Des voitures qui roulent sur les rails: une vieille idée remise au goût du jour

L'idée n'est pas nouvelle mais revient aujourd'hui en grâce. Alors que tout est fait pour inciter les gens à prendre le train au lieu de la voiture pour aller travailler ou se déplacer, la possibilité de faire rouler des véhicules, qui ne sont pas des trains, sur les centaines de kilomètres de voies SNCF désaffectées en France refait surface.
Déjà, dans les années 1930, le groupe Michelin avait mis au point un train monté sur des roues dotées de pneus spéciaux. Il s'agissait des fameuses "Micheline" que l'on pouvait croiser dans de nombreuses campagnes. Si ce train ne roulait pas sur route, le concept était bien de faire circuler un véhicule reprenant l'architecture d'une voiture sur rail. Ces Micheline ont ainsi circulé jusqu'à la fin des années 1950.

La suite de l'histoire ferroviaire française s'est concentrée sur la grande vitesse, le TGV, abandonnant les petites lignes, avant que la proximité et le local reviennent aujourd'hui en force, notamment pour des questions environnementales. Et de se questionner sur ces centaines de kilomètres de voies non électrifiées fermées au fil du temps.
Des TER inadaptés à ces besoins
Pour favoriser les transports propres, l'Etat pousse au développement du rail et investi (enfin) dans la régénération du réseau secondaire. Quant aux voies fermées, elles donnent des idées: les initiatives pour y faire circuler des véhicules hybrides se multiplient.
Il y a quelques semaines, Arnaud Montebourg, ancien ministre du Redressement productif et désormais patron de la Société d’ingénierie, de construction et d’exploitation de la Ferromobile (Sicef), présentait le projet Ferromobile.
Concrètement, la Ferromobile est un véhicule de série Peugeot, électrique, qui se conduit comme une voiture classique sur la route mais circule aussi de manière autonome sur les rails. Le passager doit prendre les commandes sur la route, mais il lâche le volant lorsque l'on passe sur la voie ferrée.

Cette voiture électrique est "pilotée à distance" lorsqu'elle circule sur la voie ferrée, de la même manière que les lignes de métro automatique, précise l'ex-ministre sur BFM Business. Le trajet s'effectue à la demande, après avoir été réservé sur l'application ou des bornes dédiées et le véhicule peut transporter jusqu'à 8 voyageurs.
C'est une solution "pour toutes les petites lignes fermées", afin de rapprocher les habitants des zones rurales des bassins d'emploi et des services, explique Arnaud Montebourg.
Les TER "ne reviendront jamais" sur ces lignes abandonnées, parce qu'un train régional coûte cher aux finances publiques et qu'il roule vide "à 75% en moyenne" en raison d'horaires "insuffisants" et qui ne "correspondent pas aux besoins", avance-t-il.
Un TER pèse "60 tonnes" et "coûte 11 millions" d'euros, contre "50.000 euros" et "2 tonnes" pour le véhicule polyvalent, souligne-t-il, ajoutant qu'il n'est pas nécessaire de refaire les infrastructures à neuf.
Ferromobile: un lancement en 2024/2025?
Le projet a été construit en partenariat avec Systra, filiale commune de la SNCF et de la RATP, ainsi qu'avec Stellantis et Alstom. L'entreprise, qui a déjà obtenu un financement de 10 millions d'euros de la part de France Relance, cherche à lever 30 millions d'euros pour mettre en œuvre ses premières lignes.
La première ouverte aux voyageurs sera "certainement en Occitanie, en tout cas dans le sud de la France", avec "2024, 2025" pour objectif, évoque l'ancien ministre.
Ce projet n'est en fait pas nouveau. Il se nommait auparavant Flexmove et était déjà porté par la Société d’ingénierie, de construction et d’exploitation de la Ferromobile (Sicef).
La SNCF planche aussi de son côté sur des projets similaires. Souvent critiqué pour avoir abandonné la desserte fine du territoire au profit du tout TGV, le transporteur planche depuis quelques années sur des solutions afin de faire en sorte que des habitants de zones mal desservies, à cause de fermetures de petites gares, abandonnent leurs voitures et reprennent le train.
La SNCF va tester Flexy dès l'an prochain en Bretagne
L'un de ses projets se nomme "Flexy". Soit une petite navette sur batterie conçue par le français Milla pouvant embarquer jusqu'à 14 personnes sur 10 à 30 kilomètres à 60km/h. Avec ses 3,5 tonnes, il se range dans la catégorie des "trains très légers" et peut fonctionner de manière automatique même si pour des raisons de sécurité, il y aura toujours un "conducteur" à bord.

