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"En attendant, on fait quoi?": il faudra trouver d'autres recettes avant de pouvoir financer le rail avec les autoroutes

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Les propositions issues de la conférence sur le financement des transports peinent à convaincre le monde ferroviaire. D'autant plus que la situation catastrophique du réseau ferré français est connue depuis des décennies.

La montagne a-t-elle une nouvelle fois accouché d'une souris? Si Ambition France Transports, la grande conférence sur le financement des infrastructures de transports, a été l'occasion pendant dix jours de faire le point sur la situation et de collecter, à travers de nombreux ateliers, les propositions de tout l'écosystème, le résultat n'est une nouvelle fois pas à la hauteur des attentes pour beaucoup d'acteurs.

Concrètement, 14 propositions ont été retenues par le ministre des Transports Philippe Tabarot pour affronter le mur d'investissements annoncé et servir à une future loi. Il s'agit de trouver un milliard d'euros par an supplémentaires pour maintenir en vie le réseau ferroviaire et surtout de prendre des décisions dès maintenant afin de pouvoir programmer les nécessaires travaux dès 2027.

"S’agissant du réseau ferroviaire, le texte fixera dans la loi l’objectif de 1,5 milliard d'euros supplémentaire par an affecté au réseau à compter de 2028" pour atteindre 4,5 milliards par an en 2028, se félicite-t-il.

Un milliard par an grâce aux autoroutes mais pas avant 2032

Par quels moyens? Le coeur de ce financement repose sur le renouvellement des concessions autoroutières avec "le fléchage de l'intégralité des recettes des futurs nouvelles concessions autoroutières vers les infrastructures de transports, estimées à terme à 2,5 milliards d’euros par an". Un milliard par an serait utilisé pour boucler le budget de maintenance du réseau.

Problème, ces concessions arrivent à échéance entre 2031 et 2036. "En attendant, on fait quoi?", grince un responsable de la SNCF.

"Cette mesure ne donnerait son plein effet qu'en 2037 à l'issue du renouvellement de toutes les concessions autoroutières. D'ici là, l'Etat devra trouver d'autres recettes pour assurer le bon maintien de son réseau ferré", confirme sur RMC, Arnaud Aymé, spécialiste du transport chez Sia Partners.

Philippe Tabarot a bien retenu d'autres pistes de financement qui restent très floues pour le moment comme le retour de l'écotaxe régionale, qui fait payer les poids lourds étrangers empruntant certains réseaux routiers très fréquentés, une piste également évoquée par la SNCF. Le sujet étant explosif, sa mise en application est tout sauf assurée.

Il s'agirait également de flécher une part plus large de la TICPE ou de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, vers l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit), alors que celles-ci vont encore en majorité dans le budget de l'Etat. Là encore, compte tenu des difficultés budgétaires de la France, rien n'est moins sûr.

Ou encore d'inciter la SNCF à s'endetter pour mener à bien les investissements voire à augmenter le fonds de concours (qui alimente les caisses de SNCF Réseau) de 500 millions d'euros par an, alimenté quasi exclusivement par les bénéfices de SNCF Voyageurs, l'entité qui couvre les activités commerciales TGV et Intercités.

"Une catastrophe"

Deux idées qui sont loin de faire l'unanimité car c'est finalement la SNCF qui met la main à la poche.

"Tout ceci ne va rien régler pendant deux ou trois ans sur nos problèmes de fonds notamment pour la robustesse de l’exploitation", grogne une source à la SNCF.

A la SNCF, il n'y a guère que son patron, Jean-Pierre Farandou, pour se réjouir de ces annonces. Il a salué une "décision historique". "Le rapport publié par le ministère des Transports qui entérine l'affectation de ressources vers la régénération et la modernisation du réseau ferroviaire est une excellente nouvelle", estime-t-il. "Les orientations qui ont été prises sécurisent l'avenir du ferroviaire français, indispensable à la décarbonation des transports".

Du côté des syndicats, on dénonce également l'absence de mesures concrètes à court terme, notamment vis-à-vis des concurrents de la SNCF, installés sur des lignes rentables, mais ne participant au financement du réseau qu'à travers les péages alors que SNCF Voyageurs paye deux fois (péages et fond de concours).

"C'est une catastrophe pour la SNCF", juge Fabien Villedieu de Sud Rail. "La seule possibilité en attendant l'argent des autoroutes qui viendrait pas avant 2032, c'est une taxe sur les billets ou l'augmentation du fonds de concours financé... par la SNCF", estime-t-il.

La piste d'une taxe sur les billets de train a bel et bien été écartée par Philippe Tabarot.

"Nous voici revenus au point de départ"

Dans un tract, l'organisation syndicale dénonce l'absence de financements précis, notamment pour les "petites lignes" et surtout une nouvelle étude visant à hiérarchiser les dépenses à réaliser qui selon elle pourrait servir "d'alibi pour accélérer la fermeture de certaines lignes vitales". Ce qui ne poserait pas vraiment de problème au Groupe SNCF qui selon les syndicats et certains responsables de la compagnie est engagé dans une course à la rentabilité en coupant ses branches malades.

Le pire dans ce dossier, c'est que la situation est connue depuis des années. Experts, syndicats, députés et direction de la SNCF ne cessent d'alerter l'Etat sur la situation du réseau.

"Car enfin, découvrir en 2025 qu'il manque 1,5 milliard d'euros par an au ferroviaire relève de la même révélation que celle de Monsieur Jourdain apprenant qu'il fait de la prose", s'étrangle Olivier Armand, secrétaire fédéral UNSA-Ferroviaire, Stratégie & Prospective.

"Le professeur Rivier de l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne avait déjà, en 2005, disséqué avec la précision d'un anatomiste les mêmes pathologies, identifié les mêmes carences, chiffré les mêmes besoins. Vingt années se sont écoulées. Vingt rapports se sont empilés. Et nous voici revenus au point de départ", ajoute-t-il.

"L'alternative existe pourtant, et elle est d'une simplicité biblique: soumettre l'ensemble des acteurs du transport aux mêmes exigences d'aménagement du territoire, instaurer une péréquation réelle entre secteurs rentables et missions d'intérêt général, programmer enfin sur vingt ans les investissements ferroviaires comme nous savons si bien le faire pour les autoroutes. Le temps n'est plus aux rapports compassionnels. Il est à la cohérence politique", préconise le responsable.

La situation est d'ailleurs tellement floue, que le Groupe SNCF évite de commenter directement les pistes retenues par le ministre Tabarot. "On attend les décisions du gouvernement", fait-on ainsi savoir laconiquement.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business