Augmenter les droits de douane pour supprimer les impôts: le calcul de Trump est-il crédible ou farfelu?

Le président américain Donald Trump, accompagné du secrétaire au Commerce Howard Lutnick, a signé une série de décrets, dont des droits de douane de 25 % sur l'acier et l'aluminium dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, le 10 février 2025 à Washington. - AFP
Donald Trump s'apprête à (re)lancer les hostilités. La Maison Blanche doit annoncer ce mercredi soir de nouveaux droits de douane massifs visant une multitude de produits et de pays. Selon le Washington Post, une taxe unique de 20% sur toutes les importations est envisagée, mais la teneur et l'ampleur exacts du projet restent encore flous à ce stade.
Conseiller au commerce de la Maison Blanche, Peter Navarro a déjà sorti sa calculette. D'après lui, les droits de douane devraient rapporter "600 milliards de dollars par an" à l'État fédéral, dont 100 milliards pour les seules surtaxes déjà annoncées sur les voitures, et 6000 milliards sur dix ans.
Cela tombe bien. Cela permettrait de financer les 4.500 milliards correspondant à la prolongation souhaitée par Donald Trump du plan de réductions d’impôts de 2017 qui arrive à expiration. Ainsi que 2.000 milliards d'euros de baisses d'impôts supplémentaires promises par le président américain (exonération d'impôts sur les pourboirs, les heures supplémentaires, déduction fiscale des intérêts des prêts pour l'achat de voitures "made in USA", etc.).
"Rendre sa grandeur à l'Amérique"
C'est tout le projet économique défendu par Donald Trump lors de la campagne présidentielle: baisser massivement les impôts en compensant les pertes de recettes qui en découlent par une hausse des droits de douane.
"Le message est le suivant, a déclaré le conseiller à la Maison Blanche ce dimanche sur la chaîne américaine Fox News. Les droits de douane sont des baisses d’impôts, des emplois, de la sécurité nationale. Les droits de douane sont excellents pour l’Amérique. Ils rendront sa grandeur à l’Amérique."
Mais les tarifs douaniers peuvent-ils vraiment générer 600 milliards de dollars par an? Pour arriver à ce résultat, Peter Navarro semble avoir appliquer une taxation de 20% aux 3.300 milliards de dollars de marchandises importées par les États-Unis en 2024. Mais ce calcul simpliste "saute certaines étapes cruciales", souligne auprès de CNBC Ernie Tedeschi, directeur de l’Économie au Yale Budget Lab.
Perte de pouvoir d'achat des consommateurs
Rares sont les économistes à juger les estimations de la Maison Blanche crédibles car ces dernières ne tiennent pas compte des conséquences économiques néfastes d'une guerre commerciale. Auprès de CNBC, Mark Zandi, économiste en chef chez Moody's juge qu'obtenir entre 600 et 700 milliards de dollars de recettes grâce aux droits de douane "n'est pas envisageable".
"Si vous atteignez 100 à 200 milliards de dollars, vous aurez beaucoup de chance", assure-t-il.
D'abord parce que contrairement à ce qu'affirme l'administration Trump -à savoir que ces surtaxes seront pour l'essentiel payées par les entreprises étrangères- ces coûts supplémentaires sont généralement répercutés sur le consommateur final qui paye in fine ses produits plus cher et perd en pouvoir d'achat. Dans le cas présent, le consommateur américain subirait une perte de pouvoir d'achat comprise entre 3.400 et 4.200 dollars par an si une taxe unique de 20% était appliquée sur les importations, calcule le Yale Budget Lab.
Dans ces conditions, les consommateurs modifieront sans doute leurs habitudes et réduiront leurs achats de produits importés, ce qui fera mécaniquement baisser les recettes de droits de douane qui ont justement pour but d'encourager la consommation de produits locaux.
Ralentissement économique global
L'effet inflationniste des droits de douane entrainera le ralentissement de la consommation. Ce qui se traduira par des recettes fiscales en moins. Sans compter les probables ripostes des pays visés qui privrraient les entreprises américaines de débouchés.
À terme c'est donc l'économie américaine et l'économie mondiale dans son ensemble qui seront pénalisées. Une fois tous ces effets pris en compte, le Yale Budget Lab estime qu'une taxe unique de 20% sur les importations rapporterait environ 250 milliards de dollars par an au mieux à l'État fédéral, loin des 660 milliards espérés.
Pour atteindre l'objectif de Peter Navarro, il aurait vraisemblablement fallu imposer une taxe moyenne considérable d'environ 50% sur les produits importés. Cela aurait permis de générer 780 milliards de dollars par an, avant prise en compte des impacts économiques, d'après le Peterson Institute for International Economics.