"C'est mal perçu": la surenchère de revendications pour la grève du 8 mai divise au sein même de la SNCF

C'est un mouvement de grève assez unique. Trois "familles" de cheminots de la SNCF seront en effet en grève pendant le mois de mai, menaçant les départs pendant le pont du 8 mai.
Pour résumer:
- les agents du matériel seront en grève 48h à partir du 6 mai
- les conducteurs seront en grève à partir du 7 mai
- les contrôleurs ont déposé un préavis du 8 au 10 mai
Les revendications sont multiples et couvrent à la fois des questions de conditions de travail et de rémunération. Pour autant, elles font débat dans l'opinion publique mais également au sein de la maison SNCF.
Les chefs de bord (contrôleurs) cristallisent les interrogations. Si le syndicat Sud Rail est à la manoeuvre, c'est bien le collectif ASCT, très actif sur les réseaux sociaux, qui a été à l'origine de la grande grève hivernale de 2022, qui fait à nouveau pression sur la direction et qui mobilise avec force.
"L'entreprise cède tout" aux contrôleurs
"La direction de SNCF Voyageurs a déjà pris de nombreux engagements depuis les premières mobilisations écloses sur Facebook fin 2022", analyse sur BFMTV, Arnaud Aymé, consultant transports et DG France de Sia.
En effet, la SNCF met régulièrement en avant le dialogue social étroit avec ces cheminots (avec un Jean-Pierre Farandou en première ligne) et surtout les efforts déjà consentis en termes de rémunération notamment.
"Compte tenu de leur niveau de rémunération actuel, c'est mal perçu. Ils se révolteraient pour plus de sécurité face aux agressions et outrages en hausse, ça serait compréhensible. C'est devenu une corporation tellement puissante avec le pouvoir de bloquer le trafic TGV que l'entreprise leur cède tout", nous confie un conducteur de train qui rejoint néanmoins ses collègues sur la question du nouveau logiciel de gestion de planning qui "apporte des modifications toutes les semaines, ce qui est très compliqué à vivre".
"Ils gagnent désormais quasiment autant que nous, la revendication des 100 euros supplémentaires, c'est pas acceptable pour nous qui avons bien plus de responsabilités", poursuit-il.
Une analyse d'ailleurs partagée par le ministre des Transports: "Il y a des personnels pour qui la tâche et la pénibilité sont beaucoup plus importantes que pour les contrôleurs qui ne sont pas les moins privilégiés", a estimé Philippe Tabarot.
Si ce sentiment est partagé par les conducteurs que nous avons interrogés, on ne peut évidemment pas le généraliser. Néanmoins, ces réserves sont symptomatiques d'un malaise de la part des conducteurs qui ont décidé de rejoindre le mouvement pour mettre en avant leurs propres revendications.
"Les primes traction diminuent alors que les kilomètres parcourus augmentent ainsi que les responsabilités. Les conducteurs remarquent que les chefs de bord (agents d'exécution pour la majorité) sont aussi bien voir mieux rémunérés que les conducteurs qui débutent agents de maîtrise", ajoute ce conducteur.
Les mesures obtenues par les uns profitent à tous, dit Sud Rail
Chez Sud Rail, on rejette avec force cette analyse. "Du ressentiment, ça peut exister", nous explique Fabien Villedieu, délégué de l'organisation syndicale. "Mais il faut avoir de la mémoire: les accords obtenus par les contrôleurs ont profité à tous les cheminots car la direction fait des propositions transversales".
"Tous les cheminots profitent de ces accords, notamment pour la fin de carrière, et ces accords sont issus de la mobilisation des contrôleurs", poursuit-il. Fabien Villedieu conteste également le resserrement des rémunérations entre les deux métiers.
"C'est faux. Les contrôleurs ne gagnent pas autant que les conducteurs, il y a par exemple une vraie différence entre la prime de travail, versée à tous, et la prime de traction", dédiée aux seuls conducteurs, avance-t-il.
"Je conçois que les contrôleurs aient été mis sur le devant de la scène et que la direction joue la carte de la division qui peut prendre chez certains", ajoute le délégué.
Toujours est-il que les chefs de bord ont bel et bien obtenu des mesures depuis la fin 2022, notamment le versement de prime de partage de valeur et l'augmentation de la prime de résidence même si les syndicats dénoncent des mises en oeuvre incomplètes.
Négociations en cours
"Oui c'est vrai mais c'est un rattrapage et ce n'est pas pour solde de tout compte. La SNCF fait d'importants bénéfices, les cheminots sont productifs, on est les plus profitables en Europe: en quoi est-il anormal de poser la question de la répartition des richesses, on réclame une part, c'est normal", assène Fabien Villedieu.
Et de contester l'affirmation de la direction d'une augmentation globale des salaires de 17% en trois ans "avec une inflation de 12%, ça relativise".
Pour les conducteurs, la vraie problématique qui doit être mise en avant n'est pas tant une augmentation de la rémunération mais l'intégration des multiples primes dans le traitement de base.
"Si un conducteur est malade, il perd la moitié de sa prime traction, ça fait vite baisser le salaire mensuel", abonde Fabien Villedieu. "On demande à la direction d'intégrer les primes dans le traitement de base mais elle refuse car elle devrait alors payer plus de cotisations sociales".
Les négociations sont toujours en cours et la direction espère toujours arracher un accord. Le discours officiel est de ne pas jouer la carte des propositions catégorielles, c'est la ligne de conduite appliquée par Jean-Pierre Farandou, le PDG du groupe. Mais le risque que certains se sentent lésés par rapport à d'autre pourrait ressurgir assez rapidement.