Droits de douane de Trump: les consommateurs américains vont payer la facture (et elle sera salée)

"Il y aura un peu de perturbations mais cela ne nous dérange pas, ce ne sera pas grand chose." Dans son discours devant le Congrès dans la nuit de mardi à mercredi, Donald Trump a fini par reconnaître que sa politique de guerre commerciale pourrait ne pas être indolore pour les Américains.
La hausse des "tariffs" (droits de douane) décrétée par la Maison Blanche a suscité une réponse immédiate des partenaires commerciaux des États-Unis, notamment de la Chine, qui ont augmenté les leurs sur les importations américaines.
Une broutille pour les autorités américaines. Le président Trump continue d'affirmer qu'à terme cette politique protectionniste "permettra d'engranger des milliers de milliards de dollars et de créer des emplois comme jamais auparavant."
De son côté le secrétaire au Commerce Howard Lutnick a qualifié les craintes du milliardaire Warren Buffet de "stupides" assurant que la hausse des droits de douane serait compensée pour les Américains par des baisses d'impôts voire la suppression pure et simple de l'impôt fédéral sur le revenu, la première ressource de l'État.
6 Américains sur 10 croient aux hausses de prix
Des arguments qui peinent à convaincre les Américains. Selon un sondage Harris pour Bloomberg News, 60% d'entre eux s’attendent à ce que les tarifs douaniers de Trump entraînent une hausse des prix et 44 % pensent que ces prélèvements sont susceptibles d’être mauvais pour l’économie américaine. Or comme souvent en économie, les prophéties sont autoréalisatrices.
"On voit clairement que le consommateur américain est conscient que tous ces droits de douane vont générer de l'inflation", explique Sylvain Bersinger, économiste chez Asteres sur BFM Business.
"Le simple fait qu'il y ait des anticipations d'inflation peut générer de l'inflation parce que les agents économiques vont adapter leur comportement."
Mais ce n'est pas qu'une question d'anticipation. La hausse des droits de douane est inflationniste et cette affirmation fait consensus parmi les économistes.
Car concrètement, lorsque les États-Unis imposent des droits de douane sur les importations, les entreprises américaines paient directement des taxes d’importation au gouvernement américain sur leurs achats à l’étranger.
Le fardeau peut éventuellement peser sur les entreprises étrangères qui consentent des baisses de prix pour absorber une partie des droits de douane payés par leurs partenaires américains mais ce n'est pas ce qui s'est vraiment passé lorsque Donald Trump a usé de cette arme lors de son précédent mandat.
1.200 dollars de plus par ménage?
Des économistes de l'UCLA (Université de Californie) ont ainsi examiné les tarifs douaniers sur les machines à laver, les panneaux solaires, l’aluminium, l’acier et les marchandises en provenance de l’Union européenne et de Chine imposés en 2018 et 2019. Ils ont constaté que les entreprises et les consommateurs finaux américains supportaient l’intégralité du fardeau des tarifs et ont estimé la perte nette pour l’économie américaine à 16 milliards de dollars par an.
Dans le détail, ce sont 114 milliards de dollars de pertes pour les entreprises et les consommateurs, compensées par de petits gains pour les producteurs protégés et des gains de recettes pour le gouvernement.
Une autre étude publiée en 2019 par des économistes de la Réserve fédérale arrive à la même conclusion. Pire, après avoir pris en compte les représailles, les principales victimes des guerres commerciales étaient les agriculteurs et les ouvriers des régions qui ont soutenu Trump en 2016.
Il est toujours aléatoire de mesurer l'impact chiffré de ces mesures sur le pouvoir d'achat mais le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) a estimé que les ménages américains paieraient en moyenne 1.200 dollars de plus par an pour leurs achats. Et certainement plus pour les ménages modestes qui consomment davantage de produits importés que la moyenne.
Des recettes surestimées
L'administration Trump aurait-elle raison contre le consensus des économistes et contre le reste du monde qui prône le libre-échange depuis des décennies?
Le président américain fait le calcul suivant: on augmente les droits de douane sur les 3.267 milliards de dollars de marchandises importées (montant de 2024) afin de financer les 4.500 milliards de dollars de réductions d’impôts de 2017 qui arrivent à expiration et même de financer 2.000 milliards de dollars de plus de réduction d'impôts. Dans ce jeu de vases communicants, il suffira d'augmenter d'un côté pour pouvoir baisser de l'autre.
Sauf que les droits de douane n'ont jamais généré de recettes suffisantes pour financer les politiques publiques. Comme le montre une étude du think tank CRS, les tarifs douaniers n’ont, depuis la Seconde guerre mondiale, jamais généré beaucoup plus de 2% du total des recettes fédérales. Selon ces chercheurs, même avec un taux moyen colossal de 50% sur les importations, les recettes ne s'élèveraient qu'à 780 milliards de dollars. Sans même prendre en compte les impacts sur l'activité économique du pays qui se verrait privée de débouchés à l'international du fait de la riposte des pays partenaires.
Les indicateurs économiques dans le rouge
Les conjoncturistes américains sont d'ailleurs unanimes. Les indicateurs se sont retournés ces dernières semaines. "Quand on regarde les anticipations d'inflation à 5 ans de l'Université du Michigan par exemple, elles sont au plus haut depuis le milieu des années 90", indique Sylvain Bersinger.
"Et les autres indicateurs ne sont pas très bons non plus sur la consommation des ménages, sur les prévisions de croissance ou le déficit commercial qui s'est creusé alors que Trump voulait l'inverse, probablement parce que les entreprises importent en anticipation des droits de douane."
Alors que l'économie américaine enregistre des taux de croissance exceptionnels depuis la sortie du Covid, la Fed d'Atlanta anticipe même désormais une croissance négative, de l'ordre de 1,5%, au premier trimestre 2025. Un recul qui serait la conséquence d'une consommation en berne et des licenciements massifs dans les services publics.
"L'administration Trump a commencé à carresser l'idée de changer le mode de calcul du PIB pour retirer l'effet de la dépense publique puisque les coupes de Musk risquent d'être récessionnistes, constate Sylvain Bersinger. Elle préfère casser les indicateurs plutôt que de changer de politique."
Une approche pour le moins hétérodoxe dans un pays qui a bâti sa prospérité et sa puissance sur le pragmatisme économique.
