des investisseurs aux entreprises en passant par les consommateurs... La doctrine économique de Donald Trump fait douter de plus en plus d'acteurs économiques, lesquels s'inquiètent désormais de ses conséquences sur l'activité américaine. Et ce alors même que le 47e président des États-Unis est arrivé à la Maison Blanche à un moment où l'économie américaine était sur de bons rails: "Il hérite de la présidence Biden. Il est de bon ton de tirer sur Biden mais son bilan est bon sur le plan économique. Il a plutôt laissé l'Amérique en bon état", observe sur BFM Business Frédéric Farah, économiste et enseignant à l'Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

En 2024, le PIB américain a en effet progressé de 2,8%, soit trois fois plus que la croissance de la zone euro. Pour cette année, le FMI tablait dans un premier temps sur une activité tout aussi dynamique outre-Atlantique (+2,7%). Mais l'institution monétaire a sabré cette semaine sa prévision de 0,9 point en pointant directement l'impact des droits de douane. Avant la volte-face de Donald Trump sur ces surtaxes, plusieurs économistes estimaient même qu'une récession aux États-Unis n'était pas à exclure.

Barclays estime toujours ce scénario "très probable" au second semestre 2025 pour les États-Unis. "Si l'on prend tout ensemble, l'immigration (que Trump veut réduire, NDLR), le premier coup porté par les droits de douane et un consommateur américain plus prudent, nous obtenons une récession comme scénario de base. L'espoir est qu'elle soit superficielle, étant donné le point de départ de l'économie il y a quatre mois à peine", souligne la banque britannique.

De son côté, l'inflation américaine a poursuivi son ralentissement ces derniers mois en s'établissant à 2,4% en mars après un pic à 9,1% en 2022. Mais tous les experts s'accordent à dire que les droits de douane auront un effet inflationniste. "Les droits de douane vont très certainement entraîner au moins une hausse temporaire de l'inflation", avec la possibilité que "les effets inflationnistes soient également persistants", a confirmé la semaine dernière le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jerome Powell. Ce dernier a été insulté la semaine dernière d"immense loser" par Donald Trump qui réclame une baisse des taux pour éviter "un ralentissement de l'économie". Ce que le patron de la Réserve fédérale refuse de faire tant que l'inflation n'est pas maîtrisée.

"Les États-Unis ont besoin du libre-échange"

Donald Trump aurait-il réussi l'exploit de saborder la dynamique et le potentiel de l'économie américaine en seulement trois mois? Il a en tout cas "fait dans tous les domaines l'inverse de ce qui est bon pour les États-Unis", estime Patrick Artus, économiste et conseiller économique de la société de gestion Ossiam.

Pour lui, "les États-Unis ont besoin du libre-échange parce que leur avantage comparatif ce n'est pas de relocaliser l'industrie 'bas de gamme', c'est de produire des services technologiques". Ils ont aussi "besoin d'un dollar fort parce que c'est ce qui permet d'importer des produits fabriqués par des pays émergents à des prix bas et c'est ce qui attire les investisseurs étrangers pour financer le développement de la tech". Enfin, "les États-Unis ont besoin de l'immigration parce que les compétences des Américains" ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins du pays, indique-t-il encore.

Économiste et sous-gouverneure de la Banque de France, Agnès Bénassy-Quéré souligne par ailleurs que "ce qui inquiète énormément outre-Atlantique, ce sont les coupes dans les budgets de recherche, des universités... Car c'est vraiment le coeur du succès des États-Unis". Réduire ces dépenses, "ça veut dire une croissance potentielle plus faible (...), donc des problèmes de finances publiques", poursuit-elle, alors que le déficit public américain atteint déjà des niveaux record à plus de 6%, ce que les prêteurs pourraient ne plus accepter très longtemps si l'économie américaine ralentit durablement.

Le reste du monde "souhaite moins financer les déficits jumeaux (le déficit commercial et le déficit public, NDLR) croissants des États-Unis", remarque sur ce point Deutsche Bank.

C'est ce qui fait dire à Patrick Artus que Donald Trump "va tout changer, comme il a une flexibilité totale".

"À un certain moment, il supprimera les droits de douane, il rouvrira les frontières à l'immigration et il redeviendra favorable à un dollar fort. (...) Il ne faut pas exclure que dans trois mois, Trump ait complètement inversé sa politique", juge l'économiste.
Paul Louis avec Julien Marion