Elle a la particularité de rouler sur goudron (notamment là où de petites voies ont été recouvertes), mais aussi sur les voies ferroviaires désaffectées grâce à un ingénieux système de roues hybrides (route/rail) développé par Michelin (la boucle est donc bouclée avec la Micheline).


Il s'agit là encore de répondre à la problématique du dernier kilomètre, notamment quand la gare est éloignée de son habitation. "L'idée est d'amener des gens depuis les zones rurales vers des gares" sous forme de navette.
"Le calendrier de ce projet accélère", se félicite David Borot, directeur innovations et nouvelles mobilités à la SNCF. "En 2023/2024, deux tests vont être menés en Bretagne sur une ligne pilote. Il s'agira de vérifier le fonctionnement et le comportement des roues hybrides sur un mulet (une base automobile), les transitions voies/routes ou encore les dispositifs de croisement s'agissant souvent de voies uniques"

"En 2024, nous passerons dans une autre région afin de mener des démonstrations du système complet avec un prototype qui sera proche du matériel final. L'objectif étant d'obtenir rapidement les homologations et autorisations nécessaires. La volonté est d'être sur le marché en 2026" poursuit le responsable.
"On est un peu dubitatifs sur certains aspects de leur approche"
Encore faut-il qu'elles soient achetées par les régions, les collectivités, qui investissent déjà dans les rames à hydrogènes et hybrides et qui voient les prix de l'énergie flamber (et donc également la facture payée à la SNCF) tout comme les contraintes de leurs budgets.
"Plus que les régions, des collectivités, des communautés de communes se disent intéressées, on est suivi de près, et c'est d'ailleurs indispensable pour convaincre l'Etat de la pertinence du projet afin d'obtenir des subventions dans le Plan France 2030. On souhaite réunir un pool de régions et de collectivités pour porter concrètement le projet", explique David Borot.
Peut-on s'attendre à une concurrence entre le projet de la SNCF et celui d'Arnaud Montebourg? "On est un peu dubitatifs sur certains aspects de leur approche" commente diplomatiquement le responsable. Car si la SNCF embrasse la totalité du projet: infrastructure, matériel roulant, supervision, sécurité..., ça ne semble pas être le cas de celui de l'ancien ministre...
"C'est un projet systémique que l'on coordonne notamment sur les questions sensibles de réglementation technique. On travaille déjà avec les agences de sécurité ferroviaire, tout cela prend du temps afin d'obtenir autorisations et homologations", souligne David Borot. Du côté de la Ferromobile, ce travail indispensable n'aurait pas encore débuté.
Un potentiel de 80 lignes désaffectées
Par ailleurs, il s'agit de savoir si ces solutions innovantes route-rail sont viables techniquement et économiquement.
"Les trains légers et très légers sont plutôt pertinents. Mais dans le cas de Flexy, le champ d'application sera limité" commente pour BFM Business, Bruno Gazeau, président de la Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports (FNAUT).
"Il n'y pas tellement de lignes qui vont permettre de le faire, ce sera un marché de niche. C'est un levier mais qui n'est pas généralisable. L'accessibilité aux gares risque d'être difficile puisque ces navettes ne pourront pas circuler sur le réseau classique", poursuit le spécialiste.
Une critique contestée par la SNCF. "Il y a un vrai potentiel de lignes, s'il n'existait pas, on ne se serait pas embarqué dans ce projet, on n'aurait pas investi", assure David Borot qui estime à 80 le nombre de lignes désaffectées qui pourraient être concernées par Flexy (mais aussi dans d'autres pays).
"Et ce n'est pas aussi simple que ça à déployer. Même s'il s'agit d'une navette autonome, il faudra des hommes aux extrémités des parcours, installer un centre de contrôle, travailler au niveau des voies, et la durée de vie de ce matériel sera plus courte que le matériel lourd", ajoute Bruno Gazeau.
Pourtant, même avec ces contraintes, la SNCF l'assure: l'exploitation d'un service à la Flexy réduit de 50% les coûts par rapport à une ligne locale classique.